Etre invité dans une famille marocaine est une chance. On prend la température de la société de l’intérieur. Cinq jours c’est court et ne permet pas de percevoir tous les codes en vigueurs. Mais les conversations avec des hommes et des femmes du pays donnent une idée du mode de vie et des valeurs et permettent une réflexion en relation avec le mode de vie européen. Par mon parcours personnel, ma réflexion sur l’évolution européenne et mes précédents voyages au Maghreb, ce que je vois et entends prend rapidement du sens.
Le premier point remarquable dans la culture marocaine est la force de la famille. C’est indiscutablement la structure de base de la société. Par famille il faut entendre un groupe considérable d’individus: les enfants directs, les cousins, oncles et tantes, puis la famille par alliance. C’est davantage une tribu familiale comme l’Europe en a connu par le passé.
Dans la famille le respect des parents est proche de l’absolu. L’homme est chef de famille comme ce fut le cas en Europe autrefois et son autorité ne se discute pas. La place des femmes est néanmoins très forte. Elles ne sont pas effacées, parlent haut et prennent leur place. La répartition des rôles donne à chacun une place que personne ne conteste. C’est un facteur de stabilité familiale. Ce sont les filles de la famille qui m’expliquent cela. Des filles presque toutes mariées et qui travaillent à l’extérieur.
La famille sert également de soutien psychologique ou matériel quand un membre est dans le besoin. Il n’y a pas d’assurance chômage et ceux qui n’ont pas de travail sont entretenus, parfois hébergés pendant des années, par ceux qui en ont les moyens.
Je suis invité dans cette famille pour le mariage d’une des filles, suite au soutien que j’ai apporté à l’époque à Khalid Naji dans l’accusation à mon avis fausse qui l’a conduit en prison. La solidarité que j’avais alors témoigné me vaut d’être accueilli comme un fils. Je souligne ici la grande gentillesse des gens et leur hospitalité légendaire qui n’est pas un mythe. C’est une réalité toujours vivante.
Cette distribution des rôles familiaux est rejetée en Europe, au nom d’une égalité stricte au point d’être une symétrie et une similarité totales, une indifférenciation. Ce que je vois au Maroc est une autre conception des relations. Moins égalitaire au sens de l’absolue similarité des droits et des attributions, mais pas moins égalitaire en valeur humaine. Les femmes n’ont pas une valeur réduite parce qu’elles sont femmes. L’égalité de valeur n’est pas assimilée à la similarité de fonctions. Et les femmes votent, conduisent leur voiture, ont leur propre compte en banque.
Il faut comprendre que dans ce pays la dimension collective instillée par la famille est omniprésente. On ne vit pas pour soi plus que pour les autres. L’important est que le groupe familial vive bien puisqu’on lui est étroitement associé.
Les relations familiales en Europe ont perdu de leur force. La famille ne fait plus la loi. L’Etat est devenu plus fort. C’est lui qui prend en charge les chômeurs par exemple. Il y a des maisons pour les personnes âgées ou malades. Notre société pratique un certain cloisonnement. Au Maroc les générations vivent ensemble. Le cloisonnement est davantage le fait des classes sociales, des riches et des pauvres, que des générations. Mais une certaine distance générationnelle s’installe quand-même au travers des goûts musicaux: les adolescent aiment les groupes américains ou le rap et délaissent la musique traditionnelle.
Le constat de ce que l’Europe a délaissé voire perdu est inévitable ici. Le Maroc rappelle en partie ce que fut notre mode de vie dans le passé: une société d’agriculteurs, une structure politique féodale, un fort groupe familial, une solidarité directe (non étatisée), et une vie sociale intense. En Europe ces facteurs de société sont aujourd’hui moins forts. Est-ce réellement une perte? C’est plutôt une évolution.
La société occidentale n’est pas en décadence. Elle est depuis plus d’un siècle en mutation profonde. Nous avons développé un haut degré de liberté individuelle, comme nulle part ailleurs: liberté politique, de penser, confessionnelle, de choix amoureux. Le consentement individuel est devenu la base de tous les contrats. Le marxisme, bien qu’il me semble trop réducteur pour proposer une lecture globale de la société, a réduit l’écart entre les classes sociales. Le pouvoir s’est plus largement réparti. Aujourd’hui dans un pays européen pas besoin d’être d’une dynastie au pouvoir pour tenter de changer la société. Même si rien n’est facile n’importe qui peut développer une nouvelle idée et en convaincre d’autres jusqu’à arriver un jour au pouvoir. N’importe qui peut aussi tenter de commercialiser une idée ou un produit.
La démocratie a ouvert la société intellectuellement, politiquement et commercialement.
Alors, oui, nous avons perdu quelque chose de nos traditions. Mais nous l’avons voulu. Cela avait du sens. Le poids de la collectivité a été ressenti comme une oppression. Ce ressenti a été fondateur dans une époque où les moyens économiques ont permis cette mutation de la société. Car quoi qu’on en pense l’évolution démocratique est tributaire d’un bien-être économique. Si aujourd’hui on critique les excès d’un certain libéralisme et le pouvoir des «banksters», on oublie un peu vite que nous avons presque tous bénéficié d’un crédit, aussi petit soit-il, pour lancer une société, acquérir un appartement ou financer un achat.
Le principe d’égalité a ouvert le monde à ceux qui n’avaient rien. Le chemin n’est pas fini mais il continue à se faire. Il fallait pour cela en passer par une déconstruction: de la famille, du couple, des croyances. Ce qui s’est construit, comme la liberté individuelle, n’est pas encore assez lisible ou parlant pour donner envie à d’autres cultures. On nous imite sur les aspects matériels: la voiture, la télévision. Mais cela n’est pas spécifiquement une culture européenne ou occidentale. Ce n’est que la technologie associée à l’industrie. Si la culture européenne n’est plus assez lisible elle doit faire un effort dans ce sens. Nous ne sommes peut-être pas encore prêt à unifier le discours occidental sur des valeurs communes et pérennes. Certains souhaitent le retour du religieux à l’école alors que d’autres maintiennent la notion de laïcité dans tout ce qui concerne l’Etat. Certains veulent aller plus loin dans le libéralisme culturel alors que d’autres expriment la nostalgie des sociétés collectivistes.
Peut-être est-ce cela l’héritage européen actuel et le produit de la liberté individuelle: le fait de vivre dans la contradiction et de devoir gérer la complexité du monde. Il ne s’agit pas de dire que c’est mieux qu’autre chose mais que cela nous convient. Il ne s’agit pas de se comparer en prétendant que nos valeurs sont supérieures mais d’affirmer que personne n’a de valeurs supérieures et que les nôtres sont bonnes.
Dans la suite de cet article il sera question de la religion, domaine où la comparaison est forte et pierre d’achoppement des relations entre européens et ressortissants du monde musulman.
A suivre.
Commentaires
votre texte sur lepost m'a vraiment fait chaud au coeur ... enfin des mots simples pour décrire une situation on ne peut plus aussi simple ... merci pour ce message qui ne peut que renforcer les liens en voie de disparition entre les peuples qui vivent chacun a leur manière sur cette belle terre. bien a vous.
Merci Karimane. C'est mon intention: que les gens se comprennent un peu mieux. Le deuxième volet sur l'aspect religieux sera plus difficile.
l' aspect religieux peut être aussi simple a partir du moment ou raison et passion s'absentent au profit du seul divin ... c'est le propre des hommes de vouloir et espérer se mesurer au divin et ce qu'elle que soit la religion ou terme plus adaptée "idéologie" ... l'histoire est répétitive et les erreurs se reproduisent depuis la nuit des temps. il n'y a que très peu d'alternative positive. je termine avec cette citation de J.Cocteau : "Ce que nous prenons pour la paix n'est qu'un armistice entre les conflits : la planète grouille, saigne, et ne saurait vivre sans cette violence." A méditer ...
" Il fallait pour cela en passer par une déconstruction: de la famille, du couple,"
je comprends pas pourquoi il fallait en passer par la déconstruction de la famille, du couple !!
quand on voit les dégats qu'on entrainer cette déconstruction, tous ces couples brisés, ces enfants rois en manque éducatif.
tous parce que le mensonge féministe veut nous faire croire croire que la vrai égalité c'est la similarité, que si l'homme est chef de famille, la femme est soumise.
" L’homme est chef de famille comme ce fut le cas en Europe autrefois et son autorité ne se discute pas. La place des femmes est néanmoins très forte. Elles ne sont pas effacées, parlent haut et prennent leur place. La répartition des rôles donne à chacun une place que personne ne conteste. C’est un facteur de stabilité familiale. "
Voilà pour la pommade.;) Clin d’œil /On se demande si la suite plaira tout autant à la smala NAJI ;) Clin d’œil)/ Je vais publier votre poste sur ma page facebook pour les potes marocains.
Votre témoignage sur la qualité de ce séjour au Maroc vous honore. Vous mettez en avant la gentillesse des marocains en particulier cette famille qui a subit l'injustice.
Je ne connais pas l'histoire, mon commentaire sera basé sur les autres aspects.
Les Marocains sont connus pour être un peuple hospitalier, je peux vous assurer qu'il en va de même pour l'Algérie, la Tunisie ou bien des gens vous accueilleraient tout aussi bien.Je le dis avec toute la simplicité et sans aucune arrière pensées.
La totalité de mes séjours dans ces trois pays dépassent une année, et vos propos ont fait ressortir chez moi les meilleurs souvenirs.
Vous parlez de la "force de la famille" ce qui est bien d'une manière générale, peut être très pesante dans bien des cas.En résumé chez eux c'est un peu de trop et chez nous, c'est un peu faible...Peut on critiquer? Non dans le cas du Maroc ou le bilan social est très faible pour ne pas dire plus.C'est une monarchie issue de l'obscurantisme, mais est-ce le choix du peuple marocain?
Mon dernier fils est allé au Maroc cet été, en "convoi" de 4 X 4 3800 kms dans le trois quart du pays; il confirme vos propos sur l'hospitalité, la gentillesse et aussi le dévouement car ils ont "cassé" du matériel en plein désert après s'être ensablés. Ils ont été dépanné par un "petit" garagiste (grand par son intelligence) qui n'a pas hésité à faire presque deux cent kms pour venir les dépanner, (400 AR) et, cerise sur le gâteau les a invités à manger et dormir!!!
Tombez en panne en France, un dimanche, en campagne, vous allez vous faire voir ailleurs, et ne cherchez pas l'hospitalité....C'est un constat très caricatural, peut-être...
Ces trois pays d'Afrique du nord sont très généreux il n'y a aucun doute, il faut être "echo-centré et non égo-centré" avec la volonté d'ouverture d'esprit et de respect et là, tout devient facile.
Enfin ce qui met la zizanie, c'est toujours le même problème, en premier, les "religions" en second les moeurs. Quoique ces dernières sont assez remises en cause pour faire place à certaine volonté d'avoir plus de libertés individuelles et collectives. Mais là, "les religieux gardiens d'une morale obscurantiste dont on ne veut plus -chez nous- se radicalisent et sont en train d'enrayer les processus de liberté dans Tous les domaines, et dans Tous les pays, musulmans en particulier. Seront-ils les vainqueurs? D'autres valeurs nous attendent; encore faut-il se débarrasser de cette gangue négative "les croyances pourries"-
C'est un autre sujet.
La crise économique mondiale, associée au despotisme monarchique et ce, -quelque soit la religion, risque bien de mettre à mal toutes tentatives de bien être et donc de démocratie digne de ce mot.
Rien n'est foutu, votre témoignage et votre article le prouvent.
@ Hicham:
La suite est en ligne... Amitié à vos potes et affection à la smala. la "pommade" ;-) vient du coeur. Les différences religieuses ou culturelles n'empêchent pas de s'apprécier et de se respecter.
@ Karimane:
J'aimerais bien qu'un jour Cocteau ait tort... On peut rêver, non?
:-)
"Les relations familiales en Europe ont perdu de leur force."
remplacées par l'égoïsme et du chacun pour soi pour une bonne partie. Fort heureusement, on trouve encore - et c'est moins rare que vous ne le croyez - ce type de relations familiales en France et ailleurs.....