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Paradoxes de l’amour à la Renaissance et sous l’Ancien Régime

Le Moyen-âge avait inventé le mariage par consentement mutuel. Bien qu’on charge l’église catholique de tous les maux à propos de sexualité, c’est elle qui a valorisé le libre choix des époux et fait régresser le système des mariages arrangés. L’inclination mutuelle gagnait peu à peu du terrain.

erotique-03.1297585262.jpgCela s’est mis en place surtout dans les classes paysannes, populaires. Les classes dirigeantes, nobles et aristocrates, conservaient les mariages arrangés. Chez eux on ne parlait pas d’amour. L’union était destinée à préserver ou faire fructifier un patrimoine. De très nombreux jeunes hommes et jeunes femmes ne se connaissaient pas avant le jour des fiançailles. Les familles décidaient pour eux.

Dans le livre «La plus belle histoire de l’amour» (Poche Points), des historiens et philosophes s’entretiennent sur l’évolution du concept de l’amour depuis la préhistoire. Bien qu’un peu schématique cet ouvrage propose quelques pistes de réflexions intéressantes. La Renaissance y est décrite comme une période paradoxale. On sait que ce fut une révolution culturelle fantastique: découverte du monde, nouvelle conception de l’univers, apparition de l’imprimerie et diffusion de la connaissance, réformes religieuses, première mondialisation du commerce, apparition de l’Europe comme entité et identité, explosion artistique. Comme souvent la création artistique et le business se côtoyaient. Là où il y a de l’argent il y a de l’art.

Selon l’historien Jacques Solé on sait moins que la Renaissance fut une ère de répression féroce sur la sexualité. Mais répression paradoxale. L’église et l’Etat se sont entendus pour condamner le plaisir sexuel. Tout ce qui y ressemblait était considéré comme l’oeuvre du diable. Le mythe de la pureté était martelé et passait pas l’abstinence, avec comme seul accommodement à la sexualité une tolérance en vue de la procréation. Comme souvent, la répression de la sexualité était le fait de tendances politiques et religieuses autoritaires. La libre disposition de soi ou le libertinage sont le fait de périodes libérales de la société. Les périodes contraignantes et autoritaires n’acceptent pas la liberté dans le plaisir.

Les romains avaient inventé le couple fonctionnel: sans plaisir, sans amour, destiné uniquement à la reproduction. La Renaissance reprenait et amplifiait cette vision. Mais, comme dit plus haut, cela touchait surtout les classes dirigeantes. La paysannerie était beaucoup plus libre dans son mode de vie et les sentiments y avaient droit de cité.

Jusqu’à la Révolution on peut ainsi distinguer la morale affichée et ce qui se passait vraiment: officiellement moins de liberté et une forte répression sexuelle, mais dans la réalité et dans les classes populaires plus de liberté et l’annonce de ce que deviendra le couple moderne: mariage tardif vers 25-27 ans, expériences prénuptiales discrètes mais réelles, concubinage occasionnel, développement des sentiments et du eros-ren.jpgconsentement. L’individualisation naissante conduisait progressivement à de nouveaux rapports hommes femmes, moins enfermés dans la rigidité des rôles traditionnels.

Pendant ce temps la noblesse dirigeante et la bourgeoisie vivaient dans la peur du péché tout en le pratiquant à outrance. D’un côté on condamnait à mort l’homosexualité, on emprisonnait les adultérins, on pouvait (en Italie) condamner à mort et décapiter ceux qui embrassaient une femme mariée, on proscrivait la prostitution et l’on déportait vers l’Amérique celles qui s’y livrent. La sodomie était sanctionnée par la torture ou la mort.

De l’autre la cour s’adonnait à des parties érotiques effrénées, les femmes s’affichaient ouvertement avec un amant. Le cocuage était un mode de vie comme en témoignent les Historiettes de Tallemant des Réaux au 17e siècle. Jacques Solé parle de «dévergondage associé à la dévotion». La jeunesse noble était très libre sexuellement. Les jeunes femmes y faisaient des orgies avec leurs amants et leurs amies ou passaient en un quart d’heure d’un amant à l’autre. Des ballets royaux «célébraient les ardeurs du coït.»



Société donc très moralisatrice officiellement, avec des sanctions terrifiantes pour les contrevenants, mais aussi obsédée par la sexualité - obsédée autant qu’elle la refusait, et s’octroyant des droits que le 21e siècle ne renierait pas. Dans cette période très moralisatrice on a des écrivains comme Rabelais ou Molière qui se rient des cocus, ou Musset qui valorise l’importance des sentiments et le consentement amoureux pour la femme comme pour l’homme. Paradoxe donc d’une époque qui veut réfréner les ardeurs amoureuses et sexuelles mais où se développe en même temps l’amour courtois et l’esthétique des émotions.

La libre disposition de soi a été rendue possible par le fait que la religion a quitté la sphère du pouvoir pour devenir essentiellement une affaire de conscience personnelle, parce que le libéralisme politique a réduit l’influence des systèmes politiques autoritaires qui s’imposaient aux citoyens dans tous les gestes de la vie, et par le développement économique donnant une plus grande autonomie et mobilité de vie. Le choix était devenu contagieux: si l’on pouvait choisir son travail, on pouvait aussi choisir son mode de vie, son mari, son épouse, sa sexualité. Le libre choix et le consentement - formes démocratiques de la liberté - semblent avoir gagné sur la contrainte.

Pourvu que cela dure.

 

Catégories : société 1 commentaire

Commentaires

  • Je n'ai pas lu le bouquin de Solé, John, mais le résumé que vous en faites me semble mélanger un peu plusieurs époques, sur plusieurs siècles, en des temps où les morales pouvaient bouger très vite. Ce qui peut expliquer certains paradoxes apparents. Le donjuanisme d'un François 1er, par exemple tient pour une large part de la survivance du droit de cuissage médiéval.
    Il y eut par ailleurs des éléments "extérieurs". Les guerres, les pestes, qui décimaient les populations, engendraient généralement des périodes de grande débauche, tout simplement pour repeupler... En même temps, les guerres furent aussi de redoutables outils de diffusion des maladies vénériennes.
    L'un des bons indicateurs de la liberté des moeurs est l'ouverture ou la fermeture des bains publics, mixtes ou séparés, voire carrément interdits, selon des époques qui se succèdent en alternance depuis le haut moyen-âge.
    On parle de tout cela dans Genevois-Pluriels. Et aussi d'un certain Jean Calvin qui fut le premier à accorder le divorce à ses oauilles, hommes ou femmes. Vous verra-t-on à la première ce soir au Grutli ?

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