Dans le nord de l’Allemagne la rivière Tollense étire ses méandres sur une plaine aux lignes douces. Des tourbières, des prairies et quelques forêts dessinent ce paysage où l’on pourrait s’attendre à voir surgir des elfes et autres habitants légendaires. Mais ce que l’on y trouve avec certitude ce sont des fantômes de guerriers du passé.
La bataille de Tollense
Fantômes, ou plus exactement les restes sous formes d’os éparpillés et de squelettes entiers. Des archéologues fouillent la région et ont mis à jour l’équivalent d’une centaine d’hommes âgés entre 20 et 40 ans. Ces squelettes ont été datés d’il y a 3’200 ans.
Les corps retrouvés étaient déposés sans ordre et sans les objets funéraires habituels. Il ne s’agit donc pas d’un site funéraire. De nombreuses armes étaient à leurs côtés, et des os de chevaux. Enfin des flèches étaient fichées dans certains corps et un crâne montrait un trou causé par ce qui aurait pu être une lance. Les archéologues en déduisent qu’il s’agit du site d’une bataille, peut-être la plus ancienne connue en Europe. Selon les restes de repas trouvés certains guerriers devaient venir du sud et tentaient peut-être d’envahir cette région du nord.
On a ici la mémoire d’une bataille organisée, impliquant de nombreux guerriers avec un arsenal d’armes. Des cavaliers et des archers combattaient aux côté des guerriers à pied. Cela laisse entendre qu’il y avait une certaine organisation dans la bataille puisqu’au minimum on avait rassemblé là de nombreux combattants.
Mais de quand date la guerre? Et qui l’a inventée?
Dans son ouvrage «Culture et barbarie européennes» le philosophe Edgar Morin constate que le passage à la guerre et à la barbarie s’est faite avec la civilisation. Les anciens humains chasseurs-cueilleurs étaient peu nombreux et n’avaient pas besoin de prendre le territoire d’autres groupes. De plus les clans étant dispersés et la densité d’habitant très faibles il était improbable de réunir une troupe ou une armée.
Selon Edgar Morin c’est le passage à la sédentarité et à l’agriculture qui a favorisé les guerres.
D’une part des richesses se sont accumulées et la convoitise aidant, elles devenaient enviables. D’autre part la population a augmenté. Cela a exigé plus de terres, et de terres fixes, appartenant à une communauté pour nourrir ses membres. Les risques de disette et de famine ont poussé certaines villes-Etats ou régions organisées à conquérir d’autres territoires et à confisquer leurs ressources.
La langue, l’art, les connaissances, la philosophie et les religions se sont aussi développées avec la civilisation. La survie même des grands groupes passait par la domination de nouveaux territoires. Les guerres de survies ont été amplifiées par des conquêtes pour la conquête. Ainsi Alexandre le Grand a-t-il envahi et annexé le Moyen-Orient et l’Asie mineure. Les Mongols ont étendu au XIIe siècle leur empire jusqu’aux portes de l’Autriche: un si grand territoire n’était pas utile à un peuple si peu nombreux. Les invasions islamiques ont eu des raisons idéologiques, comme les invasions chrétiennes.
Et la gagnante est: la domination
La guerre serait donc possiblement née avec l’agriculture et la civilisation. Mais pourquoi, les humains ont-ils commencé à régler la question de leur survie par la guerre? Et pourquoi avec une telle cruauté et un tel goût de la domination?
Ne pouvaient-ils pas collaborer de manière horizontale, sans hiérarchie, plutôt que de subordonner leur destin à des chefs dont l’ambition a généré des massacres abominables?
Et est-il aujourd’hui possible d’infléchir ce cours de l’histoire? Est-il possible par exemple de l’infléchir uniquement par des décisions politiques, sans un travail intérieur sur ce qui fait que le système guerrier s’est imposé: convoitise, peur, besoin de dominer, hiérarchie?
A voir la violence des débats politiques, les haines sociales inter-classes, les volontés de domination exprimées tant par les dirigeants que par ceux qui les combattent, il semble que le système de la guerre soit encore bien en place et que peu de gens soient prêts à le désamorcer. Remplacer un dominant par un autre dominant, il n’y a qu’une gagnante: la domination.
La question est pourtant d’actualité car, comme le souligne Edgar Morin, nous avons été relativement protégés en Europe ces cinquante dernières années. Mais les époques paroxystiques- et nous sommes au début de l’une d’elles - sont les foyers de toutes les dérives barbares.
«L’Europe a été le foyer d’ une domination barbare sur le monde durant cinq siècles. Elle a été en même temps le foyer d’idées émancipatrices qui ont sapé cette domination. Il faut comprendre la relation complexe, antagoniste et complémentaire, entre culture et barbarie, pour savoir mieux résister à la barbarie.
Les tragiques expériences du XXe siècle doivent aboutir à une nouvelles conscience humaine. Ce qui est important, ce n’est pas la repentance, c’est la reconnaissance. Cette reconnaissance doit concerner toutes les victimes : Juifs, Noirs, Tziganes, Arméniens, colonisés d’Algérie ou de Madagascar. Elle est nécessaire si l’on veut surmonter la barbarie européenne.
Il faut être capable de penser la barbarie européenne pour la dépasser, car le pire est toujours possible. Au milieu du désert menaçant de la barbarie, nous sommes pour le moment sous la protection relative d’une oasis. Mais nous savons aussi que nous sommes dans des conditions historico-politico-sociales qui rendent le pire envisageable, particulièrement lors des périodes paroxystiques.
La barbarie nous menace, y compris derrière les stratégies qui sont censées s’y opposer.»
Edgar Morin, en homme de gauche, a tendance à faire porter toutes les charges sur l’Europe. Cela n’enlève rien à la pertinence de son analyse. Il faut la compléter avec la reconnaissance des faits historiques depuis disons 2’000 ans. On aurait ainsi une reconnaissance générale de toutes les dominations.
La bataille de Tollense: à lire dans le magazine La Recherche de janvier.
PS: un ami, Nash, a mis sur son blog une très jolie vidéo sur le Boléro de Ravel en gare de Copenhage. A voir ici:
http://leblogdenash.over-blog.com/article-bolero-express-96535662-comments.html#anchorComment
Commentaires
Les grandes puissances ne se font pas la guerre parce qu'elles possèdent toutes l'arme atomique et qu'elle savent bien qu'une guerre totale serait autodestructrice. Je crois que dans les pays dits civilisés il y a toujours des malades du pouvoir et de la domination qui seraient prêts à faire la guerre si l'arme atomique n'existait pas.
Le problème actuel tient plutôt au fait que certains dirigeants fanatiques inspirés par d'autres motivations telles que religiomasochistes seraient prêts à se faire péter la gueule en pétant la notre juste pour le plaisir d'être les élus d'un monde fantasmatique. La meilleure façon d'enrailler les visées de ces malades c'est l'humour, il n'y qu'a voir comment ils réagissent lorsque l'on se moque d'eux. Charlot l'avait bien compris quand il singeait Hitler.
La puissance d'un pays ne réside pas dans sa capacité a détruire ses énemis mais dans celle de s'en faire des amis.
A titre d'exemple la Suisse petit pays très sérieux mais qui ne se prend pas au sérieux était techniquement capable de confectionner une arme nucléaire déjà en 1953 et pourtant elle a décidé démocratiquement de ne pas envisager son développement. L'avantage d'être petit c'est qu'on est obligé d'être intelligent.
@ L'Amer Royaume:
"La puissance d'un pays ne réside pas dans sa capacité a détruire ses ennemis mais dans celle de s'en faire des amis."
Puissent les dirigeants appliquer cela!
Je ne sais plus où je lisais il y a quelques temps l'idée de rendre les ressources des sous-sols patrimoine de l'humanité. Cela a peu de chance de faire du chemin. Mais je trouve que l'idée mériterait d'être approfondie.
Hello Hommelibre.
« Dans son ouvrage «Culture et barbarie européennes» le philosophe Edgar Morin constate que le passage à la guerre et à la barbarie s’est faite avec la civilisation. Les anciens humains chasseurs-cueilleurs étaient peu nombreux et n’avaient pas besoin de prendre le territoire d’autres groupes. »
Je ne suis pas sûr que l'on puisse un jour cerner l'ensemble des coutumes et décrire avec certitude l'organisation des sociétés du Néolithique... à moins d'inventer une machine à remonter dans le temps!!
Sur un sujet similaire, vous avez peut-être vu l'été dernier sur ARTE, un documentaire traitant de cas (supposés) de cannibalisme dans une collectivité de la culture rubanée, découverte près d'Herxheim, à la frontière franco-allemande. Très appétissant.... intéressant!!! Pardon!! ;o)
http://www.dailymotion.com/video/xkigew_1-2-cannibales-en-europe_tech
http://www.dailymotion.com/video/xkiged_2-2-cannibales-en-europe_tech
Sur ce site, des agriculteurs sédentaires auraient littéralement fait la chasse aux derniers chasseurs-cueilleurs... Incroyable!! Cela va encore plus loin que ce qu'affirme Edgar Morin.
Les victimes étaient notamment consommées en bouillon... ou à la broche!!!!!!! Et il semblerait que la chair humaine ait un goût de bœuf, plutôt que celui du poulet... ou du cochon, par exemple!
Personnellement, je ne dirais pas non à une belle cuisse, de préférence celle d'une charmante amazone... À moins que dans ce cas précis, ce soit moi, la farce dans le dindon..!!! ;o)
Bon appétit..!!
=:oB
Merci pour ces docu Brian. Je n'ai pas encore regardé le second. C'est impressionnant. Je regarde la suite demain.
Mais de rien!!
Le second lien est la fin de ce documentaire, ou la cerise sur le gâteau..! ;o)
Bonne soirée.
=:oB
Et bien, Brian, toute cette nourriture gaspillée de nos jours...
Oui ce documentaire pose questions. Qu'est-ce qui leur a pris? La détresse de la famine en a-t-elle fait une secte d'illuminés?
Et l'humain porte cela en lui.