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Les martyrs ne vont pas tous au paradis

Si le terme de martyr est à l’origine réservé aux personnes persécutées à cause de leur religion, il s’est ensuite étendu à toute victime subissant des sévices graves, même sans raison religieuse. Les martyrs sont très importants dans l’économie spirituelle puisque ce sont eux, victimes expiatoires, qui répandent la foi ou la solidarité par l’exemple de leur souffrance.

martyre-de.jpgLe martyr peut être une victime anonyme subissant la loi de serials assassins persécuteurs. Son seul tort et sa représentativité est d’être membre d’un groupe que le pouvoir veut éliminer. Ce fut le cas des premiers chrétiens. Il y a aussi le martyr plus médiatique, qui sert une double cause: être le bouc émissaire spécifique du pouvoir qui veut faire un exemple, et dont la souffrance aura un impact psychologique aussi fort que des milliers de victimes. Et étant bouc émissaire il devient un héros qui attire la sympathie et fait tomber de son côté ceux qui ne se sont pas rangés du côté du pouvoir.

Le martyr risque donc d’être contagieux et fait office, malgré lui, d’agent recruteur. On ne peut en effet que prendre fait et cause pour une victime délibérément meurtrie si l’on a le sens de la justice. L’asymétrie des parties en présence: force brute et massive du pouvoir et des foules hypnotisée contre faiblesse démunie de la victime, rajoute à l’empathie naturelle ressentie pour la victime.

Toutefois être martyr suppose un contexte bien précis. On parle par exemple de martyrs à propos des kamikazes qui se font exploser. Toute une idéologie les soutient et leur promet le paradis, les vierges, et donne de l’argent à leur famille ou font défiler des foules dans la rue en leur honneur. D’autres se donnent délibérément la mort pour justifier et faire entendre leur propre cause.

Ces exemples n’ont pas valeur de martyr. On ne devient pas martyr par sa propre volonté. Se faire exploser au milieu de la foule avec une ceinture d’explosifs ou s’immoler pour dénoncer une injustice n’est pas du martyr. Il s’agit d’actes violents, politiques, destinés à capitaliser la sympathie. Dans le premier cas il s’agit également de tuer, de faire souffrir. Or un vrai martyr ne fait pas souffrir les autres. Il ne reproduit pas ce que lui-même subit.

Le kamikaze commet un acte de guerre, délibérément. Il est payé pour cela, et déjà récompensé moralement. Il n’ira donc pas au paradis (selon la mythologie religieuse). Le paradis accueille les vrais martyrs: ceux qui ont été persécutés uniquement pour leur foi ou leur opinion. Ils n’ont blessé ni contraint personne. Ils n’ont pas voulu être martyrs mais seulement être libres de mettre leurs convictions en application tout en respectant autrui. Ce n’est pas eux-mêmes qui se persécutent et se font mourir, ce sont les autres, par leur propre main.
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Il n’y a donc pas de paradis pour les enseignantes qui se sont immolées en France l’an dernier.  Pas de paradis pour les kamikazes du Moyen-Orient. Pas de paradis pour les moines tibétains qui s’immolent comme d’autres feraient une manifestation politique. Bien sûr cela frappe les esprits, dans une société qui se nourrit d’images. Mais à part la force spectaculaire de l’acte, sa signification n’est pas plus digne de respect que le fait de voter, ou de donner son manteau à quelqu’un qui est dépourvu de tout. Le martyr est devenu un spectacle comme un autre sauf que l’acteur ne le joue qu’une fois.

Evidemment, donner sa vie est fort, très fort. Evidemment, il y a une souffrance. Il ne s’agit pas de nier la souffrance mais de ne pas se tromper sur la désignation de l’acte et sur ses bénéfices éventuels ou sur ceux que l’on attend pour d’autres. Il y a une part de manipulation dans cet acte d’auto-destruction, une pression morale destinée à stigmatiser l’adversaire ou à le faire changer par la contrainte morale. Ou à justifier à l'avance tout acte de vengeance commis contre lui par autrui.

Le kamikaze qui se fait exploser et qui tue d’autres personnes en même temps que lui-même est au mieux un combattant, au pire un assassin. Il n’est pas un martyr. Il n’ira pas au paradis. Il ne disposera pas des vierges promises par ses commanditaires. Ce martyrat-là est un système, une stratégie, un business médiatique. Une insulte à son dieu.

Le vrai martyr est celui qui est persécuté sans avoir rien fait pour cela, sans s’être bouté le feu lui-même, jeté sous les roues d’un camion ou avoir enclenché le détonateur des explosifs que d’autres lui ont complaisamment fournis. Le vrai martyr ne s’érige pas en juge de la société, ne meurt pas pour d’autres qui ne lui ont rien demandé. Il meurt parce que ses convictions sont intègres. Avec ou sans religion, c'est cela la force du martyr, c'est cela qui touche et éveille durablement la société. C'est l'innocence du martyr qui lui donne sens et grâce.

La vraie victime est celle qui n’a pas demandé la souffrance.

Dans les religions, il n’y a pas de paradis pour ceux qui, comme les kamikazes, se sont mis délibérément «dans les mains du Diable».


Images: 1. Le martyre de Saint-Sébastien, de Giuseppe Caletti. 2. Bûchers de l’Inquisition.


Claude Debussy - Le martyre de Saint Sébastien, prélude:



Catégories : Philosophie 6 commentaires

Commentaires

  • "Le kamikaze qui se fait exploser et qui tue d’autres personnes en même temps que lui-même est au mieux un combattant, au pire un assassin."
    Vous pensez qu'on peut utiliser le terme combattant ?
    Il prend ses adversaires par surprise, adversaires souvent désarmés.
    "Combattant" n'induit pas le fait d'avoir des adversaires armés et de s'avancer visible ?

  • "La vraie victime est celle qui n’a pas demandé la souffrance."

    Magnifique, excellement bien résumé !

  • si si Patricia inducto

  • "si si Patricia inducto"

    C'est de l'acharnement, ,une chasse à l'homme....
    Je revendique officiellement le statut de martyre !! :-))

  • Une chasse à l'homme, comme vous y allez, Patricia... Homme, homme, va falloir montrer vos olives, là...

    :-))))))

    Bon d'accord, vous êtes proclamée officiellement martyr.

    D'ailleurs pour enfoncer le clou (pas dans vos mains) je précise que martyr s'écrit sans e au bout quand c'est la personne, avec e quand c'est l'événement...

  • Qu'est ce que j'apprends là ?
    Encore une règle de grammaire qui m'aurait échappée ? C'est pas croyable !!!
    Voila qui va ravir mon bourreau/ ma bourrelle.
    "Chasse à la femme" a une toute autre connotation.Pas de ma faute tout de même si le français est sexiste :-))

Les commentaires sont fermés.