Le drame de l’étudiant dont on a appris le suicide, qui croyait avoir raté sa matu, doit être choquant et douloureux pour sa famille et ses proches. Par égard pour eux il est difficile d’en parler. Mais c’est devenu public et objet politique. La cause de ce décès serait le «système». La récupération de la mort est déjà en route. Alors oui, il faut en parler.
Le suicidé assassiné
Si je comprends bien ce jeune homme serait victime du système. Le système aurait même commis un meurtre prémédité. C’est écrit sur le blog Topo Thévoz:
«On ne pourra dire non plus que ce meurtre est le fait du hasard. Car le fait qu'un jeune homme soit tué dans son école, parce qu'il ne voyait pas son nom sur la liste des réussites à la matu...»
Reprenons à froid: un jeune homme ne voit pas son nom sur les 5000 à 6000 publiés en avance sur le site de l’Etat de Vaud. Ce n’est toutefois pas la publication officielle et la page d’accueil du site le précise: «Seul le bulletin officiel fait foi». Néanmoins, selon 24Heures, l’homme appelle ses professeurs, qui le rassurent et lui conseillent d’attendre la publication officielle qui a lieu trois jours plus tard. Ses camarades aussi le rassurent. Il y a donc des garde-fous, des sécurités, dont on ignore pourquoi il ne tient pas compte. Il se suicide le lendemain, soit avant la publication officielle.
On sait en réalité qu’il a réussi et qu’il y a eu une erreur informatique. Mais que lit-on dans la critique du système, sous le titre: «Suicidé du système»?
«Ce passage à l'acte dans le préau d'une école ne révèle-t-il pas en grand la violence de l'exclusion, l'angoisse profonde de ne pas en être, d'échouer, et l'incapacité à ne pas être submergé devant la vague du rejet, de la différence, de l'échec et son jugement? Le plus cruel c'est que ce jeune homme avait réussi là où le système lui signifiait qu'il avait raté.»
Pourquoi lui et pas les autres?
D’abord un constat: il avait réussi. Il était donc en accord avec le système qui demande de réussir ses examens. Autre constat: un élève sur des milliers se suicide. En quoi est-ce la faillite d’un système? Peut-on vraiment récupérer sa mort au profit d’une critique généralisante? Question: pourquoi n’a-t-il pas attendu la publication officielle, comme le site et plusieurs personnes - dont des professeurs - le lui ont recommandé?
Si vraiment il a été mis sous pression par les exigences du système, cela ne peut être apparu par hasard. Les humains ont une continuité de comportement. On peut se demander quels ont été les signes avant-coureurs depuis des années, depuis l’enfance, et ce qui a été fait de ces signes dans son entourage. On peut aussi se demander ce qu’il avait investi dans le succès ou l’échec de sa matu, et si ce qu’il avait investi lui a été explicitement imposé par le système - et précisément par qui dans le système. Un système n'est pas comme les masses populaires, une force aveugle. Des gens précis le représentent: parents, amis, éducateurs, professeurs, etc.
Je lis que 5000 à 6000 résultats sont publiés. En quoi les autres seraient-ils épargnés par le système? Et pourquoi ne se plaignent-ils pas de ce qu’on leur demande de réussir leurs examens, de montrer leurs acquisitions? L’angoisse de ne pas en être, la peur d’échouer, de subir «la vague du rejet», d’être différent, sont convoquées ici.
Que de grands mots. Intéressant d’y trouver la peur de la différence. Si peur il y a n’est-ce pas plutôt parce que les nouvelles théories de gauche refusent la différence et préconisent la neutralité, sans marqueur reconnu socialement de notre position personnelle? Or le besoin d’une évaluation existe déjà chez le petit enfant. L’amélioration de ses capacités est pour lui un souci permanent. Même sa croissance, processus simplement naturel, est objet de fierté et de compétition avec lui-même. Le système n’a pas inventé le désir d’excellence: il n’en est que le dépositaire.
Faut-il suicider le système...
Mais pour ceux qui pensent que le système a tué ce jeune homme, je propose de suicider le système. Comment?
C’est simple. Il leur faut: refuser toute évaluation de leurs résultats scolaires. Refuser tout diplôme. Toute exigence. Jeter loin la notion d’excellence. Niveler par le bas. Pleurer avec les pleureuses quand c’est difficile. Ne pas se battre pour faire la preuve de leur valeur. Subir. Ne pas reconnaître leurs limites et leurs échecs. Rendre le monde et les autres responsables de leur propres limites. Moins ils montreront leur excellence, plus ils revendiqueront une politique de l’échec et une justification collective de sa cause, et plus le système sera suicidé. Ils devraient même faire l’apologie de l’échec. Haïr la réussite. Oublier que l’excellence est un des chemins de la liberté.
«... suicidé du système est un symptôme de la faillite de ce dernier, porteur d'une maladie collective, d'une folie contagieuse qui fait que pour un examen raté, -bientôt pour un compte facebook bouclé ou un i-phone volé?- certain-e-s sont maintenant prêts à en finir.»
Quand, à la manière d’un rapace, la critique du système s’approprie ainsi avec tant d’empressement d'un mort dont on ignore presque tout, quand la critique du système est nécrophage, je me demande qui est le plus malade: le système ou le nécrophage? Pour ma part je préfère vivre dans un système où l’on demande l’excellence, plutôt que dans un système qui déresponsabilise l’individu, refuse la notion d’exigence et nivelle par le bas.
... ou valoriser l’excellence?
La critique est par ailleurs hypocrite et les tartuffes qui s’empressent auprès du cadavre ont probablement bien réussi leur matu et abondent dans les exigences du système critiqué! Le système n’est pas assassin et chacun réagit à sa manière à l’échec. Ce qui est en cause c’est de penser que l’excellence, la réussite et l’exigence personnelle seraient de trop. Alors que justement cela manque. La réussite de l’Espagne à l’Euro est le résultat d’un gros travail de préparation et d’un niveau élevé d’exigence, assumé et revendiqué. La défaite de l’Italie la poussera à analyser ses faiblesses, à placer la barre très haut et à travailler dans le sens de l’excellence. Et cette défaite cinglante, humiliante par le nombre de buts encaissés en direct devant des millions de téléspectateurs, n’a pas poussé les joueurs au suicide. Les humains ont besoin de victoires, de réussites. Ils doivent aussi en accepter le pendant: le possible échec.
C’est une loi de base de la vie: travailler ses points faibles et aller vers l’excellence et la réussite. Il est normal et nécessaire que le système valide ce comportement dont il n'est que l'expression et non la cause. Par contre si un échec mène au suicide, on peut se demander si l’éducation n’a pas été trop laxiste, genre «enfant roi» qui n’accepte aucune frustration, avec surestimation de l’image de soi et de ses capacités réelles. Ou enfant craintif avec sous-estimation de soi, que l’on n’aurait pas assez accompagné. Ou si, dans la transmission, l’image sociale n’a pas primé sur la construction intérieure. Car une telle intolérance à l’échec - qui plus est ici échec imaginaire qu’une simple vérification aurait rectifié - pose question..
Aucune de ces hypothèses n’a peut-être de réalité. Mais alors pourquoi? Pourquoi des gens ne savent plus se battre pour leur propre existence? Les concours ont existé de tous temps dans toutes les cultures. Concours de la meilleure vache, concours de cavalerie, concours littéraires, sportifs, et j’en passe. Ce système des concours n’est pas connu pour laisser derrière lui un champ de morts par suicide. De plus ce système n’est pas sans appel: il propose des rattrapages. Il tient compte de l’humain. Le passage à l’acte demande donc des circonstances particulières et une attitude personnelle particulière. Si ce n’était pas le cas, tous ceux et celles qui échouent se suicideraient.
La question est donc: comment développer encore plus un système d’excellence, comment en donner envie, comment favoriser l’accession à l’excellence de chacun?
Le suicide est toujours une interrogation douloureuses pour les vivants. Mais en faire cette utilisation politique, ce détournement, c’est tuer le mort une deuxième fois.
Comme ça c’est dit.
Commentaires
@Hommelibre votre article reflète bien ce mal de vivre qui a tendance à dégénérer et ce sont les parents quisont en premiers responsables ,voici un exemple du fameux lâcher prise ou comment envoyer au casse pipe des innocents Ce matin j'ai trouvé sur l'Express Neuchatelois un article félicitant des enfants ayant fait des photos pour piéger ceux qui salissaient leur cour d'école,des gosses de 7 ans voire 8,je trouve déplorable cette façon d'agir comme si le monde des adultes ,le concierge ou la commission scolaire ne pouvait plus faire le travail par eux-mêmes sans pousser des gosses à une forme de délation.
Alors d'un coté on veut en faire des super intelligents et d'un autre on les félicite pour avoir acompli un geste n'ayant rien d'honorable pas étonnant qu'aujourd'hui de plus en plus de jeunes ne s'y retrouvent dans un monde d'adultes immatures qui fait faire à d'autres le sale boulot
lovsmeralda
Il y a comme un malaise une odeur de soufre dans notre société. Regardez la situation économique, sociale, la biodiversité, les relations entre proches et moins proches.
Je sens que ce monde ne va pas durer. Les mayas avaient ils raisons ?
Resta aussi à savoir si ce ne fut pas pour lui une goutte qui aurait fait débordé un vase déjà bourré de frustrations ou de déception dans sa vie.
Mais un suicide reste un choix lié au libre arbitre de la personne qui se suicide. Vouloir chercher des coupables à ce suicide est aussi une façon de ne pas vouloir comprendre les problèmes individuels des personnes qui souffrent.
On entre dans du totalitarisme intellectuel. Vouloir rendre collectif les mauvais choix individuels des personnes.
Choix de se droguer, choix de tomber de se prostituer, choix de devenir délinquant le trafiquant de drogues etc...
D.J
"Vouloir rendre collectif les mauvais choix individuels des personnes."
Très bien dit, bravo. Je supprimerais peut-être le mot "mauvais", car c'est "mauvais" dans les yeux des "autres". La personne concernée a fait ce choix parce qu'il lui semblait être le meilleur parmi toutes les alternatives imaginables.