Une maison d’édition argentine, Eterna Cadencia, a trouvé une promotion originale de ses jeunes auteurs. Elle a publié un livre sous le titre: «Le livre qui ne peut pas attendre». Et il n’attend pas, en effet. Pas plus de soixante jours. Dès le moment où vous l’ouvrez il commence à disparaître.
Ce livre connaît un grand succès même au-delà des frontières argentines. Le concept a fait mouche. L’argument de vente? «Si vous ne lisez pas le premier livre d’un nouvel auteur, le second ne sera pas écrit.» Il faut donc lire, et maintenant. Ne pas attendre.
Le truc technique est une encre qui perd ses pigments dès qu’elle est en contact avec l’air et la lumière. Le livre est vendu dans un film plastic de protection et quand cette protection est enlevée il reste soixante jours, montre en main, pour finir l’ouvrage. Après ce délai vous pouvez l’utiliser comme bloc-note.
A vrai dire l’affaire me paraît alambiquée. Acheter un livre uniquement parce qu’il va disparaître est un argument de vente - et aujourd’hui tout est argument de vente. Mais il n’y a pas d’argument artistique ou culturel. C’est l’angoisse de l’humain, sa peur du manque, qui le pousse à consommer, et à consommer vite. Car il n’a même pas la possibilité de le poser, d’en commencer un autre, puis de le reprendre après deux mois. Il est dans une sorte de contrainte consumériste.
D’autre part l’écrit est par définition destiné à durer. Que saurions-nous des civilisations anciennes si elles avaient tracé les premières écritures sur le sable? Imagine-t-on les hiéroglyphes disparus après un temps si court?
La durée est relative car tout s’use, même la pierre, même les meilleures encres. Mais au moins un livre aura-t-il existé pour plusieurs générations. On peut le relire, retrouver une phrase ou un passage, le montrer à des amis pour le faire connaître. Ici, après deux mois, on ne peut montrer que des pages blanches.
L’aspect positif est évidemment de donner envie de lire, et de lire un nouvel auteur.
Mais quand-même, cette idée de rendre l’écriture si vulnérable, si peu pérenne, est bien étrange. Après deux mois il ne reste rien du livre - a part quelques feuilles blanches comme la neige. Drôle de signal envoyé aux lecteurs.
Commentaires
Tiens, un contrat de mariage avec cette encre? Ou encore une reconnaissance de dettes? Le mieux, un stylo pour signer les papiers d'un emprunt chez le banquier!
Faut y penser...