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Dialogue dans l’ombre

Un couple se tient dans l’obscurité. C’est elle qui parle.

- J’ai voulu te plaire. Je me suis faite comme je pensais que tu me désirais. Beaucoup de femmes font cela. On en parle entre nous. Je pensais que c’était normal. On dit que c’est ainsi qu’une femme doit faire. Ma mère elle-même le disait. N'est-ce pas juste?

- J’ai voulu te plaire moi aussi, répond-il. Je crois que les femmes attendent quelque chose des hommes. Beaucoup de femmes attendent des choses précises des hommes. On en parle entre nous. Mon père m’a dit cela. Je pensais que tu m’aimerais plus longtemps si je me faisais comme tu me désirais. Je pensais que c’était normal.

- J’ai renoncé à certaines parties de moi, pour toi. J’avais peur que tu ne me rejettes si tu connaissais tout de moi. Combien de fois je me suis dit: «Sera-t-il d’accord? Comment réagira-t-il si je me donne ce droit?» J’ai appris qu’il fallait servir l’homme comme un roi et accepter son courroux.

- Je me suis interdit certaines paroles et des attitudes que j’estimais inconvenantes pour toi. Je craignais ta désapprobation. J’ai appris qu’il fallait servir la femme comme une princesse ou comme une reine. J’ai lu que si la femme jugeait mal l’homme c’est qu’il le méritait.

- Ne le mérite-t-il pas?

- Si l’on accuse l’un, accusons l’autre aussi. Il y a deux plaignants. Le procès se tient quand on part. Certaines femmes partent par amour-propre. L’amour-propre est ce que l’on a inventé pour détourner l’amour. Une forme de vengeance. Ou de pouvoir.

- Mais une femme sans amour-propre n’est-elle pas soumise comme un tapis? Où trouverait-elle son pouvoir? Que peut-elle estimer d’elle-même si elle reste? Ses amies riront d’elle ou lui feront la leçon: «La vache! Le salaud! Et tu restes avec un mec pareil?»

- Tu parles de partir. Pourquoi partirais-tu?

- C’est toi qui parles de partir.

Il se tait. Quelques fourmis nyctalopes se hasardent hors de leur fourmilière. Il reprend.

- Et comment un homme s'estime-t-il s'il n’est plus certain d’être le père de ses enfants? Quel nom lui donneront les autres hommes? «Cornuto! Cocu», et ils riront de lui, et le laisseront à terre dans son désespoir.

- De quoi parles-tu? Nous n'avons pas d'enfants. Ecoute-moi: je croyais que l’on doit demander le soutien de son homme. Travailler ensemble, tenir la ferme, mener les troupeaux. Faire grandir les enfants pendant que tu cultivais les champs. Inventer l'intimité, l'intimité de la maison pendant que tu réparais la charrue ou coupais le bois. Je préparais Noël. Je préparais les fêtes, la bonne nourriture. Tout cela me semblait bon. Chacun sa part du royaume. Mais aujourd’hui j’ai lu une phrase d'une ancienne ministre qui dit: «Il ne faut jamais dépendre d'un homme, ni procéder de lui». Si j'applique cela je vais te priver de beaucoup de ce que j'ai fait de bien, que j'ai fait pour toi, avec toi, parce que c'était notre histoire. Je vais t'assécher en m'asséchant. Qu’est-ce qui est juste? Compter sur toi, sur ta force, pendant que j'inventais l'individualité: était-ce juste? Pendant que tu faisais la guerre je construisais la maison, le domus. C'est devenu une famille, une réalité sociale et juridique, un pilier de vie qui libère les personnes de la coagulation du groupe, et qui produit l'individu, la liberté et le consentement. Où est la soumission? Que veut dire cette ministre? Dois-je brûler ma cuisine? Brûler ma maison?

- A qui fait-elle la guerre? Ecoute-moi: je croyais qu’il faut discuter avec sa compagne. Je pensais qu’il faut aller vers elle, mettre son pas dans le sien.

- Non, c’est moi! C'est moi qui croyais qu’il faut mettre son pas dans ceux de son homme. Je suis une femme, c’est à moi de dire cela. Tu me voles mes mots.

- Ces mots ne sont pas qu'à toi. Je les fais miens. Les hommes aussi veulent cela. Ils le montrent à l'envers, en s'en défendant. Question de sexe. Les hommes peinent à se découvrir. Tout est déjà dehors, exposé: ils sont vulnérables. Il semble que des femmes apprécient deux modèles d'hommes: le vulnérable - pour la tendresse à prodiguer, et l'homme fort - pour la sécurité. C'est la balance du pouvoir. Mais l'homme vulnérable n'a pas d'avenir - sauf en littérature - et l'homme fort est une prison. Toi, n’attends-tu rien de moi?

- Oui. Bien sûr. J’attends beaucoup de toi.

- Et si moi j’attends quelque chose de toi, n’est-ce pas normal?

- C’est normal.

- Te sens-tu soumise si j’attends quelque chose de toi?

- Je crois qu’il faut redéfinir la soumission.

- Est-ce que je te force à quelque chose? T’ai-je fais passer sous un joug? N’es-tu pas là de ton plein gré?

- Oui, de mon plein gré, il me semble.

- N’as-tu pas toujours été libre?

- Libre! Qu’est-ce que cela signifie?

- Oui: qu’est-ce que cela signifie?

Elle ne répond pas. Un silence passe comme une colonie de fourmis. Une grande colonie de fourmis nyctalopes qui passent lentement. Il reprend.

- Qu’attends-tu de moi?

Il cherche son regard. Elle porte le sien vers quelque nuage. La colonie passe... Une très grande colonie... Aussi grande que le temps pour se comprendre.

- Ne me blesse jamais, dit-elle enfin, comme si elle avouait un secret absolu.

La colonie s’arrête. Toutes les fourmis, toutes les libellules, les bousiers, le chenilles, les passereaux dressent l’oreille. Les renards au loin restent nez au vent et patte levée.

- Et toi, dit-elle ensuite, qu’attends-tu de moi?

Il prend son bras.

- Viens. Marchons. J'ai des fourmis dans les jambes.

- Qu'attends-tu de moi?


...

Catégories : Liberté, Philosophie, Psychologie 4 commentaires

Commentaires

  • "«Il ne faut jamais dépendre d'un homme, ni procéder de lui». "

    les hommes et les femmes s'unissent fondent des familles, ils sonts dépendants l'un de l'autre.

    le discours féministe dit que les femmes ne sonts pas indépendantes, sous entendu l'homme le serait lui parce que quand la femme est au foyer c'est lui qui fait vivre la famille, erreur il n'est pas indépendant ce sonts les hommes seuls qui sonts indépendant.

    l'ami d'enfance de ma mére son fils a été quitté par son épouse, elle voulait retrouver son indépendance en gardant leur fils en touchant la pension alimentaire, et les aides de l'état pour garder son train de vie, son discours est dans la droite ligne du discours féministe, on ne peut pas à la foi fonder une famille et être indépendante !!!

    c'est une trahison envers son ex mari, la société l'oblige a subvenir aux besoin d'une épouse qui l'a trahi, cette femme a trahi un contrat moral et tout est fait pour que matérielement tout continue comme avant pour elle, la société et les lois se sonts substituer a son ex époux.

    c'est comme une exclusion supplémentaire de l'homme.

  • Ce "dialogue de l'ombre" mérite peut-être qu'on l'écoute un peu encore.

    La forme du dialogue permet de transmettre les multiples facettes de la problématique qui préoccupe hommelibre. C'est une sorte de synthèse non- argumentative de plusieurs billets récents et, à mes yeux, plus crédible ainsi.
    A la lectrice que je suis, ce dialogue prouve que son auteur n'est pas dans une position rigide et univoque.
    Les deux perspectives rendent mieux compte de ce qui se joue réellement dans les relations humaines, et pas seulement dans les relations de couple.
    Le dialogue permet une sorte de "thèse / antithèse" serré, avec de petites synthèses, si on cherche à vraiment s'entendre.
    Les attentes sont parfois un piège terrible, surtout si elles ne sont pas conscientes et formulées. Je lis ce texte comme un plaidoyer pour la communication verbale en général.

  • En effet Calendula, le mode du dialogue permet de mettre en avant plusieurs paroles. Ici c'est une tranche.

    En l'écrivant je me demandait: "Qu'est-ce que l'on n'entend pas les uns des autres?" Mais aussi, comme vous le soulignez: formuler, dire en clair. Et cela demande du temps, entre autres.

  • C'est drôle et paradoxal que ce billet soit suivi d'échanges enflammés concernant l'identité des commentateurs, ainsi que de noms d'oiseaux divers.
    La communication est un vaste champ et il est déjà difficile de s'écouter à deux, alors que dire des commentateurs, derrière leurs pseudos, qui voient des ombres partout.
    Ce n'est pas le dialogue dans l'ombre, mais la cacophonie des ombres.
    Ceci dit, je ne crois pas en l'harmonie universelle. ;-)))

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