Musique: La liste de Schindler.
Elle commence dos à la caméra.
Immobile, visage penché vers la glace.
Puis deux pas, lents, bras pendants.
Elle s’arrête en trainant un pied. Se retourne de moitié, regarde en arrière.
Puis encore un pas en avant, à contre-coeur. Soudain elle se retourne et revient en quelques pas rapides, enthousiastes, qui s’éteignent en glissant. Elle s’arrête, ouvre les bras. Le regard est profond, le visage attentif, grave dans la lumière de ses quinze ans. Elle est tournée vers quelque chose ou quelqu’un, dans une attente, ou un espoir. Mais le visage retombe.
Alors elle s’en va, en arrière, comme pour ne pas rompre le contact visuel. Et elle accélère, se retourne vers l’avant. Mais jusqu’au bout elle ira d’avant en arrière, d’allers en retours, comme si elle cherchait encore la joie et l’espoir. La lumière n’est jamais loin. Elle est dans ses bras et son visage, dans la perfection de ses mouvements.
Mais toujours une solitude l’accompagne. Un adieu, et un refus de l’adieu dans une course éperdue, fluide, légère, aérienne, comme un vent incessant qui l’emporte au loin, puis la rapporte.
Jamais loin d’elle-même. Elle est dans le geste, dans le mouvement. Parfois elle saute, elle saute par-dessus le destin des adieux des morts. Ces adieux silencieux, qui ne se taisent jamais. Ces adieux qui la poursuivent malgré sa course rapide et fluide où elle échappe à l’emprise du regard de celui que l’on perd, de ce que l’on quitte, et qui n’est jamais loin.
Son corps court, danse, tourne, rapide et précis. Elle court, peut-être, comme Forrest Gump courrait, mais plus légère, plus oiseau.
Cette musique est douce, lente. Elle parle des camps de concentration, de l’adieu à ceux qui vont disparaître, mais aussi de ceux qui seront sauvés par Schindler. De cet adieu, de cette atmosphère triste, elle fait des arabesques, des bonds légers. Elle dessine un monde où les portes ne se ferment pas définitivement.
A la fin elle revient au lieu de commencement et porte à nouveau son regard vers ce point que nous ne voyons pas. Nous ne voyons que son regard, et son corps qui s’immobilise. Elle regarde intensément. Elle semble dire: «Etes-vous toujours là?»
Julia Lipnitskaia est russe. Elle a 15 ans, un grand talent, beaucoup de travail, et un mental fort. Magnifique Julia Lipnitskaia. Depuis ce vendredi à Budapest elle est championne d’Europe de patinage artistique femme.
Commentaires
Absolument prodigieuse, merci pour la vidéo. A part ça, on dirait plutôt "elle est championne d’Europe de patinage artistique que "championne d’Europe de patinage femme". Surtout vous !
Cette jeune fille est stupéfiante. Elle se déplace sur la glace avec une aisance qui suggère que ce pourrait être son élément de naissance, elle est comme un poisson dans l'eau ou un oiseau dans les airs.
Ses bras sont très souples, poétiques et fluides, alors que ses jambes, pourtant toutes fines, lui confèrent une stabilité et une efficacité rares.
Et le tout donne une impression d'aisance et de facilité.
Je suis fan d'Evgueni Plushenko, qui a également cette élégance et ce style typiquement russes, mais le patinage de la jeune Julia n'est presque plus du sport, c'est vraiment de l'art ou de la magie.
En la regardant faire, on a l'agréable sensation d'évoluer soi-même avec cette légèreté, n'est-ce pas !? Je me suis demandée si elle ne réussissait pas à activer mes "neurones miroirs" ...
Voir dans Wikipédia :
"Les neurones miroirs sont une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité aussi bien lorsqu'un individu (humain ou animal) exécute une action que lorsqu'il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter la même action, ou même lorsqu'il imagine une telle action, d'où le terme miroir. Il existe également des neurones échos."
Géo, j'ai corrigé dans le billet. Je voulais bien mettre "femme" car c'est la catégorie féminine mais j'ai oublié "artistique". Je devais être encore sous le charme de ce patinage magnifique! :-)
Calendula: oui, il y a quelque chose comme cela, je ressens aussi cet élancement sur la glace comme si j'étais avec elle dans le mouvement. Une sorte de magie, oui. Elle réussit à objectiver la distance et en même temps à être si proche par ses gestes et sa manière à elle d'être là. C'est ce que je tente d'exprimer en parlant d'allers et retours, de s'éloigner et de n'être jamais loin.
Je pense aussi que c'est dans l'intention de la chorégraphie. On aurait pu imaginer, sur ce thème grave, qu'il y ait plus de moment de pause ou d'intériorisation. Or il n'y a que celui du début, qui place tout (et son visage à ce moment!), et le tout dernier regard à la fin.
Le reste est une sarabande continue où j'ai le sentiment de devoir aller chercher où elle est, de me rapprocher d'elle pour entendre ce que dit ce mouvement si leste et léger, ce que disent ses bras, alors que la musique est grave.