Peut-on changer la France? Oui: en réformant sa territorialité. Les couches administratives de base qui servent de socle au maillage de l’Etat en France, sont anciennes. Ce sont les communes, les cantons et les départements. Par dessus, plus récentes, on trouve les intercommunalités et les régions, puis l’Etat central.
L’objectif de la transformation est presque une révolution tant il modifiera les mentalités, les pôles de décisions et de croissance, et apportera un certain fédéralisme français, en particulier en diminuant de manière drastique le leadership parisien.
Le premier point est d’oublier Paris. C’est-à-dire de bien distinguer la capitale et siège du gouvernement d’une part, et la région dynamique qui va jusqu’au Havre d’autre part. Depuis deux siècles le pays est suspendu à sa capitale. Les voies de communication routières et automobiles le démontrent: en image 2 (cliquer), le réseau du rail en 1920 reliait toutes les régions avec de nombreux trains régionaux; en image 1 les années 2000 montrent la totale emprise de Paris et la disparition de trains régionaux. Certains, encore sur la carte, ne circulent plus, comme le Grenoble-Sisteron.
L’évolution économique du monde va vers des grand pôles capables d’échanger facilement. Les nations de taille moyenne sont trop petites pour la mondialisation économique. Elles doivent se développer de manière plus large, et cela ne passe pas forcément par la fusion des pays entre eux. Les nations restent cependant, politiquement et administrativement, des entités nécessaires pour différentes raisons. Le centralisme français a été utile. Aujourd’hui il est devenu un obstacle majeur à l’essor économique. Au sein de l’Europe les échanges ont été abondants depuis la Gaule et l’empire Romain. Aujourd’hui encore la mobilité sur le continent est primordiale et une nation n’est riche que de l’ensemble de ses forces libérées.
Réduire les coûts ne suffit pas
Il faut éviter d’empiler des régions sans un axe majeur de réflexion qui en dessine le contour et les objectifs de manière ambitieuse. Le projet de François Hollande est un empilage sans ligne directrice dont on ne voit pas par quelle réflexion il a été élaboré. L'ambition est en panne. Il semble qu’il ait voulu préserver certains amis de son parti et ne pas toucher à leur fief. Malgré les quelques bonnes intentions annoncées - pour une fois rendons-lui hommage, il a exprimé quelques idées - le projet gouvernemental est vieillot, fondé principalement sur la démographie des nouvelles régions. C'est un projet digne d'un préfet du XXe ou du XIXe siècle, pas d'un président actuel. Le but est évidemment de réduire des coûts de fonctionnement, de diminuer les doublons, d’augmenter le PIB de chaque région. L’intention d’égaliser quantitativement les nouvelles régions est lisible dans ce projet. Mais pour reprendre son essor la France doit en finir avec son hochet égalitariste qui est mis à toutes les sauces, même les plus indigestes.
Le résultat est que cet ajustement ne crée aucune dynamique nouvelle. Une fois les économies réalisées, ce qui est certes bon pour l’Etat, les questions de grandes décisions économiques, de bassins de populations pouvant attirer de grandes industries, de formation spécifique et donc de contenu des programmes, restera sous la férule centralisatrice de Paris. Parce que cette réformette n’est pas un véritable fédéralisme. Or le grand changement français sera le fédéralisme.
En explorant quelques projets, puisque l’idée de cette réforme n’est pas nouvelle, j’ai découvert celui de l’UDI (image 3). Il est intéressant à plus d’un titre. Le premier point est d’organiser 7 à 8 grandes régions autour d’une métropole à vocation internationale. Si la mobilité est un fait majeur du développement des sociétés, il faut la privilégier. Les 7 à 8 régions doivent s’organiser autour de métropoles ouvertes et connectées au monde par le plus grand nombre de moyens: route, rail transport aérien, transport maritime.
Chaque région doit disposer d’activités d’industries, de commerces et de services comme dans toute économie de complémentarité moderne. Chaque entreprise, coeur de la dynamique économique, doit pouvoir trouver de l’espace pour s’installer, des sous-traitants de qualité, un large bassin de population bien formée, des infrastructures performantes. Les habitants doivent pouvoir migrer d’une région à l’autre sans passage par Paris, donc la transversalité des régions sera développée.
Un projet ambitieux
La région doit gérer ses routes, ses bâtiments, sa promotion, sa fiscalité, sa police, sa justice, ses oeuvres sociales, comme un petit pays de 8 millions d’habitants. Les relations avec la capitale seront inversées. Les régions seront l’unité dynamique du pays. L’Etat ne gardera que quelques activités régaliennes, dont la supervision de la péréquation financière entre régions riches et moins riches. L’égalité ne viendra pas du nombre d’habitants par région mais à l’arrivée, par cette forme de redistribution pour laquelle le rôle de l’Etat-nation reste important.
Le projet de découpage gouvernemental proposé par le tandem Hollande-Valls (image 5) ne change pas vraiment la prédominance parisienne. Il ne tient pas assez compte des bassins d’emplois et de mobilité. Il garde des régions enclavées, hors des grands flux de mobilité actuels, loin de la banane bleue économique européenne (de Londres à Milan, image 4) et sans force suffisante pour la concurrencer.
La Corse par exemple reste une région entière, avec ses 300’000 habitants. Cela n’a pas de sens, sauf à avoir peur d’y toucher. Hollande n’a pas voulu non plus prendre de front son ancienne compagne Ségolène Royal et n’a rien touché dans sa région. Il y a dans le nord et l’ouest des regroupements plus importants à faire, même s’ils débordent des frontières linguistiques et culturelles anciennes. Il y a au sud-ouest une seule région à créer, de l’Atlantique à la Méditerranée, susceptible de devenir une locomotive dans cette partie oubliée loin de la banane bleue. Le concept de Hollande est minimaliste, timoré, à l’image du personnage. Il imposera quelques arbitrages pour dire qu’il existe, mais il n’apporte pas de changement du niveau souhaité.
Le site territoiresenmouvements expose davantage les principes et orientations de ce projet UDI, plus ambitieux et moderne. Il vaut la peine de le lire pour comparer un vrai projet pensé, dynamique, à celui de Hollande qui n’est qu’un empilage sans principe directeur fort, et qui sera à refaire dans les 10 à 15 ans, quand la France n’aura toujours pas retrouvé de dynamique industrielle.
La carte proposée par l’UDI (image 3) montre les pôles régionaux autour de grandes villes, de ports, de fleuves et d’aéroports. Le Centre-France élargi pourrait connaître un grand essor si la région définit elle-même ses besoins, dispose de moyens et crée les voies de communication indispensables pour la désenclaver. Etant actuellement moins développée, l’installation dans cette région serait moins coûteuse pour les entrepreneurs en même temps que proche de toutes les grande connexions.
L'idée que je suggérais dans le premier article soit la limitation de la libre-circulation des travailleurs (non pas absolue mais adaptée aux besoins), pourrait être mise en application par les régions: elles connaissent leurs besoin, évaluent leurs projets, quels sont les besoins spécifiques en travailleurs, peuvent anticiper et créer les infrastructures (logements, routes, etc) de manière à ce que l'accroissement de population s'intègrent facilement dans le paysage régional.
Le projet Valls-Hollande servira surtout l’Etat grâce aux économies envisagées, mais ne servira pas le développement économique. Les régions doivent être grandes et libres, construites sur des flux de mobilité et des connexions européennes et mondiales. Hollande joue petit bras. Cela s’explique: ce projet lancé à la va-vite après deux élections perdues et un bilan nul (le mariage pour personnes homosexuelles n’étant qu’une mesure clientéliste, qui de plus a provoqué une cassure en France), sert à faire diversion et à dépolitiser le débat. C’est le dernier atout d’une présidence à la dérive qui tente une esquisse de reconquête.
La mesure structurelle est nécessaire, mais le projet est trop peu ambitieux pour changer vraiment quelque chose. Mais que peut-il faire en trois ans, alors qu’un tel projet demande une longue préparation, des discussions, des appuis et un discours clair avant d’être élu, des avantages limpides, une évaluation des résultats, et être mis en chantier dès le début d’un quinquennat.
Hollande Petit-Bras fait diversion. Il est important que d’autres projets sortent et soient débattus dans le public. Cette réforme, presque une révolution des mentalités, qui pourrait essaimer en Europe car économiquement viable et plus démocratique, est trop sérieuse pour être laissée aux seuls politiques.