J’évoquais hier le projet de fusion des régions présenté par François Hollande, sorte d’empilage sans dynamique particulière et découpage obéissant à de possibles pressions politiques sur le président. On ne voit pas en effet la justification de fusionner certaines régions et d’en laisser d’autres intactes.
En comparaison le projet de l’UDI et de Territoires en Mouvement semble construit sur une vraie dynamique et sur des principes de connectivité des régions susceptibles de contribuer à leur développement économique.
Aujourd’hui la presse relaie des critiques contre le projet gouvernemental. Ces critiques ou oppositions viennent du Front National et du Parti de gauche, ainsi que du mouvement Debout la République du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan.
Les opposants redoutent que les super-régions ne créent de nouvelles baronnies, de nouvelles féodalités. Marine Le Pen affirme que la création de grosses régions sur le modèle allemand «est une menace pour l’unité nationale et l’indivisibilité de la République». C’est le discours centralisateur et autoritaire des anciens Jacobins de la Révolution.
Jean-Luc Mélenchon, du Parti de Gauche, pense pour sa part: «Exit en effet une République une et indivisible répondant aux valeurs de solidarité et d’égalité des citoyens, voilà le retour d’une France d’ancien régime au service de grands barons».
Gauche et droite nationales tiennent à peu près le même discours: un discours centralisateur et jacobin. Ils craignent en outre que l’effacement des départements, et le renforcement des intercommunalités au détriment des communes, n’éloigne encore plus les citoyens des pouvoirs de décisions.
Il est surprenant d’invoquer la perte du pouvoir citoyen ou l’éloignement des élus d’avec le peuple: c’est déjà le cas dans le système actuel. En effet le centralisme très marqué en France, très hiérarchisé, additionné au sentiment de prestige et de supériorité de la fonction d’élu (au-delà des maires), est par excellence le système qui a conduit à un éloignement marqué entre les électeurs et les élus. La grande hiérarchisation du pouvoir le rend inaccessible. Et comme en France, toujours atteinte des séquelles de la Révolution, toute décision est imposée sans négociation, je ne vois pas où l’argument d’une République une et indivisible réduirait le mode contraignant de gouvernance et l’élitisme politique en vigueur.
La France n’est pas divisée du fait des régions. Elle est au contraire d’une rigidité exceptionnelle. S’il faut attendre que le gouvernement soutienne une entreprise menacée parce que cela sert son idéologie, plutôt que de laisser les flux naturels opérer, on attendra longtemps. Le gouvernement n’a aucun bénéfice direct à soutenir une industrie, sauf à brasser du vent, alors qu’une région en a beaucoup: pour l’emploi, pour les ressources fiscales, pour la qualité des services publics.
Certains s’opposent aux régions parce qu’ils sont opposés à l’Union Européenne. Or les deux choses doivent être comprises de manière distincte. Les régions, les super-régions peuvent s’accommoder de l’Etat-nation. Elles en ont besoin pour garder un corpus unitaire dans certains domaines, et pour une péréquation financière entre elles.
Les réactions d’opposition montrent que les souverainistes développent des doctrines rigides, alors que le pays a besoin de sortir de ses carcans idéologiques pour reprendre une dynamique. Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan ne sont dès lors pas la solution: ils font en réalité partie du problème français.
La France ressemble de plus en plus à une vieille dame grincheuse et rigide. De tous côtés on tire dans le tas dès qu’il y a une nouvelle proposition, au noms de principes de plus en plus confus.
Le conservatisme français est partout: à gauche, à droite, dans les moeurs avec la réhabilitation du mariage (homo) - institution conservatrice s’il en est, dans le féminisme qui conduit au retour du puritanisme, dans des lois et des pratiques liberticides, dans le formalisme étouffant de la bien-pensance, dans l’incapacité notoire à se projeter dans l’avenir autrement que selon des acquis branlants (Etat-providence qui n’aura bientôt plus les moyens de ses ambitions), dans l’arrogance à exiger des droits sans donner la contrepartie d’enthousiasme et de participation accrue au système. La France est devenue réactive, arrogante et sondagière. Comme elle est incapable de se remettre en question, elle va dans le mur. Et personne n’a le début de la solution pour éviter le crash.
Intellectuellement la France est en état de catalepsie.
Images: source.
Commentaires
Il y a quelque chose de très intéressant dans l'idée des régions. Cependant ce projet nécessite de quitter de très anciennes références. De faire table rase de vieilles habitudes.
Or dans la désorientation actuelle de la France, les vieilles références, les vieilles images représentent peut être bien la seule sensation de sécurité.
J'ai parfois le sentiment que l'âme de la France est profondément royaliste, même s'ils ont coupé la tête de Louis XVI. L'unité républicaine l'a remplacée avec une présidence forte.
C'est cela qui démange probablement tout au fond. Peut être bien aussi, que l'idée d'une Europe des régions décapiterait tout autant le sentiment national, je peux le comprendre. Car une nation semble être une dimension adéquate pour un sentiment identitaire d'appartenance locale sous l'égide d'une cohésion nationale.
Il ne faut pas sous estimer le sentiment populaire, car il représente la dynamique des forces vives d'un pays qui touche tous les niveaux de la société.
La France est dans une crise de métamorphose identitaire, ce travail ne s'accélère pas de manière artificielle. La lenteur du processus révèle bien qu'il s'agit d'une nation qui a eu de grandes constructions qui ne cèdent pas si facilement dans le subconscient.
Dans une situation qui se pourrit lentement. Les éléments nouveaux doivent frotter un moment jusqu'à ce que la perméabilité se fasse et crée ainsi un adn enrichi. Nul ne peut anticiper l'image
du futur bébé.
Très intéressante réflexion Aoki. La conclusion est prenable, et la lenteur inévitable.