Dans le canton de Lucerne les habitants d’Emmen ont été invités à embellir les murs de béton de la commune. Selon l'article de la Tribune cela dure depuis environ sept ans. Des enfants d’une école, petits Picasso en herbe non psychédélique, se sont lancés dans l’aventure. Ils devaient peindre des instruments de musique. L’un a choisi le cor des Alpes, sur fond de drapeau suisse. Quoi de plus suisse que le cor des Alpes?
La représentation du drapeau n’était pas demandée. L’enfant a spontanément ajouté ce symbole, explicitant bien de quel cor il s’agit. L’enfant est malin, car non seulement il contextualise un instrument qui n’est pas aussi connu que la guitare, en indiquant son origine, mais par là il le différencie d’autres instruments semblables comme le cor tibétain ou certains gros didgeridoo australiens. Voire de certaines pipes.
On peut imaginer sa fierté, son sentiment d’appartenance et d’identité, à peindre cet instrument unique, un instrument qui vient d’une histoire et d’un territoire. On associe souvent le lancer du drapeau à ce cor des Alpes traditionnel (image 2). C’est alors quelque chose de typique, partie intégrante d’une culture. C’est la culture populaire des montagnes suisses. C’est aussi de là que venaient certains de nos ancêtres.
Je peux comprendre que certains n’aiment pas cette musique. Etant fils d’immigrés européens, né en Suisse et naturalisé, ce n'est pas ma musique d'origine. Mais je trouve intéressante cette tradition, ce moyen de communication entre les versants des montagnes - l’ancêtre de l’iPhone! - et les sons harmoniques qui en sortent. Et l’on verra avec Eliane Burki (image 4 et vidéo à droite) que l’on peut faire chanter un cor sur des musiques très modernes.
Le sentiment d’appartenance est un fait psychique contribuant à définir notre identité sociale, géographique, souvent linguistique, intime même dans ce que les sonorités du cor évoquent, soit notre représentation de nous-mêmes, entre autres. Le passage par une identité, même régionale, même locale (j’habite tel quartier ou tel village) est une étape vers de plus grands sentiments d’appartenance. On retrouve ces étapes partout. En Afrique le village d’origine, puis l’ethnie, sont importants.
La citoyenneté nationale vient après. Je n’y vois pas de nationalisme sombre, et je conçois la nation comme un espace de regroupement, pas comme un enfermement. Il n'y a pas d'opprobre à se sentir une appartenance. Je n'accepte pas que la mémoire douloureuse des anciens nationalismes carnassiers continue à polluer ma culture et à contaminer la pensée. Il faut en sortir.
Nos identités sont une force dans le fait de devoir assumer nos différences. Car si nous sommes tous et toutes des frères humains et des soeurs humaines, nous ne le sommes pas de la même manière. Deux enfants habitants le même village mais issus de deux familles différentes sont marqués chacun par son origine familiale. Il y a des points communs entre ces enfants, et d’autres spécifiques et différents. Les points communs participent à une identité collective, les autres à l’identité individuelle. Il en est ainsi tout au long de la chaîne de croissance de l’identité.
D’ailleurs un autre enfant d’Emmen a peint un instrument albanais avec, en fond, l’aigle à deux têtes. D’autres ont alors voulu dessiner le drapeau de leur pays mais la place a manqué.
Castration
Un prof intelligent aurait amené les enfants devant le mur pour expliquer tout un pan de l’histoire suisse grâce à cette illustration: d’où vient le cor, en quoi et comment est-il fait, à quoi il servait entre les versants des montagnes, quelle était la vie dans la montagne, comment se déroulaient les fêtes où la musique réunit les gens d’une région, pourquoi les costumes. Bref, il y avait matière à enseigner en suscitant l’intérêt et le plaisir. On peut aussi étudier l’origine des enfants natifs d’un autre pays en classe, à un autre moment. Chaque enfant peut alors faire un dessin dans l’esprit du mur peint, dessin qui sera ensuite posé sur les murs de la classe.
Mais le directeur de l’école, croisement entre Zorro (pour le plaisir de punir) et Harlem Désir (pour l’intelligence), ne l’a pas entendu de cette oreille. L’enfant malin, fier, audacieux, va être moralement castré, violenté pour avoir osé être aussi malin. Ni une ni deux le justicier suspend les travaux de peinture et demande l’effacement de la croix blanche. On voit en images l’avant et l’après (image 1 et 3). C’est la face stupide du mondialisme: ne plus revendiquer d'identité régionale, même dans son propre pays. Mais, si l’on ne respecte pas notre propre origine, pourquoi aurait-on envie de respecter celle des autres?
La décision du directeur est motivée ainsi: «Pour ne pas pénaliser les enfants étrangers dont le drapeau ne figure pas sur le mur». Ah ben, ça, les petits suisses ne vont quand-même pas se la péter, non mais! Et le petit albanais encore moins. On connaît l’Histoire: ça commence par le drapeau, ça finit par des fours crématoires.
Et pourquoi ne devrait-on pas les pénaliser? Serait-ce une injustice ou une inégalité? Eh bien c’est comme ça. Dans un pays, les citoyens natifs ou naturalisés sont plus égaux que les étrangers. Cherchez partout et trouvez-moi un seul pays où ce serait différent. Il y a une préséance nationale, associée au fait que le citoyen a également plus de devoir envers l’administration dont il relève, et le pays-nation plus de devoir envers lui également. Si vous tombez malade à Bangkok ce n’est pas le consulat de la Thaïlande qui vous rapatrie en Suisse. Il n’y a là rien de haineux, de discriminant au sens de détestation de l’autre ou de valorisation d’une supposée supériorité.
Je ne sors pas le drapeau étoilé de la Confédération intergalactique quand je prends place sous un chapiteau de la fête nationale. Le drapeau suisse en Suisse reste une priorité, me semble-t-il. En France c’est le drapeau français. Aux USA le drapeau américain. Si, si, vérifiez, c’est comme cela partout. Même la gauche utilise un signe distinctif: le drapeau rouge. Les écolos la couleur identitaire verte, symbole de l’idéologie de la nature oubliée. Alors laissons à ces enfants au moins ce drapeau peint avec le cor. Pour ceux qui sont du pays, et pour ceux qui y sont reçus. Il n’y a ni injustice ni négation de l’identité des enfants étrangers. Ne prétextons pas la pénalisation ou la discrimination pour interdire, castrer, mélanger déni et humanisme. Tout le monde différencie, discrimine, à bon ou mauvais escient. Tout le monde se veut à la fois universel, identique aux autres, et différent, singulier. On ne résout pas ce paradoxe en supprimant ses termes.
Ne mélangeons pas tout, sachons encore distinguer les choses. Cette distinction est la base de l’apprentissage de l’autre et du respect. Quand je suis invité quelque part, je ne demande pas à mettre mes slips dans la commode de madame, et je n’attends pas que mes hôtes vident leur penderie pour que je ne me sente pas discriminé ou pénalisé. Quand je suis ailleurs que chez moi je suis pénalisé: je ne peux pas repeindre les murs à mon goût, changer les meubles de place, aller me servir à boire sans demander l’autorisation à mes hôtes. Oui, c’est aussi tout cela que contiennent le concept d’appartenance et ses symboles.
La décision du directeur d’école de Emmen entretien la confusion des valeurs. Elle manifeste un déni de réalité au nom de je ne sais quelle idéologie de la non-discrimination. Oui, discriminons, distinguons, ouvertement, librement, légitimement, joyeusement. Grâce à la discrimination nous apprenons à reconnaître nos différences. Car, si nous sommes tous frères et soeurs, il n’y a rien de plus faux, dangereux et incomplet à la longue d’être tous «mêmes».
Ici une prestation de cor des Alpes selon la tradition musicale. En haut à droite de ce blog, Eliane Burki nous propose quelque chose de plus funk.
Cor des Alpes, Nendaz 2007
Commentaires
Tout à fait d'accord avec vous John, cette histoire d'effacement du drapeau suisse dans cette école d'Emmen est parfaitement ridicule. L'ennui naquit un jour de l'uniformité, dit-on. Alors uniformisons !
A propos de cor des alpes, cet instrument a gagné ses lettres de noblesse, il est aussi sorti des frontières, promu qu'il a été par Jozsef Molnar, citoyen suisse d'origine hongroise, son meilleur ambassadeur. Preuve que toute culture est perméable à qui veut se donner la peine de la découvrir. Les élèves d'Emmen eux n'auront pas cette chance. Tant pis pour, ils se rabattront sur le Coca et les IPad.
http://www.molnar-zeiter.ch/musicien_molnar.php
Cordialement !
L'incident est clos.
La section cantonale UDC s'en est chargée de repeindre la croix sur le mur.