Dans un récent billet je citais les propos très durs d’une féministe radicale contre la Grossesse Pour Tous. Jusqu’à présent ma position est que l’on ne pas commercialiser l’enfant, donc pas plus le foetus. L’enfant ne doit pas être un produit du marché. Conséquence: on ne devrait pas, on ne doit pas payer pour une GPA.
L’encadrement de l’Etat...
D’autre part, en cas de GPA ou de PMA pour lesquelles on fait appel à un donneur de sperme, la trace de la filiation paternelle doit rester. Pourquoi? Parce que la biologie reste, qu’on le veuille ou non, un marqueur fondamental de l’identité familiale. La demande de pensions alimentaires aux pères biologiques confirme cela. L’exception existe en cas d’adoption, situation particulière qui suit une longue procédure par laquelle on valide un transfert juridique de paternité ou de maternité. Ce qui n’empêche pas les enfants adoptés de rechercher leur origine biologique.
De ce point de vue il semble normal que l’Etat interviennent pour encadrer juridiquement et socialement la reproduction. Toutefois la grossesse pour autrui peut se passer sans l’accord de l’Etat ou d’une législation. Tous ceux qui le veulent peuvent demander les services d’une femme, même si la loi s’y oppose. Il est toujours possible de trouver un stratagème, comme d’utiliser les services d’une femme d’un pays où c’est autorisé.
Mais après avoir posté cet article quelques questions me sont venues. La principale est: au nom de quoi condamner la GPA? Deux tendances s’opposent. L’une d’elle est ce que j’appelle la judiciarisation. On légifère pour interdire la GPA, ou la prostitution, et l’on punit ceux ou celles qui y font appel. La loi, qui représente la société au travers de décisions politiques, pose le cadre de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas. Elle prévaut sur la liberté individuelle. Elle est contraignante et fait référence à une morale, à un bien et un mal. Elle propose et pose le cadre de ce qui est collectivement souhaitable ou non. Par exemple l’Etat ou les chefs de clans, voire la population elle-même dans certains cas, interdisent et punissent l’assassinat. C’est une condition indispensable à la survie du groupe.
Il paraît légitime que la loi régisse en partie les relations entre les humains, et que cela passe par un formatage préalable des comportements (éducations morale). En même temps la liberté individuelle de choix de vie et de comportement est aujourd’hui largement garantie. Elle est même une condition de l’adhésion sociale et de l’épanouissement personnel. Il en résulte que les relations sont contractualisées: contrat entre les individus sur la base du libre consentement, contrat envers la société par l’acceptation des lois et règles.
La GPA est un signe d’une contradiction majeure entre la loi collective et le choix individuel. On interdit la GPA pour une raison morale: ne pas faire de l’humain un produit de marché, ce qui rappelle l’esclavage et le droit de certains sur la vie d’autrui. Car dans la GPA, en quelque sorte, on s’approprie d’un corps en payant - et l'on sait qu'aujourd'hui c'est un véritable business qui se développe autour de la GPA.
... ou la liberté individuelle?
Simultanément, la liberté à disposer de son corps fait partie de la liberté individuelle puisque la contrainte est à l’opposé du libre consentement. Or le fait de verser de l’argent à une mère porteuse ou à un donneur de sperme introduit une notion monétaire qui peut être considéré comme une forme de rémunération, donc d’appropriation et d’une autre forme de contrainte - à laquelle celle imposée par l’Etat (l’interdit de GPA) est supposée poser une limite.
Cette rémunération est destinée censément à couvrir les frais de la mère porteuse. Mais d’une part ce n’est pas exact. Dans le cas que je citais dans un autre billet, la mère souhaitait entre autre rembourser ses dettes grâce à l’argent reçu. D’autre part tout échange d’argent autour de l’enfant pourrait/devrait être considéré comme une monétarisation de celui-ci. La GPA doit-elle être considérée comme un simple échange de service, et la monétarisation comme résultant d’un contrat individuel ne concernant pas le foetus? Ou le fait de porter un foetus n’est-il pas justement la raison de la rémunération?
La liberté individuelle implique de disposer de son propre corps, ce d’autant plus que le corps est le lieu initial et final de l’individu social et juridique. Il n’y a pas de responsabilité juridique et sociale sans liberté d’action incarnée dans le corps. Comment résoudre cette contradiction: interdire au nom d’une morale - pour autant que la morale relève de l’Etat laïque, ce qui est une contradiction supplémentaire et dangereuse car intrusive et décisionnaire de la vie des individus - ou laisser chacun faire ce qu’il veut de son corps, y compris dans le domaine de la reproduction, au nom de la liberté fondamentale des sociétés libérales ancrées sur le contrat et la libre disposition de soi-même?
Faut-il donner à l’Etat le droit de penser notre vie? On pourrait répondre à cela qu’en condamnant le vol ou l’assassinat, l’Etat le fait déjà et impose des valeurs morales. Je n’en suis pas certain. La morale est enseignée par la famille, par la nature, par la religion ou toute forme de philosophie éthique. L’Etat, en punissant, ne fait qu’administrer les conséquences d’une entorse à la morale. Il ne fait que séculariser la morale. Il n’est pas la source de la morale, ce d’autant moins qu’en société de démocratie libérale le politique et l’alternance dominent le religieux et le philosophique. Imaginer que l’Etat détermine la morale c’est donner à celle-ci une dimension très relative puisque dépendante de chaque mouvance politique qui accède au pouvoir.
La question de considérer la GPA comme un libre échange de service limité au cadre privé, ou de l’encadrer et de l’interdire par intervention étatiste, reste pour moi ouverte. Je ne dispose pas de synthèse, actuellement, pour résoudre cette contradiction entre la liberté individuelle et la légitimité de l’intervention de l’Etat. Pour moi qui aime penser en ET/ET, je n'arrive pas ici plus loin que le OU/OU.
La liberté à disposer de soi et d’échanger des services est une chose. La préservation de la filiation, de l’identité et de l’intégrité comme rempart contre la marchandisation en est une autre. Je ne partage pas la croyance moderne que l’humain est avant tout redevable d'une construction sociale. Le corps, et son origine biologique, me semble être un ancrage fondamental. Cette vision plus anthropologique que morale pourrait-elle tenir lieu de synthèse?