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Raciste, Willy Sagnol ?

L’ancien joueur des bleus, entraîneur de Bordeaux, est au centre d’une polémique. Il a tenu des propos considérés comme racistes par une bonne partie du milieu footballistique. Il s’en est excusé, mais la question reste: ses propos sont-ils racistes?

racisme,sagnol,foot,afrique,joueurs,Les propos incriminés sont les suivants:

«L’avantage du joueur typique africain, c’est un joueur pas cher quand on le prend, prêt au combat généralement, qu’on peut qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot, ce n’est pas que ça. Le foot, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline. Il faut de tout. Des nordiques aussi, c’est bien les nordiques, ils ont une bonne mentalité. C’est un mélange, une équipe de foot. C’est comme la vie, c’est comme la France, c’est un mélange. On a des défenseurs, des attaquants, des milieux, des rapides, des grands, des petits, des techniques.»

On lui reproche deux choses: d’une part de dire des généralités sur les joueurs africains. Or toute généralité est aujourd’hui considérée comme une insulte de type raciste. D’autre part, mentionner l’intelligence en laissant entendre que les africains n’en ont pas, et proposer plus de nordiques, donc en principe de blancs.

Premier point: la généralisation est-elle une stigmatisation? Le racisme historique du XIXe et XXe siècle s’est forgé sur la stigmatisation des peuples soumis. Les africains étaient qualifiés de paresseux, entre autre. Or rien ne démontre que tous les membres d’une même ethnie soient identiques entre eux et feraient tous preuve de traits de personnalités exactement similaires. C’est abusif. Il suffit de voir la diversité des personnalités qui vivent en Europe pour se rendre compte de la non-pertinence de cette idée.

Cependant il peut exister des caractéristiques culturelles partagées par plusieurs. Il y a ainsi des écoles de foot, des manières de jouer reconnaissables. Ne disait-on pas en 1998 lors de la coupe du monde, que les français jouaient comme des brésiliens?

Que les joueurs africains soient peu chers au début, cela tient à l’économie des pays dont ils viennent. Ils savent que jouer en Europe est une opportunité unique pour eux. Ils vont donc se donner à fond. Certaines équipes sont plus physiques, d’autres plus stratégiques. Il serait intéressant d’étudier la manière de jouer des nouveaux joueurs originaires d’Afrique pour vérifier s’ils jouent tous plus physiques que stratégiques.

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D’autre part leurs pays ont moins de moyens et de filières de formation que les pays européens. Il est donc possible qu’ils jouent moins stratégique - Sagnol ayant précisé qu’il parlait bien d’intelligence tactique. Cela ne tient pas à l’origine mais aux formations sur place.

Cela dit, on peut se demander pourquoi l’équipe de France de 2006 était composée de sept joueurs d’origine black, trois d’origine caucasienne et un d’origine nord-africaine. Il n’y a pas de proportionnalité, puisque les français d’origine black ne sont qu’un faible pourcentage de la population. Or ici, sept sur onze font près de 65%. Serait-ce que les joueurs d’origine africaine ont quelque chose que les caucasiens n’ont pas? La question est très sérieuse. Soit ils ont quelque chose de spécifique, auquel cas une généralisation n’est peut-être plus aussi abusive. Soit ils ne l’ont pas, et dans ce cas on ne comprend pas les pourcentages dans cette équipe.

Généralisons encore un peu. Pourquoi les éthiopiens gagnent presque toutes les courses d’endurance? Parce qu’ils s’entraînent à courir chez eux sur les hauts plateaux, depuis tout petits. Mais aussi parce que leurs caractéristiques physiques, leur musculature, permettent cette endurance.

Côté généralisation valorisantes, je n’ai rencontré aucun africain qui dénie le fait que son pénis soit plus grand que celui des blancs. Ce n’est d’ailleurs pas la seule généralisation exprimée sur les blancs: qu’ils ne savent pas danser, pas jouer du djembé. De manière générale on estime que les blancs sont de moins bons athlètes que les noirs. En tant que blanc je ne me sens pas stigmatisé quand je lis cela. Et avant de dire que c’est du racisme, on pourrait se demander si c’est vrai, et étudier tous les résultats en fonction de la présence de blacks dans certaines disciplines. Ce qu’aucun journaliste n’a fait, à ma connaissance.

Au fait, pourquoi Willy Sagnol s’est-il aventuré sur le sujet? Parce que les joueurs africains passent deux mois tous les deux ans dans leur pays d’origine pour la Coupe d’Afrique des Nations. Ce qui rend aléatoire l'organisation de l'équipe à certaines périodes.

«Tant que je serais entraîneur des Girondins, il y aura beaucoup moins de joueurs africains qui rejoindront les rangs de Bordeaux parce que je n’ai pas envie de me retrouver avec douze joueurs, qui, une fois tous les deux ans, se barrent pendant deux mois». 

 

 

Catégories : Philosophie, Politique, société 4 commentaires

Commentaires

  • à force de voir du racisme partout, il perdra de son sens.
    Tout abus est à condamner.

  • les bien pensants sont de plus en plus pénibles, un entraineur n'a même plus le droit de faire une analyse objective sur les joueurs, ah ils rigolent les immigrés qui sont chez nous, quand ils voient des bêtises pareilles, ils peuvent être intolérants en toute impunité, voilà à quoi même ce genre de débilité, voilà le résultat des lois de censure.

    c'est aussi à la mode de traquer le racisme par les temps qui courrent.

    extrait des "yeux grands fermés" de michéle Tribalat.

    "La prudence est de rigueur, d'autant que le racisme est présenté comme une maladie capable de frapper aveu-glément sans que les nouveaux malades soient toujours conscients de leur affection nouvelle. Ils sont, en quelque sorte racistes « à l'insu de leur plein gré ». Tout homme bien portant est peut-être un malade qui s'ignore1. La vigilance s'impose donc tous azimuts et détruit la confiance minimum nécessaire à un débat sain. Tout homme apparemment en bonne santé doit faire la preuve en permanence de son innocuité et donner les gages suf-fisants pour détourner le soupçon. Par principe de pré-caution, à la moindre toux, on suspecte le patient d'être atteint de la grippe. La chasse au suspect est devenue un sport prisé, avec l'avantage non négligeable de fournir la preuve la plus crédible que l'on n'est pas atteint soi-même. C'est un peu la rhinocérite à l'envers : il faut trouver des cornes à ses voisins. Cela fait des années que cette chasse empoisonne le débat français et handicape ce pays. Cette rhinocérite fait le bonheur des médias, mais gangrène les sciences sociales. Les chercheurs et les experts sont eux-mêmes, quelquefois, trop occupés à se prémunir de la sus¬picion, y compris, le cas échéant, en dénonçant leurs petits camarades, quand ils ne le sont pas à redresser l'opinion publique, pensant ainsi faire œuvre utile.
    Telles sont les armes puissantes d'une nouvelle uto¬pie progressiste, mais profondément obscurantiste, que Pierre-André Taguieff a vertement critiquée sous l'appel-lation d'« immigrationnisme1 ». Il y voyait, lui aussi, une méfiance à l'égard de la connaissance : « Si l'immigration est un bien commun de l'humanité, il faut la favoriser par tous les moyens. Vouloir par exemple la connaître selon des méthodes scientifiques, en formulant des distinctions conceptuelles consistantes et en établissant des statisti¬ques fiables, c'est déjà manifester une défiance coupable à l'égard de ce qui doit être globalement accepté, les yeux fermés. Pour la belle âme immigrationniste, le devoir d'accueil sans réserve implique une obligation de mécon-naissance. L'ignorance ou la connaissance vague devient une preuve de bonne disposition vis-à-vis des flux migra-toires. L'acteur politique ne peut être qu'un spectateur qui applaudit au réjouissant spectacle, quitte à en facili¬ter le déroulement. »
    Ce que manque, à mon avis, l'article de Pierre-André Taguieff, c'est la prise en compte des intérêts de classe des promoteurs et des croyants à ce nouveau progres¬sisme. Certes, en détenant l'arme absolue — l'accusation de racisme —, ils renforcent leur « pouvoir symbolique ». Mais faire peur et empêcher tout débat sur les effets réels de l'immigration a l'énorme avantage d'éviter de dévoi¬ler ses intérêts propres. S'il y a dépolitisation, comme le souligne justement Pierre-André Taguieff, c'est aussi en ce sens. Une société qui ne peut identifier les inté¬rêts contradictoires des groupes sociaux ne se donne pas les moyens de procéder à des arbitrages politiques transparents, susceptibles d'être sanctionnés par les élec-
    teurs. Or des intérêts de classe existent bel et bien sur la question de l'immigration puisque ce sont les salaires des moins dotés en qualifications qui sont pénalisés par l'immigration telle qu'elle est aujourd'hui, ne seraient-ce que ceux des immigrés de plus longue date, alors que les employeurs et les salariés qui ont les moyens de profiter des divers services rendus par les immigrants — garde d'enfants, repas, ménage notamment — sont les béné-ficiaires. Ces derniers ont les idées d'autant plus larges qu'ils n'ont pas à supporter le voisinage des nouveaux venus. L'utopie aux mains pures que dénonce Pierre-André Taguieff est donc aussi un habile camouflage des intérêts de classe car, comme l'écrit George J. Bor-jas, le débat sur l'immigration oppose les perdants et les gagnants. «L'immigration modifie la répartition du gâteau économique et cet indéniable constat a beau¬coup à voir avec le fait que certains sont favorables à une forte immigration quand d'autres cherchent à la réduire ou à l'arrêter1.» On comprend pourquoi ces utopistes ne sont guère pressés de voir se développer des études sérieuses sur ce sujet et, quand elles existent, préfèrent faire silence un certain temps avant de reprendre l'an¬tienne. C'est ce qui est arrivé au rapport de Gilles Saint-Paul en mai 2009 qui n'a eu aucun écho dans la presse. Les médias avaient pourtant là l'occasion de fustiger la politique migratoire de Nicolas Sarkozy, occasion qu'ils laissent rarement passer. Mais ils ne l'ont pas fait parce que ce rapport remettait aussi en cause, comme celui de la Chambre des lords en 2008, le postulat des besoins économiques en travailleurs immigrés et la gestion éta¬tique de ces soi-disant besoins qui aggrave la segmenta-tion du marché du travail, au profit des salariés protégés. Les médias n'ont donc pas un goût très prononcé pour la vérité et restent tétanisés par l'injonction de ne pas favo-riser le racisme en risquant une remise en cause des ver¬tus de l'immigration. Le pouvoir politique, destinataire du rapport, n'a pas été plus bavard sur ce rapport, dont il ne tenait pas non plus à ébruiter les conclusions. Il pré¬fère, lui aussi, le discours mettant en valeur les atouts de l'immigration, même si ce discours renforce la légi¬timité des revendications en faveur d'une politique plus libérale. Ces revendications lui permettent d'afficher, par contraste, une certaine fermeté qui plaît à une partie de l'électorat, quand le discours vantant les mérites de l'im-migration offre l'habillage d'une certaine impuissance politique."

  • suite

    Traquer les pensées racistes Les sondages de la CNCDH
    L'antiracisme dominant a bien déclaré la guerre au racisme introuvable (parce que indéclaré), une guerre aussi absolue qu'impuissante, car il ne vit que de sup¬poser l'existence de son ennemi désigné, et, n'ayant nul intérêt à la disparition de ce dernier, ne peut qu'éviter d'agir sur les causes réelles de ce qu'il prétend combattre. Simulacre de guerre paré des prestiges du «combat pour l'homme».
    Pierre-André Taguieff1
    La CNCDH actuelle trouve son origine dans la com-mission consultative pour la codification du droit inter¬national et la définition des droits et devoirs des États et des droits de l'homme créée en 1947, présidée par René Cassin, et qui a contribué à la rédaction de la Déclara¬tion universelle des droits de l'homme adoptée à Paris en 1948. Relais national de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, sa compétence internationale s'est étendue au plan national lorsqu'elle a été rattachée, en 1986, au secrétariat des droits de l'homme auprès du
    Premier ministre. En 1989, elle a dépendu directement du Premier ministre et bénéficié de la faculté d'autosai-sine. De moins en moins souvent saisie par le gouverne¬ment, c'est cette autosaisine qui justifie en grande partie aujourd'hui les travaux de la CNCDH.
    Le vote, en juillet 1990, de la loi Gayssot réprimant le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie a été l'occa¬sion pour la commission de se voir attribuer la rédaction d'un rapport annuel sur le sujet. C'est dans le cadre de ce rapport qu'ont été ensuite menés les sondages sur le racisme réalisés presque chaque année. Les prérogati¬ves de la commission ont été progressivement étendues jusqu'à la loi du 5 mars 2007, adoptée à l'unanimité par le Parlement, qui a réformé ses statuts en conformité avec les exigences des Nations unies pour l'accréditation des institutions nationales1 et le décret du 26 juillet 2007. « Conformément à la loi du 5 mars 2007 et au décret du 26 juillet 2007, la compétence de la commission s'étend à la totalité du champ des droits de l'homme : libertés
    individuelles, civiles et politiques ; droits économiques, sociaux et culturels ; domaines nouveaux ouverts par les progrès sociaux, scientifiques et techniques, ainsi qu'à l'action et au droit humanitaires1.» En 1947, du temps de René Cassin, la commission comprenait dix mem¬bres. Elle en comptait un peu plus de cent dans l'avant-dernière commission, avec force ONG, syndicats, mais aussi des personnalités qualifiées (religieuses, universitai¬res, etc.). La commission a vu ses membres renouvelés le 1er avril 2009, après quelques mois de vacance, l'ancienne commission ayant terminé son mandat le 8 novembre 2008. Les membres sont désormais moins nombreux : trente représentants d'ONG (avec autant de suppléants), trente personnalités qualifiées, auxquels il faut ajouter le médiateur de la République, une personne nommée par le président de l'Assemblée nationale, une autre par le président du Sénat et une autre par le Conseil économi¬que et social. Soit soixante-quatre membres au total. : La commission n'a pas eu, officiellement, d'activité entre le 8 novembre 2008 et le 1er avril 2009. La remise du rapport annuel 2008 au Premier ministre par l'an¬cien président Joël Thoraval le 3 avril 2009 est donc, pour le moins, surprenante. Quel est le statut du rapport puisque la commission n'a pas pu se prononcer sur son contenu? Elle n'avait d'ailleurs aucune légitimité à le faire puisqu'elle n'existait plus après le 8 novembre. Les derniers votes en assemblée plénière, avant le 8 novem-bre donc, ont porté sur le sommaire et, d'une étrange manière, sur le maintien du sondage, alors que ce point ne figurait pas à l'ordre du jour et que la reconduite du sondage avait été repoussée à l'unanimité par la sous-commission Sondage. Le vote a donné 27 voix pour et 27 voix contre. C'est grâce à la voix prépondérante du président que le sondage a été maintenu, contre l'avis unanime de la sous-commission spécialisée. Il est pour le moins étonnant de voir se développer de telles pratiques à l'intérieur d'une institution qui ne peut faire la leçon à la société qu'à la condition d'être irréprochable.
    Le sondage a donc été l'enjeu d'une bataille interne qui n'est peut-être pas terminée. Il a, par le passé, déjà reçu des critiques1. J'avais moi-même manifesté mes réti¬cences lors d'une audition en 2004. Plus récemment, des critiques sont venues de l'intérieur de la commission. Des membres se sont interrogés sur la poursuite du son¬dage, ce qui m'a valu d'être auditionnée à nouveau2 en juillet 2008 par la sous-commission Sondages. Les tra¬vaux de cette sous-commission l'avaient amenée à déci¬der la non-reconduction du sondage.
    C'est du rapport annuel sur le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie dont il sera question ici et tout parti-culièrement du sondage annuel réalisé par un institut de sondage privé, le CSA, depuis 2005. Ma réflexion est ali-mentée par le travail de préparation de ces auditions.
    Un stéréotype, même positif, reste une idée toute faite
    Il m'a semblé d'abord que cette commission, toute préoccupée à exercer sa vigilance vis-à-vis de la société française, manquait parfois de vigilance vis-à-vis d'elle-même. C'est le problème posé par toute institution pla¬cée en surplomb. Les membres de la commission seraient ainsi miraculeusement épargnés par le travers du stéréo¬type qu'ils traquent inlassablement chez les autres. À
    partir du moment où elle œuvre dans le camp du bien, la commission peut se croire à l'abri des défauts humains les plus courants. Cette absence de vigilance sur son pro¬pre discours l'amène à exclure les bons sentiments dans la fabrication des stéréotypes. Or, on peut développer des stéréotypes négatifs, mais aussi positifs. Les deux types de stéréotypes peuvent d'ailleurs être repris de façon routinière sans forcément mobiliser de sentiment particulier. Les premiers, les négatifs, sont plus souvent dénoncés quand les seconds passent généralement ina¬perçus. Dans les deux cas, le stéréotype est une opinion toute faite. C'est-à-dire une opinion qui ne s'instruit pas de la réalité, elle-même changeante et complexe. La dénonciation des stéréotypes dépréciatifs peut conduire, en l'absence de connaissance précise, à recourir à des stéréotypes motivés par une bonne intention visant à positiver l'image des victimes des stéréotypes négatifs.
    En 2003, le rapport consacrait un chapitre à l'intolé¬rance et aux violences à l'égard de l'islam dans la société française. La sollicitude vis-à-vis des victimes amenait la commission à émettre des points de vue ou des recom-mandations peu informés. Ainsi le rapport déplorait, page 197, que les associations musulmanes soient le plus souvent des associations selon la loi de 1901 et non selon la loi de 1905 et se trouvent ainsi «privées» de leurs droits. Il recommandait au préfet d'informer les associa¬tions en gestation de la possibilité de bénéficier de la loi de 1905 pourvu qu'elles séparent les activités culturel¬les des activités cultuelles et concluait que ce qui faisait problème ce n'était «pas tant le conflit avec la laïcité que le manque de dynamisme et le retard pris par les pou¬voirs publics pour assurer l'égalité de traitement1 ». Il n'est pas venu à l'esprit de cette éminente assemblée que ces associations pouvaient préférer, en toute connaissance
    de cause, surtout lorsqu'elles n'étaient pas propriétaires des lieux, bénéficier de la souplesse de la loi de 1901 qui autorise le mélange des genres. Pourtant, le 2 juillet 1998, le président de l'Association culturelle des musulmans de Bobigny répondait ceci à M. Birsinger qui l'avait incitée à se déclarer en loi de 1905 : « Vous avez semblé surpris du caractère "culturel" de notre association tout en sug¬gérant de nous transformer en association loi de 1905. Ce n'est pas notre intention actuellement. Notre association s'aligne sur les dispositions de la loi de 1901 qui nous garantissent la liberté d'organiser les activités d'éducation et d'animation ainsi que la possibilité d'assumer les prati¬ques culturelles de notre religion1.» L'association en for¬mation accompagnait sa lettre au maire de Bobigny d'une bibliographie se référant notamment à la loi du 20 jan¬vier 1907 qu'elle connaissait parfaitement. Où le bon cœur peut être une forme d'aveuglement. La commission consultative devrait, au contraire, se trouver au-dessus de la mêlée et peser prudemment les arguments.
    Page 201 du rapport, la commission évoquait les pro¬pos antisémites de Mohamed Mahathir, Premier minis¬tre de Malaisie, lors de la réunion de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) du 16 octobre 2003 sur « les Juifs qui dirigent le monde par procuration », pro¬pos qui n'avaient soulevé aucune désapprobation de la part des participants. La commission attribuait cette absence de réaction à « la passivité des représentants de pays musulmans présents dans la salle, voire l'approba¬tion tacite de certains2 ». La réaction des représentants de l'OCI méritait mieux que cette explication convenue. La commission ne s'est pas cru obligée de préciser que cette organisation appelait en 2003 à mettre fin aux cam¬pagnes, qu'elle jugeait injustifiées, lancées par des ONG,
    contre certains États, pour leur demander d'abroger les peines et sanctions prévues par la charia. La CNCDH aurait pu, par exemple, s'interroger sur la Déclaration islamique des droits de l'homme de 1990 signée par les pays de l'OCI, en flagrante contradiction avec celle de 1948. Dans son article 2.a sur le droit à la liberté, elle déclare que «l'homme est né libre. Aucune restriction ne doit être apportée à son droit à la liberté, sauf sous l'autorité et l'application normale de la Loi [traduction française de charia]1». Elle aurait aussi pu se demander pourquoi l'OCI finançait, en novembre 1998, à hauteur d'un demi-million de dollars, un séminaire des Nations unies à Genève intitulé « Enrichissement de l'universa¬lité des droits de l'homme : des perspectives islamiques de la Déclaration universelle des droits de l'homme ».
    Lorsque la commission écrit que Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix en 2003, «rappelle que le Coran est com-patible avec les droits de l'homme2 », elle a l'air d'énoncer une évidence qui ne mérite que d'être rappelée. Il n'est pas sûr que la lecture du Coran pratiquée par les États mem-bres de l'OCI soit celle invoquée par Shirin Ebadi.
    Le souci constant de dénoncer les stéréotypes à l'égard de l'islam amène la commission à se contredire. Page 183, elle reprend la définition extensive de Michel Reeber : : « à la fois religion, mode de vie, projet communautaire et culture». Mais lorsque, page 202, elle en vient au sta¬tut des femmes, elle souligne que, dans les aspects qui, je cite, «semblent traduire une idéologie réactionnaire et antinomique avec les valeurs et la réalité françaises », « il est parfois difficile de démêler ce qui tient de la tradition culturelle et de l'obligation religieuse ».
    Nous sommes tous susceptibles de sauter sur un argu-ment facile, pourvu qu'il présente un caractère exemplaire.
    La commission n'échappe pas à ce travers bien commun. Mais c'est plus grave pour elle que pour tout autre, car elle est censée se situer au-dessus de la mêlée. C'est le cas lorsqu'elle évoque la destruction de la salle de prière de Charvieu-Chavagneux comme étant exemplaire de l'hos-tilité des autorités dans les années 19801 alors qu'un juge-ment a innocenté le maire en 1991. L'honnêteté voudrait que l'on rappelle que la salle de prière était hébergée dans un local municipal, mis à la disposition par la mairie, et que c'est par erreur que l'entreprise chargée de démolir une aile du bâtiment s'est attaquée au local où se trou¬vait le lieu de prière. Je m'interroge toujours sur la répu¬gnance à raconter l'histoire jusqu'au bout. Peut-être faut-il y voir l'attrait pour la fiction relevé par John Ford lorsqu'il faisait dire à Maxwell Scott, journaliste à Shinbone, dans L'homme qui tua Liberty Valance : « When the legend becomes facts, print the legend2. »
    n Un rempart contre ce type d'excès réside dans le souci du réel. L'idée que toute appréciation négative d'un fait se rapportant à l'immigration est forcément erronée et révélatrice de sentiments mauvais qu'il suffirait de dénoncer est d'un simplisme effrayant qui ne laisse pas place au réel. Dans ses sondages, la CNCDH a réglé la question du rapport au réel en le congédiant purement et simplement. Dans la mesure où elle pose des questions auxquelles les réponses ne sont connues de personne, l'appréciation des réponses ne peut être que d'ordre moral. La critique qui suit se fondera sur les question¬naires de 2006 et de 20073. Ce dernier a été expurgé des
    questions les plus douteuses de l'année précédente. Mais de nombreuses questions et interprétations des réponses au questionnaire de 2007 restent fort problématiques par leur effet déréalisant.
    Un sondage à visée moralisante et sans cible explicite
    Tout d'abord, le défaut principal de ce sondage est qu'il est censé s'adresser à tout le monde, les victimes poten¬tielles du racisme comprises, mais qu'il s'adresse surtout aux racistes potentiels. D'où le flou étrange de la cible car s'adresser à ces derniers suppose que l'on soit en mesure d'en faire l'inventaire, d'établir des quotas et donc de les définir a priori, ce qui, en plus d'être hautement difficile, serait, à n'en pas douter, raciste.
    Comme le sondage s'adresse à tout le monde avec les mêmes questions, on peut s'interroger sur ce que va répon¬dre, par exemple, un Gabonais arrivé en France il y a deux ans, à la question de savoir si «en France aujourd'hui on ne se sent plus chez soi comme avant ». Que veut dire comme avant ? Le bon vieux temps d'avant l'immigration maghrébine et africaine? Que pense un père maghré¬bin de la gravité de l'opposition au mariage d'un de ses enfants avec une personne d'origine maghrébine ? Que pense un musulman pratiquant des problèmes posés par ses pratiques ? Ne serait-il pas plus transparent d'adresser ce questionnaire aux personnes qui n'ont pas une origine étrangère ?
    Si le sondage est fait pour débusquer les racistes, pourquoi leur demander, comme en 2006, ce qu'ils sont prêts à entreprendre pour lutter eux aussi : « Pour lutter contre le racisme, dites-moi si vous seriez personnelle-ment prêt ou pas à signer des pétitions, boycotter des commerçants ou des entreprises condamnés pour acte
    raciste, signaler un comportement raciste à la police, participer à une manifestation, porter un badge ou un signe distinctif affirmant son antiracisme, aider finan¬cièrement une association de lutte contre le racisme, adhérer à une association antiraciste ? » Où l'on retrouve le problème de l'imprécision de la cible. Qu'est-ce qu'un raciste déclaré peut envisager ? Signer une pétition, por¬ter un badge le signalant comme antiraciste, participer à une manifestation, s'inscrire à une association. La question est d'ailleurs peut-être plus sérieuse qu'il n'y paraît si l'on veut bien suivre Timur Kuran pour qui la meilleure façon de se protéger est parfois de dénoncer chez les autres des comportements que l'on a soi-même. Alors, pour un raciste, porter la petite main jaune n'est peut-être pas une si mauvaise idée.
    Le problème se pose également quant à l'interprétation des réponses. Les commentateurs confessent d'ailleurs que « même » les interviewés d'origine étrangère ne sont pas exempts de préjugés. Bigre. Pourquoi ne pas consen¬tir à ce que des ethnocentrismes différents ne s'expriment pas de la même manière ? Ce problème n'est pas insur¬montable. Dans certaines enquêtes, les questions posées diffèrent en fonction de l'origine des répondants et l'on s'arrange pour que les questions soient en miroir. C'est le cas de l'enquête menée aux Pays-Bas en avril 1998 (Préjudices and Values of Dutch Citizens) dans laquelle on interroge les enquêtes sur «la partie adverse» : ce que pensent les Néerlandais d'origine des pratiques des musulmans et réciproquement. On s'aperçoit alors que l'hostilité à certaines pratiques culturelles est partagée, mais à l'envers, par les deux parties. Une majorité de Néerlandais d'origine n'aiment pas la manière dont les femmes et les enfants sont traités dans la culture musul¬mane, mais la réciproque est également vraie.

  • suite

    Qu'est-ce qu'être raciste?
    Dans les sondages de la CNCDH, dès la deuxième question, on demande aux enquêtes de se prononcer sur le fait de savoir si le racisme est plus ou moins répandu en France à la date de l'enquête. La question se pose de savoir ce que les sondeurs et les sondés entendent par racisme. Il suffit pour s'en persuader de se reporter aux sondages des années 2002,2003 et 2004 dans lesquels une question sur ce sujet était posée aux enquêtes. La question était ouverte et ne se présentait donc pas comme une suite d'items prédéfinis. Une majorité écrasante de l'échantillon déclarait alors que le racisme était un sentiment de rejet à l'égard de groupes divers et variés, le rejet des différences en général. Si le racisme est assimilé à toute irritation à l'égard d'une différence, qui y échappe ? Chaque répon-dant a quelque chose de particulier en tête. Quel est l'inté¬rêt de recueillir ses mauvaises pensées ? Qui n'en a pas ?
    Les enquêtes passent donc à confesse. Il est tout à fait étonnant de trouver en fin de rapport un tableau inti¬tulé «renseignements signalétiques des enquêtes» qui donne la répartition des réponses à la question : «En ce qui vous concerne personnellement, diriez-vous de vous-même que vous êtes plutôt raciste, un peu raciste, pas très raciste, pas raciste du tout ? » D'après Le Petit Robert, signalétique veut dire «qui donne un signale¬ment », signalement qui, toujours d'après Le Petit Robert, correspond à la « description physique d'une personne que l'on veut reconnaître ». En quoi l'aveu de racisme, dont le contour est flou, définit-il une population à ce point ? Dans le rapport de 2008, la CNCDH a supprimé, non pas la question, hélas, mais sa qualification de ren¬seignement signalétique, ce qui est un progrès1.
    Que signifie être un peu raciste et quelle est la dif-férence entre l'être un peu et l'être pas très? Pour la CNCDH, dans un cas, vous êtes classé raciste et dans l'autre vous échappez à l'étiquette infamante. Qu'attend-on alors du raciste avoué à qui l'on demande s'il estime nécessaire une lutte « vigoureuse » contre le racisme ? Le sondage de 2007 a heureusement épargné aux enquêtes la liste des moyens (une douzaine) de lutte contre le racisme et les discriminations que leur proposait la commission en 2006 et sur laquelle ils devaient se prononcer quant à l'efficacité. En effet, certaines propositions inféraient ce que les sondés devaient tenir pour une évidence. ■*t
    Des questions approximatives, des opinions sur des faits inconnus
    Lorsqu'on demande aux enquêtes si un traitement impartial des médias serait efficace, c'est que l'on pose une équivalence entre «avec impartialité» et «d'une manière valorisante ». Une information qui ne serait pas valorisante deviendrait-elle partiale ? Lorsqu'on suppose qu'en faisant « mieux connaître les apports sociaux, éco¬nomiques et culturels de l'immigration à notre société » on ferait reculer le racisme et les discriminations, c'est que l'on sous-entend que ces apports sont forcément positifs et que le seul problème est la méconnaissance de cette vérité incontestable. La commission suggérait même qu'une campagne médiatique de lutte contre les préjugés à l'échelle nationale pourrait faire partie des instruments envisageables de lutte contre le racisme et les discrimi-nations. On imagine sans mal cette grande entreprise de redressement moral. On tremble à l'idée que la CNCDH en ait l'initiative. Que sait-elle de précis pour reconnaître un préjugé à coup sûr? Quels sont ceux des sondeurs ?
    Comme on mélange ce qui est de l'ordre des senti-
    ments, de la pensée, et ce qui est de l'ordre du compor¬tement et des actions, comment interpréter la question demandant aux enquêtes de s'identifier avec la propo¬sition selon laquelle rien ne peut justifier1 les réactions racistes ou avec celle selon laquelle certains compor¬tements peuvent parfois justifier une réaction raciste ? Qu'est-ce qu'une réaction raciste ? Un regard lourd, une marque d'hostilité, le fait de changer de trottoir, de sortir son couteau ?
    Dans le sondage, le mélange entre opinion sur des impressions et non sur des faits d'une part et impréci¬sion des termes d'autre part est catastrophique. On refait le monde, mais approximativement. Pourquoi ne pas demander aux enquêtes s'ils pensent que la terre est plate ou ronde ? En fait, les sondeurs semblent avoir une grille normative toute faite sans rapport avec la réalité.
    C'est le cas lorsqu'on demande aux enquêtes de se
    prononcer pour savoir si les gens du voyage, les musul¬
    mans, les Maghrébins, les Asiatiques, les Juifs, les Afri¬
    cains, les homosexuels, etc. forment « un groupe à part »
    ou un «groupe ouvert aux autres». D'abord, le contraire
    d'un groupe ouvert n'est pas un groupe à part mais un
    groupe fermé. Du temps de la ségrégation, les Améri¬
    cains noirs formaient-ils un groupe à part ou un groupe
    fermé aux autres ? Quelle connaissance les enquêteurs et
    les enquêtes ont-ils de la situation dans la mesure où les
    données sur les appartenances religieuses ou les origines
    ethniques sont généralement inaccessibles. Les quelques
    études réalisées, avec Bernard Aubry, sur les concentra¬
    tions ethniques et les voisinages en France n'ont guère eu •->
    d'écho médiatique. *
    Que dire par exemple des cadres, si ouverts et si tolé¬rants dans les enquêtes d'opinion et qui préfèrent généra- -lement vivre entre eux et éviter autant que faire se peut les ;
    voisins d'origine étrangère ? En l'absence de connaissance établie, tout le monde n'a que des impressions informées par l'expérience personnelle, les récits de seconde main ou les médias. Les réponses aux questions du sondage sont censées mesurer un sentiment de manque d'ouverture de certains « groupes » qui ne dit rien de la réalité mais tout des mauvaises pensées des enquêtes. Le réel n'a là aucune importance, c'est le positionnement en soi qui compte. Comme on ne peut pas donner raison aux sentiments négatifs, quelle qu'en soit l'inspiration, le réel se trouve congédié. On ne s'étonnera pas que l'on ait eu si peu le souci de développer les outils statistiques nécessaires à la connaissance en France si, de toute façon, le sentiment que l'on a des choses prime à ce point.
    Il en va de même avec l'appréciation du nombre d'im-migrés en France. Tout d'abord, pour le commun des mortels, l'immigré c'est aussi bien la personne venue de l'étranger s'installer en France que celle née en France de parent(s) immigré(s). Beaucoup d'Européens font d'ailleurs la même confusion avec les termes « migrants » ou «immigrants», y compris dans les instituts de statisti-que et dans les écrits savants. On parle alors de migrants, d'immigrés de deuxième ou troisième génération, ce qui est une absurdité1. Ensuite, la formulation de la ques-tion mérite qu'on la cite entièrement, tant elle est ridi-cule : «D'une manière générale, diriez-vous qu'en France aujourd'hui, le nombre d'immigrés n'est pas assez impor-tant, est trop important, est juste comme il faut, ou qu'il vous est indifférent ? » On suppose que les sondeurs sau-raient nous expliquer à quoi correspond, dans la réalité, la réponse «juste comme il faut».
    L'interprétation des réponses à cette question est entièrement normative. Trouver qu'il y a trop d'immi-
    grés c'est vilain quelle que soit la réalité vécue, quand le fin du fin est de déclarer qu'il n'y en a pas assez. Il ne peut y avoir un «trop» qui soit objectif dans l'esprit des sondeurs. Pour penser correctement et ne pas se voir taxé d'ethnocentrisme ou de racisme, l'enquêté d'origine française qui réside à Clichy-sous-Bois, La Courneuve ou Aubervilliers, où les trois quarts des jeunes étaient d'origine étrangère en 2005, doit trouver qu'il n'y a pas trop d'immigrés et, si possible, «juste comme il faut» ou, encore mieux, «pas assez». En la circonstance, la personne d'origine étrangère résidant au même endroit fera preuve d'ouverture en déclarant qu'il n'y a pas assez d'immigrés, ce qui peut vouloir dire que ses voisins d'ori¬gine française seraient bien avisés d'aller voir ailleurs.
    En 2006, cette question était redoublée à l'échelon local par la question suivante : «D'une manière générale, diriez-vous que, autour de vous, le nombre d'immigrés n'est pas assez important, est trop important, est juste comme il faut, ou qu'il vous est indifférent ? » C'était au moins un niveau d'appréciation en rapport avec l'expérience indi¬viduelle des enquêtes, introduisant donc un élément de réalité, lequel restait, par ailleurs, inconnu. Comment interpréter les réponses à de telles questions quand on ne connaît rien des conditions de vie des enquêtes ?
    Interprétations normatives et opinions des sondeurs embarquées dans les questions
    Le sondage de 2007 abordait aussi la question de « la diversité » dans différentes institutions ou professions, en coupant l'échantillon en deux pour demander aux enquê¬tes s'ils trouvaient qu'il y avait trop, suffisamment ou pas assez de personnes de couleur, versus d'origine étrangère dans ces institutions. Que veut dire trop ? Est-ce par rap-port au goût des enquêtes ou par rapport à l'idée qu'ils
    se font de la réalité ? Les sondeurs n'en savent pas plus que les sondés car ils sont, les uns et les autres, privés de référence nationale et de statistiques sur les origines des personnes travaillant dans les institutions sur lesquelles les sondés doivent se prononcer (personnel politique, télévision, police, services publics et enseignants). Que veut dire «trop» quand on évoque tous les jours dans les médias l'insuffisante présence des personnes de cou¬leur sur le petit écran, parmi les politiques, etc., sinon se déclarer raciste ? Là encore, la grille d'interprétation ne peut être que normative. Le «trop» n'a finalement aucune légitimité, si ce n'est débusquer le raciste.
    La question qui se rapporte directement à l'intégra¬tion comprend une opinion «embarquée», présentée comme une évidence. En effet, elle inclut l'avis des son¬deurs, avis qui est bien près du stéréotype, si l'on veut bien admettre qu'un stéréotype est fondé sur une repré¬sentation erronée ou une idée toute faite. Les sondeurs demandent ainsi aux enquêtes de choisir entre les deux options suivantes : 1) Ce sont les personnes d'origine étrangère qui ne se donnent pas les moyens de s'intégrer ; 2) C'est avant tout la société française qui ne donne pas les moyens aux personnes d'origine étrangère de s'in¬tégrer. Cette question présuppose que l'intégration ne fonctionne pas, alors que nous manquons de consensus sur la définition et d'éléments d'observation de la réalité. Les sondeurs ont donc une vue pessimiste qu'ils deman¬dent aux sondés de partager implicitement en choisissant entre deux options extrêmement simplistes permettant d'apprécier, encore une fois, s'ils font preuve d'ouverture d'esprit. Pour les répondants qui ne sont pas d'origine étrangère, cela revient à incriminer la société, c'est-à-dire principalement eux-mêmes ou les politiques qu'ils ont mis aux affaires.
    Les sondeurs ont leur conception de l'intégration qui leur permet de diagnostiquer un échec. Quant aux sondés,
    ils déclaraient la leur en adhérant, à 90 %, à la proposi¬tion selon « laquelle il est indispensable que les étrangers qui viennent vivre en France adoptent les habitudes de vie françaises ». On aimerait savoir exactement ce qu'ils entendent par là et jusqu'où vont leurs exigences.
    Armés de leurs bons sentiments, les sondeurs tran¬chent des questions hautement débattues. C'est le cas lorsqu'ils demandent aux enquêtes d'adhérer ou de reje¬ter des propositions auxquelles ils prêtent un caractère d'évidence parce que correspondant à un jugement posi¬tif ou à un stéréotype associé au dénigrement de la pré¬sence immigrée en France. On ne présente alors jamais à l'enquêté un propos mesuré qui pourrait avoir quel¬que justification, mais un propos outrancier qui a pour fonction de signaler, avec force « clignotants », le raciste assumé ou le type qui manque franchement d'ouverture.
    C'est le cas lorsque le rapport déclare que les enquêtes reconnaissent [je souligne] très majoritairement la néces¬sité de recourir à l'immigration pour occuper certaines professions. Cette question fait pourtant l'objet de contro¬verses et ne saurait se résoudre à une affaire d'ouverture d'esprit face à un phénomène quasi naturel. Les écono¬mistes du marché du travail ne semblent pas partager cette « évidence ». La commission faisant preuve d'inno¬vation permanente, des questions sont ajoutées au fil des ans afin de tenir compte de l'actualité1. L'argument des pénuries de main-d'œuvre n'est proposé que depuis 2003. Il va même au-delà d'un ajustement du marché du travail puisque l'item proposé est le suivant : « La présence d'im¬migrés en France est nécessaire pour assurer certaines professions [je souligne]. » Après un moment de doute en
    2005 (année où la société française a été saisie par une «bouffée d'ethnocentrisme1»), les enquêtes approuvent effectivement très majoritairement ce point de vue.
    Mais ils sont tout aussi nombreux à « adhérer au pré-jugé» selon lequel «de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale». Cette fois, les enquêtes ne reconnaissent plus une vérité, mais se laissent aller au préjugé commun. Pourtant, là encore, si la formulation n'était pas aussi outrancière, il y aurait matière à débat. Certains écono¬mistes évoquent cette motivation. On parle en anglais de social magnet (« aimant social »).
    Les enquêtes «reconnaissent» également que «la pré¬
    sence d'immigrés est une source d'enrichissement cultu¬
    rel ». Ils ont d'ailleurs fait beaucoup de progrès depuis le
    début des années 1990 où ils étaient minoritaires. Sans
    doute mieux instruits des réalités depuis, ils se déclarent
    désormais très majoritairement de cet avis (68 % en 2007
    contre 42 % en 1992). C'est tout juste s'ils ont faibli dans
    leur enthousiasme en 2005. i
    Les questions pièges sur l'islam ;î
    Les sondeurs tranchent aussi des questions théologiques débattues parmi les musulmans eux-mêmes. Ils listent un certain nombre de pratiques dites « religieuses musulma-nes » susceptibles de faire problème en société. La ques-tion est formulée précisément ainsi en 2006 et 2007 :
    «Selon vous, le respect des pratiques religieuses musulmanes suivantes peut-il, en France, poser problème pour vivre en société ? Le port du voile, l'interdiction de montrer l'image du prophète Mahomet, le sacrifice du
    mouton lors de l'Aïd-el-Kébir, les prières, le jeûne du ramadan, l'interdiction de consommer de la viande de porc ou de l'alcool. »
    La question amalgame pratiques privées et pratiques publiques, en insistant sur l'aspect public de chaque prati¬que. Elle est donc extrêmement floue. Chacune de ces pra¬tiques, y compris les plus privées, peut effectivement poser des problèmes de vie en société. C'est le cas des prières quand on revendique de les faire sur les lieux de travail ou d'éducation, ou dans la rue. C'est aussi le cas du ramadan sur les lieux de travail, sans parler de l'école. Premièrement, les enfants sont extrêmement fatigués. Deuxièmement, on sait que les enfants de familles d'origine musulmane n'ont plus guère le choix que d'observer le ramadan ou de faire semblant dans certaines écoles. Est-ce que l'on peut appe¬ler cela un problème pour vivre en société ? Ma réponse est oui, d'autant que le verbe employé est «peut-il». La commission fait de l'interdiction de la représentation du prophète une pratique religieuse musulmane. Si elle n'était que cela, elle ne poserait aucun problème aux non-musul¬mans indifférents au fait que leurs voisins musulmans aient ou non, chez eux, une image représentant le prophète. Le problème commence lorsque cette interdiction est suppo¬sée s'appliquer aux non-musulmans qui, par définition, ne pratiquent pas l'islam et seraient alors contraints de prati¬quer contre leur gré.
    Il n'est donc pas évident d'interpréter toute réponse positive à ces questions comme un simple signe d'intolé¬rance à l'islam. Là encore, il y a un effet de déréalisation dans la mesure où l'on sait déjà que certaines pratiques posent des problèmes réels. Le dire serait faire preuve d'intolérance. Pourtant, une idée déplaisante n'est pas forcément une idée fausse.
    Dans l'enquête néerlandaise de 1998, l'hostilité à cer¬taines pratiques dites musulmanes n'était pas systémati¬quement interprétée comme un signe d'ethnocentrisme,
    de xénophobie ou d'aversion pour l'islam1. On y distin¬guait l'opposition des Néerlandais d'origine à certaines pratiques sociales associées à l'islam (place de la femme et traitement des enfants), d'une hostilité plus générale à l'égard des musulmans. L'étude néerlandaise montrait également que l'hostilité aux pratiques sociales associées à l'islam conduisait à une plus grande opposition à l'im¬migration en général, y compris chez ceux qui n'éprou¬vaient pas d'aversion particulière pour l'islam. C'était le cas d'un Néerlandais d'origine sur deux qui n'approuvait pas le traitement des femmes et la manière autoritaire qu'ont les musulmans d'élever leurs enfants, sans mani¬fester pour autant une opposition aux musulmans en général. Il semble bien qu'une opposition de principe à certaines pratiques, au nom des valeurs néerlandaises, ne puisse pas se réduire à l'expression de préjugés négatifs sur les musulmans en général, mais rende méfiant vis-à-vis de l'immigration, y compris ceux qui, autrement, auraient été les mieux disposés. L'argument selon lequel il s'agirait là des plus malins qui réussissent à dissimu¬ler leur hostilité à l'égard de l'immigration ne tient pas la route non plus. Une manière d'éviter de suspecter la dissimulation des préférences réelles des enquêtes est de pratiquer, comme cela a été fait dans cette enquête, un test secret sur les préjugés éventuels des répondants. Cela revient à couper l'échantillon en deux. On demande alors à la première partie de nommer, parmi un certain nombre d'items lus à haute voix par l'enquêteur, ceux qui rendent les répondants mécontents. La seconde moi¬tié se voit proposer la même liste d'items plus un, égale-ment lus à haute voix. Le nouvel item glissé au milieu des autres était, dans l'enquête néerlandaise, «l'aide spécifi¬que apportée aux minorités ». On demande alors à cette moitié des répondants, non pas de nommer les items pro-
    blématiques, mais de donner le nombre d'items qui les mécontentent. Un traitement statistique de ces réponses permet de tester la sincérité des affirmations données par ailleurs. Ce test confirme la sincérité des réponses des mieux disposés vis-à-vis des musulmans en général. L'incitation à la tolérance de pratiques qui choquent pro-fondément les Néerlandais a donc pour effet non prévu de les «remonter» contre une politique migratoire jugée trop libérale. L'invocation du préjugé ethnocentrique n'est guère convaincante : « En quoi, dans une culture libérale comme celle des Pays-Bas, l'invocation de valeurs libéra¬les comme référence normative pourrait être une mani-festation d'ethnocentrisme1 ? » L'enquête néerlandaise a, par ailleurs, introduit une grille d'items permettant d'apprécier les préjugés à l'égard des principaux groupes d'immigrants aux Pays-Bas, sans tourner autour du pot. Cette grille porte sur les défauts supposés de ces groupes ; égoïstes, malhonnêtes, violents, etc. Cette grille simple et sans détour leur permet de définir des niveaux de préju¬gés parmi les Néerlandais. Dire que tous les Marocains ou tous les Turcs sont égoïstes, malhonnêtes ou violents est un stéréotype évident. C'est raciste.
    Les sondages de la CNCDH ne se satisfont pas de cette simplicité et brassent nombre de questions aux remugles douteux. Sous prétexte de mettre à nu les pensées des enquêtes racistes, les sondeurs forcent le trait ou donnent de la consistance à des hypothèses franchement racistes. Il devient ainsi légitime de s'interroger pour savoir si les Français juifs ou musulmans sont des Français comme les autres ou si des injures ouvertement racistes telles que «sale Juif» ou «sale Arabe» doivent être condamnées sévèrement par la justice, pas sévèrement ou pas condam-nées du tout. Qu'est-ce qu'une condamnation sévère? Chacun a sa petite idée. Quel est l'intérêt de laisser penser
    que de telles injures pourraient être anodines ? Pourquoi demander à l'enquêté si la chose mérite d'être sanction¬née alors que la loi l'exige ? L'injure raciste est un acte sanctionné par la loi et non une vilaine pensée. C'est une veine de questions relativistes inépuisable. Pourquoi ne pas demander s'il faut sanctionner les pédophiles ?
    Comment justifier la question sur les races alors que l'on s'échine par ailleurs à disqualifier l'usage du terme ? La question précise est la suivante : « Vous, personnelle¬ment, de laquelle des opinions suivantes vous sentez-vous le plus proche ? Les races humaines, ça n'existe pas ; tou¬tes les races humaines se valent ; il y a des races supérieu¬res à d'autres. » Visiblement, les Français n'ont pas encore assimilé l'information selon laquelle les races n'existent pas puisqu'ils sont encore 60 %, en 2007, à déclarer que toutes les races humaines se valent et 12 % à penser que certaines races sont supérieures à d'autres. Seuls 23 % des sondés déclarent que les races n'existent pas.
    Un sondage aux effets déréalisants
    Dans les sondages de la CNCDH, un grand nombre de questions laissent croire qui celle-ci envisage la lutte contre le racisme d'abord comme un grand nettoyage de ce qu'il y a dans les têtes. Ce nettoyage nécessiterait la mise à plat des mauvaises pensées, d'où ces questions faites pour prendre en défaut le raciste potentiel. C'est pourquoi la grille d'interprétation est si sommaire et si dédaigneuse du réel. Le questionnaire de la CNCDH révèle l'état d'esprit des sondeurs plus encore que celui des sondés. Ainsi, déclarer que certaines pratiques de l'islam posent problème devient un signe d'intolérance en soi, et donc un mauvais signe, quelle que soit la réalité, notamment vécue par le répondant. Penser qu'il y a trop d'immigrés est en soi coupable de manque d'ouverture au
    monde quelle que soit la situation concrète de l'enquête. C'est une mauvaise pensée en soi et ce n'est pas une opi-nion qui pourrait être instruite par la réalité. À l'inverse, déclarer qu'un traitement impartial de l'immigration par les médias serait un bon moyen de lutter contre le racisme et les discriminations est un bon point en soi, quelles que soient les pratiques réelles des médias.
    C'est une manière détournée de désapprouver tout sentiment d'inquiétude vis-à-vis de l'immigration. Le sondé, s'il veut faire bonne figure, doit donc décoder le sens caché des questions et deviner quelle réponse est correcte et moralement recevable et apprendre, en conséquence, à mentir. On chercherait à détruire tout sens moral et tout sens de la réalité qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
    On peut d'ailleurs se demander si le souci de faire bonne figure n'est pas plus présent dans les classes socia¬les supérieures, par ailleurs mieux à même de se repré¬senter en quoi cette bonne figure peut consister. Ce pourrait être un élément d'explication de la distorsion entre leur ouverture manifestée dans l'opinion publi¬que et leurs pratiques privées cultivant l'entre-soi. C'est exactement ce que suggère une étude américaine sur les préférences de voisinage. Les individus qui ont fait des études longues sont plus sensibles aux pressions sociales sur ce qu'il est convenable de dire. Ils admettront moins volontiers avoir une attitude négative sur les questions raciales et seront mieux à même de « présenter leurs inté¬rêts, en tant que groupe racial, d'une manière plus sub¬tile1 ». Une autre explication des réponses plus favorables à l'immigration parmi les mieux éduqués tient au simple fait qu'ils sont moins concernés. Comme ils ne vivent pas autant à proximité des familles immigrées, ont fréquenté
    des écoles où les enfants de ces dernières n'étaient guère présents et ne sont pas en compétition avec les immigrés ou leurs enfants, ils peuvent manifester plus d'ouverture, celle-ci restant largement théorique. Une autre recherche néerlandaise a montré que la plus grande tolérance affi-chée parmi les jeunes adultes qui ont le meilleur niveau d'études était liée d'abord à la moindre crainte ressentie à l'égard des minorités ethniques, et dans une moindre mesure à un autoritarisme moins prononcé, mais n'était en aucun cas liée à une plus grande capacité intellectuelle à comprendre les enjeux ou à une ouverture d'esprit plus large1.
    '* Enfin, l'acharnement mis à traquer les pensées racis¬tes, xénophobes ou ethnocentristes joue aussi le rôle de caisse de résonance, maintenant le racisme au cœur de l'actualité, ce qui joue en faveur de l'activité des ONG subventionnées qui participent aux travaux de la com-mission2. Après tout, tant que 80 % des personnes vivant en France estiment que le racisme est répandu, une lutte « vigoureuse », comme il est dit dans le sondage, reste un impératif.
    *i Une des raisons souvent avancées au maintien du son-dage en l'état est la nécessité de conserver la profondeur historique apportée par des séries longues. Dans le rap¬port de 20083, Nonna Meyer, Guy Michelat et Vincent Tiberj, qui analysent chaque année les résultats du son¬dage de la CNCDH, insistent sur le «caractère indis¬pensable du baromètre CNCDH » pour la connaissance des préjugés en France et plaident pour «la réintégra-
    tion des questions disparues1». Je ne suis pas insensi¬ble à l'argument de la continuité. Cependant, le carac¬tère « barométrique » du sondage ne peut constituer un argument d'autorité pour ne rien changer. On aurait pu fort bien envisager de « changer de pied » progressive¬ment en introduisant des questions plus directes, plus saines, plus ciblées qui auraient fini pas se substituer aux précédentes. Il faut ajouter que, dans ce rapport établi après la fin de la mandature de la commission, sans que cette dernière ait pu se prononcer sur son contenu, on ne trouve pas trace des débats qui ont agité la commission sur l'opportunité du sondage tel qu'il est, ni a fortiori des conclusions de la sous-commission dédiée à ce sujet qui, je le rappelle, était unanime à en demander la suppres¬sion. Ce rapport est donc de parti pris, du seul fait que l'on y vante les vertus d'un sondage qu'il faudrait main¬tenir, non seulement en l'état, mais en y réintroduisant les questions abandonnées pour leur caractère douteux, alors même qu'il a été si fortement remis en cause à l'in¬térieur de la commission.

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