L’association américaine de littérature et des droits humains PEN American Center va décerner son prix annuel pour la liberté d’expression à Charlie Hebdo. Des écrivains membres de ce groupe font entendre leur voix différente et s’opposent à cette récompense.
L'ancien président du groupe Salman Rushdie (auteur des Versets sataniques) soutient la décision de PEN de remettre à Charlie le PEN/Toni and James C. Goodale Freedom of expression courage Award:
«The Charlie Hebdo artists were executed in cold blood for drawing satirical cartoons, which is an entirely legitimate activity. It is quite right that PEN should honour their sacrifice and condemn their murder.»
(Traduction: Les dessinateurs de Charlie Hebdo ont été exécutés de sang froid pour avoir dessiné des images satiriques, ce qui est une activité légitime. Il est juste que la PEN honore leur sacrifice et condamne leur meurtre).
Les écrivains opposés avancent deux raisons. D’une part le prix de la liberté d’expression a toujours été attribué à des personnalités s’opposant à la censure gouvernementale et non à des groupes terroristes. D’autre part les contestataires estiment que la posture de Charlie est essentiellement anti-islam. Dans un pays où la liberté religieuse est revendiquée haut et fort, cela passe mal.
J’ajoute que les dessinateurs morts ne se sont pas sacrifiés, comme l’affirme Rushdie en leur retaillant une histoire héroïque sur mesure. Ils étaient en principe protégés. Ils n’avaient pas vocation à mourir sous les balles. Les mots ont un sens: les kamikazes se sacrifient, pas les dessinateurs de Charlie.
Enfin, comme pour montrer que la controverse est suscitée davantage par l’islam que par la liberté d’expression, Salman Rushdie ajoute, et accuse - ou règle ses comptes:
«This issue has nothing to do with an oppressed and disadvantaged minority. It has everything to do with the battle against fanatical Islam, which is highly organized, well-funded, and which seeks to terrify us all, Muslims as well as non-Muslims, into a cowed silence. These six writers have made themselves the fellow travelers of that project.»
(Trad: Cette question n'a rien à voir une minorité opprimée et désavantagée. Il s’agit d’une bataille contre l'Islam fanatique, qui est fortement organisé, bien financé et qui a le projet de nous terrifier tous, Musulmans aussi bien que non-musulmans, et de nous intimider. Ces six auteurs se sont faits les compagnons de ce projet.)
On peut soutenir la liberté d’expression en soutenant Charlie. Mais Charlie n’est pas un espace en lui-même ouvert à la liberté d’expression. L’hebdomadaire est partisan et d’un camp politique. Il n’a pas vocation à exprimer une parole universelle. Il utilise la liberté d’expression garantie par la loi, mais il n’est pas le porte-drapeau de cette liberté. D'ailleurs l’effet le plus étonnant de l’attentat est quand-même la résurrection publique et financière de ce canard agonisant et au bord du dépôt de bilan.
Ceux qui ne sont pas d’accord avec la remise de ce prix soutiennent-ils le projet terroriste, comme l’affirme Salman Rushdie? Propager cette thèse est gravement déraisonnable. En l’affirmant Salman Rushdie commet, lui, un acte de terrorisme intellectuel. Et montre une curieuse conception de la liberté d’expression, qui semble le déranger quand ses pairs ne pensent pas comme lui.