La sanction n’est pas sévère pour le Front National. Sa défaite était prévisible dans au moins deux régions après le désistement du parti socialiste. Elle est plus significative dans l’est où Florian Philippot fait du sur-place, indiquant que les voix abstentionnistes ont profité à la droite européiste.
Certains commentateurs semblent soulagés ce matin. Le « sursaut républicain » aurait sauvé la France. Sauvé de quoi? D’un parti qui n’est ni immoral ni anti-républicain? C’est un peu vite faire l’impasse sur la signification sociétale de la progression de ce parti. Je souris à lire les cris d’orfraies de la semaine écoulée et le soulagement du jour.
On nous promettait un État policier. C’est assez cocasse. Car c’est la gauche qui instaure l’état d’urgence, c’est-à-dire une forme temporaire de prévalence policière. Attentats obligent, dira-t-on. Oui, mais cela montre qu’un peu plus de police en France serait plutôt bienvenu pour ne pas avoir à attendre un carnage pour agir. De ce point de vue le FN a raison et le discours des autres partis n’est plus si différent.
Et puis, accuser le parti de MLP d’intentions de ce type c’est oublier qu’un président de gauche, François Mitterrand, avait fait un usage presque discrétionnaire – du moins dans la manière sinon dans la quantité – des écoutes téléphoniques, au mépris de la loi, de la démocratie et de la liberté des citoyens. La gauche avait soutenu Pétain en 1940, je l’ai déjà rappelé. On ne lui en tient plus rigueur. Alors pourquoi s’acharner sur les origines du Front?
Le procès d’intention et la peur fonctionnent cependant. Mais ce parti, perdant hier, a gagné autre chose: une croissance forte, continue, en terme de voix, d’implantation politique, et de parole. Ses thèmes prennent place dans la société.
La croissance du Front national traduit-elle la montée d’idées racistes en France? Je ne souscris pas à cette accusation, qui ne sert que le déni. Le sentiment d’une cohabitation entre communautés moins facile dans les faits que dans la théorie est réel, et assez largement distribué. La notion même de communautarisme est apparue comme indiscutable.
Il n’y a pas de morale à faire, mais un vrai débat à mener sur une question régalienne autant que sociétale. On voit clairement que la morale ne sert que le déni politique en France. Dans l’hebdomadaire Le Point de jeudi dernier, l’éditorialiste Franz-Olivier Gisbert, qu’on ne peut taxer de raciste ou de nationaliste, affirmait:
« Immense est la responsabilité intellectuelle de tous ceux qui ont interdit de nommer les choses, sous prétexte que cela ferait le jeu du FN. Quand Marine Le Pen disait que le ciel était bleu, nous étions aussitôt sommés de prétendre qu’il pleuvait par la maréchaussée idéologique. « Évitons les amalgames », « Il ne faut pas stigmatiser », tels étaient les mots d’ordre. »
Ce déni français, enfin reconnu, est une des causes de la croissance du FN dans une France qui vote globalement à droite à plus de 60%.
Le Front national a encore gagné des voix hier, pas loin d’un million, et a dépassé son score à la présidentielle de 2012. Mais il n’a pas de présidence de région. A la fois par le fait d’alliances, puisque le PS et les LR ont réalisé une forme objective d’alliance dans deux régions, et par la proportionnelle qui montre que la France est aujourd’hui tripartisane. D’ici dix ans cette proportionnelle réservera d’autres surprises. Le PS ne va pas à chaque fois se désister, les LR ne le feront pas, et c’est la réalité des voix qui l’emportera tôt ou tard.
Marine Le Pen déclarait hier soir, avec raison à mon avis, que le nouveau clivage pour 2017 sera entre les mondialistes et les patriotes. La préférence nationale est une option qui s’installe dans le paysage politique. Elle n’est pas très différente des aspirations à moins de Bruxelles, moins de centralisme, plus de démocratie participative, plus de proximité écologique. Elle traverse les courants politiques.
Cela doit être davantage théorisé afin que les français aient une idée claire des enjeux et se déterminent non en résistance à l’establishment ou émotionnellement mais par rapport à une vision d’avenir. Le FN peut-il théoriser cela sans rester dans sa psychologie d’ostracisé et de seul contre tous? C’est souhaitable car ce choix clair doit être posé aux français, dont une bonne part pense toujours que le référendum sur l’Europe leur a été volé.
MLP a cependant montré les limites actuelles de son parti. Elle parle peu d’économie, encore moins de formation et de fiscalité. Or le retour aux frontières nationales suppose une probable hausse des impôts et des conséquences sur les accords internationaux dans de nombreux domaines. Les français sont-ils prêts à payer ce prix?
Dans son intervention on sentait sa frustration derrière un visage qui se voulait conquérant. Elle ressortait ses thèmes psychologiques: seuls contre tous, aucune convergence avec d’autres groupes, et montrait une posture très frontale. Mais ce ton et ce vocabulaire ont leur limites. Son ton attire les frustrations, reprenant l’antienne paternelle alors qu’elle tentait de moderniser son parti, mais n’appelle pas à adhérer à un vrai projet. Elle se veut « petit peuple victime » alors qu’elle ne sort pas vraiment d’une famille ouvrière…
Peut-elle gagner seule, sans apaiser un peu ceux qui pourraient voter pour elle sans adhérer à l’ensemble de son programme? Ce n’est pas certain. Hier soir, elle a repris le discours d’opposition, aussi détestable que celui de Mélanchon.
Elle a montré la limite du FN, mais aussi sa limite personnelle en tant que personnalité clivante empreinte de la marque du père. Hier soir elle faisait presque du Jean-Marie! Marine n’est peut-être pas l’avenir du FN. Derrière, Marion se profile.
Toutefois je pense que le débat sur la souveraineté, les flux de population, l’autorité, etc, doivent continuer. La croissance du FN montre que, loin d’être acquis, un bon nombre d’idées ne sont en fait qu’en chantier en France, et possiblement en Europe.
C’est ce qui m'intéresse dans l’évolution politique de l’hexagone.
Commentaires
L'opposition, en France, n'a jamais su être constructive. Elle est constamment dans l'opprobre et dans l'invective. Et le résultat des régionales d'hier donne - enfin ? - une lueur d'espoir parce que le discours des "vainqueurs" se fait plus mesuré et ose poser des questions de nature non plus à fâcher mais à rassembler. Le pari est loin d'être gagné, mais s'il l'est, le FN n'aura plus qu'à retourner à ses ruminations nationalistes qui ne pourrait qu'entraîner la France dans une dangereuse dégringolade.
Plutôt que de tables carrées, il siérait bien aux politiciens nouvellement élus de s'équiper de tables rondes dont la forme pourra se révéler aussi dans les discussions.
Est-ce parce que le citoyen helvète est imprégné d'un sens aigu du compromis qu'il ne comprend pas pourquoi la France s'entre-déchire à longueur de législatures sans que l'on voie émerger un redressement que le pays appelle pourtant de ses voeux sans y parvenir faute d'un...consensus minimum.
@hommelibre
J'aimerai tellement qu'on m'explique ...
En dehors de promesses pour plus de police, plus de douaniers, plus de contrôles, et plus de détenus, mais quelles sont les promesses des candidats du FN pour ne pas eux-même faire ce qu'ils reprochent à la gauche et à l'autre droite, celle à gauche du FN ?
Chuck, c'est une faiblesse du FN. Il croche bien sur des thèmes sociétaux mais ne parle quasiment ni d'économie, ni de fiscalité, ni de santé. La redistribution plutôt de gauche qu'il suggère n'est ni décrite ni chiffrée.
L'intérêt actuel est surtout, à mes yeux, de réintroduire un débat sur des questions de sociétés qui étaient en général trop vite enterrées. Pourra-t-il évoluer? Il faudrait qu'il s'adjoigne des pointures intellectuelles.
Michel,
Ce côté vindicatif de l'opposant m'est assez pénible et je n'y souscris pas.
Mais je pense que le débat sur la nation et ce qui tourne autour devrait s'élaborer car il n'est d'évidence ni terminé ni digéré en France. Le nationalisme est-il obligatoirement la caricature qui a prévalu il y a environ un siècle? Pas sûr.
La Suisse a la chance quelque part que ses frontières lui donnent une tranquillité intellectuelle et lui permettent de discuter d'autre chose.
:-)
Ces élections n'ont pour moi rien de proportionnelles. Le bonus de 25% permet dans toutes les régions à un seul parti de gouverner seul. Les représentations des autres partis ne sont que de façade.
Concernant le programme du FN, chacun peut aller le consulter sur leur site. J'y souscris en bonne partie, (à part la partie relative à l'immigration) mais je trouve qu'il souffre d'un gros défaut. MLP dit que si elle devient Présidente, elle va renégocier les traités avec ses partenaires européens. Et pour moi c'est la clé de voute de tout le programme, car sans cette renégociation, impossible de mettre en pratique le reste, puisque la quasi totalité des thèmes qui comptent (économie, fiscalité, sécurité, etc.) ne sont plus du ressort des états mais de l'Europe.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas une chance sur un milliard pour que le projet européen du FN soit retenu par l'ensemble des 27 autres états et que les traités se renégocient à l'unanimité des états. Il suffirait par exemple que ça ne plaise pas à Malte pour que le projet capote. On comprend bien que faire accepter à toute l'Europe le projet Le Pen, ça n'arrivera jamais.
Et quand on lui demande ce qu'elle fera si ces négociations échouent, elle répond évasivement. Elle n'a visiblement pas de plan B. En réalité, je pense que seule une sortie de l'Union Européenne est en mesure de rendre la souveraineté nécessaire à la France pour mettre son programme en pratique. Mais de ça, il ne semble pas en être question. Pour elle en tout cas, parce qu'on entend tout et n'importe quoi si on écoute tous les ténors du parti. Il semble qu'il règne une grande cacophonie au sein du parti et que chacun a au final sa version au sujet de l'Europe. Si bien que si on demande à n'importe qui si MLP veut faire sortir la France de l'UE, on nous répondra par l'affirmative, alors qu'en fait il n'en est jamais question dans son programme officiel !
Bref, dans le cas très peu probable qu'elle devienne Présidente, on se dirige tout droit vers un quinquénat à la Tsipras. C'est à dire une grosse désilusion pour l'ensemble de ses électeurs.
Sous Jean-Marie Le Pen, le Front National adoptait principalement un discours grossièrement anti-immigrés qui était son principal fonds de commerce. Son anti-européisme état instinctif et peu théorisé : dénonciation du caractère bureaucratique de l'union européenne, des normes artificielles décidées par des technocrates non élus... des thèmes largement utilisés par les partis traditionnels.
Sur l'économie, Le Pen père était plutôt un homme de droite classique, un peu plus rude que la moyenne, critiquant le fiscalisme, et les contraintes administratives.
Aujourd’hui, le discours du Front National est beaucoup plus sophistiqué. La grande réussite de Marine Le Pen (et de son principal conseiller Florian Philippot), c'est d'avoir su faire évoluer le positionnement du Front, sans renier ses fondamentaux. Elle a su articuler les revendications « identitaires » du parti avec un rejet global de l'ordre économique mondial.
Dans le storytelling du Front National, les dirigeants français ont trahi leur pays, en abandonnant la souveraineté nationale pour jeter la France dans une fuite en avant portée par des élites cosmopolites (grands industriels, fonctionnaires internationaux, artistes mondialisés…) qui défendent le libre-échangisme pour maximiser leurs profits tout en ouvrant grand les frontières aux migrations de populations afin de fournir aux multinationales une main d'oeuvre à bon marché rendant inopérant l'Etat-providence traditionnel.
Dans cette conception, l'union européenne est une courroie de transmission qui contribue à la fragilisation des institutions nationales en les soumettant à un ordre juridique contraignant qui empêche chaque pays de défendre les intérêts de ses citoyens. Et tous les politiciens des partis traditionnels sont des hypocrites et des vendus, ceux de droite parce qu'ils se prétendent patriotes alors qu'ils sacrifient les intérêts français au libre-échangisme mondialiste, ceux de gauche parce qu'ils parlent de justice sociale alors qu'ils célèbrent l'ouverture des frontières qui rendent caduques les mécanismes de redistribution traditionnels.
La force de ce discours est sa cohérence. Il fournit au Front une vision du monde globale, qui lui permet de dire que la montée de l'immigration, le développement du communautarisme islamique, la montée de l'insécurité, les risques de terrorisme.... sont expliqués par les mêmes mécanismes qui entraînent aussi les délocalisations qui ravagent les régions françaises, le démantèlement du service public, la montée de la précarité de travailleurs français. Que tout cela participe à un « système » artificiel, défendu par des médias, des intellectuels et des politiques qui en bénéficient, au détriment du « peuple » dont les aspirations (travail stable, maintien de son mode de vie…) sont sacrifiées.
La faiblesse de ce discours est que du coup, il est difficilement amendable. Si on n’adhère pas à cette vision du monde globale, on ne peut pas rejoindre le Front même si on juge certains de ses constats intéressants. Ainsi, une partie de l'électorat de droite est séduit par le discours identitaire du FN mais rebuté par son anti-européisme. A l'opposé une partie de l'électorat de gauche pourrait être séduit par son opposition au libre-échange mais est effrayé par son rejet de l'immigration.
D'où le dilemme de ce parti : faut-il lisser ses aspects les plus radicaux pour séduire le plus grand nombre, au risque de perdre ce qui fait sa spécificité ? Ou rester « pur » en espérant que le « système » implose et qu’il donne raison à Marine Le Pen et ses fidèles ?....