Cette machine à café avait au moins vingt ans. Une simple machine avec filtre achetée dans une grande chaîne de distribution. Dimanche matin je nettoie son pichet de verre (également appelé verseuse), là où coule le café après avoir traversé le filtre.
Je donne par inadvertance un coup, pourtant faible, sur le bord de l’évier avec le pichet. Crac, le choc casse le verre. Il casse en bas, près du culot. Ce n’est pas une fente: c’est un trou en forme de losange aux angles arrondis. Pas d’obsolescence apparente ici, dont on pourrait accuser le capitalisme et la société d’hyperconsommation: je suis seul responsable du dommage.
Je songe d’abord à réparer le pichet avec de la colle extraforte. Mais d’une part cette colle est toxique. La sentir de loin n’inspire pas la santé. D’autre part une miette de verre est tombée dans le trou d’évacuation de l’évier. Impossible donc de réutiliser ce pichet: même recollé il fuirait.
Je regarde sur internet. Il existe de nombreux modèles de pichets. Des dizaines, des centaines, tous différents. Les prix varient de 9 à 25 francs suisses environ.
Lundi je me rends dans un magasin d’électro-ménager, filiale d’un grand distributeur concurrent. J’expose le cas. Le vendeur me dit qu’il peut commander n’importe quel pichet sauf le mien, à cause d’une exclusivité sur la marque. Je comprends: c’est la marque de la principale chaîne concurrente.
Il ajoute que ce pichet coûtera entre 20 et 25 francs et qu’il faut réfléchir à l’achat d’une nouvelle machine. Le premier modèle coûte 39,90 CHF.
Sur le prix du pichet il a raison. Mais je ne suis pas prêt pour l’achat d’une nouvelle machine, ce n’était pas mon plan. Je le remercie pour l’info et me rends dans un magasin de la chaîne de distribution concurrente.
Là on peut commander le pichet si j’ai le ticket d’achat ou la référence, et si le modèle existe encore après vingt ans. Le ticket? Pfff... Avant toute décision je fouine dans les rayons. Et je tombe sur une machine à café qui me décourage de changer seulement le pichet. Le prix de cette machine neuve: 19,90 CHF. Moins que le prix du seul nouveau pichet.
J’ai acheté cette nouvelle machine. Comment résister à un prix aussi bas? Un prix qui encourage une forme discrète d’obsolescence: le coût de la réparation de l’objet n’est plus assez compétitif comparé à celui de son remplacement. C’est un effet de la concurrence, marqueur de l’économie capitaliste.
Le capitalisme est performant: 19 francs 90 pour une nouvelle machine à café filtre. La révolution anticapitaliste attendra.
Commentaires
Bonjour
En sujet, hors sujet ?
Ma machine à café est une "Jura" à percolateur, des années 60...
Il y a quelques années me lâche un joint important. Lors d'un échange téléphonique avec ladite maison, j'ai eu droit à quelques félicitations et 2 paquets de joints complets à titre gracieux.
Comme quoi :-)
«Cette machine à café avait au moins vingt ans.»
Et vous auriez voulu qu'elle ait la Vie Eternelle ?
Vous pouvez vous réjouir qu'elle ait fini en martyr. Au moins 72 vierges pourront en boire une tasse avant de satisfaire les futurs heureux élus.
@ Absolom: bien joué. Et un bon point pour la société.
@ Pétard: MDR!!! Bon, pas la vie éternelle et en plus ce n'est pas une panne, c'est un accident!
Enfin, la petite nouvelle a commencé son job et elle fonctionne à merveille.
@Hommelibre Merci pour ce billet humoristique ,on savait qu'il suffit d'un simple petit truc pour occuper les mains et l'esprit d'un homme mais une cafetière fallait y penser
C'est la même chose pour les légumes allongés comme un concombre il m'a fallu devenir veuve pour m'entendre révéler leur utilisation autre que culinaire
C'est la raison parmi d'autres qui me fait souvent dire autant préférer les hommes avec eux on ne s'ennuie jamais ce qui et aussi par force de les fréquenter permet d'affiner sa propre vision du monde
Très belle journée
J'aime assez ce petit côté contre-pied avec une accroche au titre.
Pour qu'une révolution fonctionne elle devrait venir du bas. Bottom-up.
J'ai opté pour une attitude qui devient parfois un parcours du combattant en essayant de comprendre d'où vient l'objet de mes désirs, ou de mes besoins, et les raisons qui font son prix.
J'ai compris dans la douleur qu'à force de tout vouloir, tout de suite et au meilleur prix, je participais à la cause première des phénomènes de délocalisation, de désindustrialisation, d'obsolescence et, in fine, de suppression de postes de travail.
Alors, en attendant le RBI et la désacralisation du travail, je tente, avec plus ou moins de succès, la consom'action qui m'apporte étonnamment une plus grande jouissance dans l'art de consommer.
Pour revenir au pichet de 20 ans, tu aurais pu faire un petit saut aux puces. Je suis prêt à parier qu'il y en a plusieurs...
Merci Lovejoie, et pour le concombre... ça se mange aussi, quand-même...
:-DDD
Belle journée à vous.
Pierre: pas pensé aux puces.
Et puis les puces ce n'était que mercredi: dans quoi allais-je faire mon café en attendant? Dans une casserole (essai du lundi matin) il refroidit rapidement parce que le fond ne touche pas la petite plaque chauffante!!!
Je participe aussi, sans doute, au phénomène de déloc avec une cafetière à 20.-. À ce prix elle n'a pas été fabriquée en Suisse... Mais voilà, l'argument prix est parfois décisif.
Cher hommelibre,
- « Obsolescence : la révolution anticapitaliste attendra »
"Révolution anticapitaliste".
Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il faut s'attendre à une ... "révolution" ?
Et pas à une ... "Obsolescence" du capitalisme ?
- « il faut réfléchir ... »
S'il le faut, ... allez les neurones, en short et en baskettes.
- « Le capitalisme est performant: 19 francs 90 ... »
_L'esclavagisme_ est très performant.
TOUS les _empires_ de l'histoire se sont bâtis sur l'esclavagisme.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27esclavage
En fait, la mort du capitalisme est déjà programmée. A cause de ...
. "l'optimisation" des contributions sociales_ par les corporations,
. _l'exploitation abusive_ de l'idée même de _l'économie_ ... comme justification politique donnée au souverain, par les gouvernants d'états "qui se disent" démocratiques (les capitalistes ont beaucoup trop d'influence politique dans les états dits démocratiques),
. le pouvoir insensé accordé aux corporations, dénommées "personnes morales" en droit (mais de quelle "morale", en l'absence de morale ?), qui ont beaucoup trop de libertés, et beaucoup trop de pouvoir économique sur les individus (mais tout ça c'est mon avis très personnel).
En fait, c'est l'idée même d'économie, en tant que valeur gouvernante de la société, qui se désintègre.
Excellent ! MDRRRR
J'en ai une à vendre. Une affaire cat état de neuf. Cela vous coûtera moins cher qu'une réparation . Je ne suis pas une championne dans la vente..... Profitez-en :)
L'expression "révolution anticapitaliste" n'est pas de moi, elle est utilisée entre autres par le NPA, le nouveau parti anticapitaliste.
Pourquoi, encore une fois, assimiler le capitalisme à l'esclavage? Non, non et non. Là on ne peut plus discuter. Ce n'est pas prenable. Un employé est au bénéfice d'un contrat et des règles de conduite entre partenaires figurent dans des textes législatifs. Les tribunaux font appliquer ces textes. Du moins dans les démocraties avancées.
On sait qu'en Chine par exemple les conditions de travail peuvent être très difficiles pour les employés. Inattendu pour un pays socialiste. Nous achetons un peu partout les produits de leur industrie, ce qui a permis à ce peuple d'améliorer globalement son niveau de vie.
Mais si vous comparez le simple salariat à l'esclavage, alors il faut imposer aux individus de devenir tous artisans indépendants afin de se libérer. Même ceux qui n'en ont ni l'envie, ni les idées, ni la compétence, ni l'audace ou la capacité de prise de risque. Nous ne sommes pas égaux naturellement.
"le pouvoir insensé accordé aux corporations, dénommées "personnes morales" en droit (mais de quelle "morale", en l'absence de morale ?), qui ont beaucoup trop de libertés, et beaucoup trop de pouvoir économique sur les individus (mais tout ça c'est mon avis très personnel).":
Pourquoi le qualifier d'insensé? La taille d'une entreprise détermine en partie sa puissance. Il est normal qu'elles veuillent grandir. Les entreprises, personnes morales, appartiennent à des gens. Oui, ils ont un certain pouvoir. Les employés ont les contre-pouvoirs que la loi a prévu, et la liberté de n'être ni soumis, ni définitivement attachés à l'entreprise. Ils subissent les fluctuations du marché, certes, mais n'ont pas à porter la responsabilité judiciaire ni financière d'une faillite.
De la même manière que d'autres corporations "morales" (associations diverses, partis politiques, etc), les entreprises se déterminent selon leurs organes responsables. On pourrait considérer les employés comme des sous-traitants travaillant en indépendants dans les locaux de l'entreprise. Les salaires seraient alors indexés sur la productivité et les résultats individuels. Ce serait peut-être plus juste que l'égalité formelle des salaires selon les heures, formations et compétences. On serait payés selon notre rendement réel. Ça ferait grincer des dents dans les chaumières...
Le scénario que tu esquisses dans ton dernier paragraphe est la réalité de demain et il ne faut pas être grand sage pour la voir se profiler.
Non seulement les salariés se sentent exploités, mais surtout les entreprises n'ont pas suffisamment de flexibilité pour s'ajuster en temps réel selon les périodes de vaches grasses ou maigres avec du personnel fixe.
Ainsi, en France, les emplois à durée déterminée (CDD) ont explosé. Des sociétés comme Amazon engagent trois fois plus de personnel durant les fêtes de fin d'années. Ceux qui espèrent obtenir un CDI doivent faire preuve d'un zèle extrême, ils sont notés et encouragés à la délation.
Les nouveaux arrivants sur le marché, comme Uber qui en est la caricature, sont des modèles qui se permettent de violer toutes les lois car ils naviguent en zone grise et prétendent n'être pas concernés par les divers textes législatifs. Uber prétend mettre des gens en relation, point barre. Un tribunal de Californie a condamné cette société à salarier ses chauffeurs. Affaire à suivre...
La jeunesse d'aujourd'hui rêve de devenir le prochain Bill Gates, Steve Jobs ou Zuckerberg en travaillant dans son garage. Ils savent qu'ils n'auront aucune garantie d'emploi dans un seul domaine à long terme.
A cela s'ajoute la réduction drastique du travail à l'échelle mondiale comme l'annoncent depuis quelques années le FMI et le WEF en raison de la numérisation et la robotisation des tâches.
Je ne peins pas le diable sur la muraille, au contraire, je pense que c'est une évolution prometteuse qui devrait inciter nos décideurs à revoir le modèle du revenu de base inconditionnel (RBI) et faire d'une pierre deux coups avec la révision impossible de l'AVS.