La décision n’a pas fait l’objet d’une déclaration officielle. Seuls les commerçants ont été avertis: ils ont deux jours pour cesser la fabrication et la vente de burqas et se débarrasser de leurs stocks.
La burqa va donc progressivement disparaître – au moins de la vente et, par la suite, de la population. Si le vêtement n’a pas été officiellement interdit cette décision vise le même but: éliminer progressivement le voile intégral. Les autorités marocaines ne reconnaissent pas leur islam dans ce signe.
Le Maroc est un pays musulman à part. Son roi porte le titre de Commandeur des Croyants et a autorité sur le malékisme. Cette branche de l’islam s’est particulièrement développée au Maghreb.
Les autorités marocaines ont décidé cette interdiction pour des raisons de sécurité. Mais
« … cette mesure éminemment symbolique renforce l’image d’un Maroc à l’islam tolérant, dont les institutions se posent en adversaire déclaré au fondamentalisme religieux ».
Le président de l’Association marocaine des droits de l’Homme est plus circonspect. Il considère que le mode vestimentaire est un choix personnel et le gouvernement ne devrait pas intervenir sur ce sujet, sauf pour une question de sécurité:
« Nous, on considère que le choix de son habillement dépend du choix de la personne, donc l’Etat ne peut pas intervenir sur ce plan-là parce que l’habillement est un droit qui relève des libertés individuelles. Sauf que si ces vêtements peuvent cacher le visage de la personne, cela peut être nuisible à l’ordre public et cela peut affecter les libertés des autres personnes parce qu’on a maintenant cette phobie d’être avec quelqu’un qu’on peut ne pas reconnaître et qui peut présenter pour nous une menace ».
La sécurité est donc mise en avant. La liberté vestimentaire est rognée, comme en Europe. Car sur notre continent aussi le port du voile intégral a été prohibé (en France), ou pourrait l’être (en Suisse).
Le dilemme entre liberté et sécurité ne touche que très peu de personnes, soit les femmes qui portent effectivement la burqa. L’Europe s’accommodera donc de l’interdit. Le Maroc aussi probablement, car la burqa ne fait pas partie de ses traditions.
Étrange paradoxe pourtant: le Maroc, dont l’islam est réputé tolérant, doit prendre une décision intolérante pour justement préserver sa tolérance.
Commentaires
Une société tolérante peut-elle toléré l'intolérance?
Le mode vestimentaire est un choix personnel et le gouvernement ne devrait pas intervenir sur ce sujet"
Justement. Il ne s'agit pas d'une loi générale mais d'une loi qui vise un vêtement traditionnel et répandu; elle viole le principe de la liberté individuelle. Une fois cette loi accepté, rien n'empêche le législateur d'interdire les short, les Lederhosen bavarois, la tunique portée par les clercs, le bikini, le képi, le rouge à lèvre, les cranes rasés, les tatouages.
- « Étrange paradoxe pourtant: le Maroc, dont l’islam est réputé tolérant, doit prendre une décision intolérante pour justement préserver sa tolérance. »
Ce qui arrive fréquemment quand on confond ... "paradoxe" et contradiction, ... et, ... l'état marocain et la société marocaine.
Ce qui arrive fréquemment quand ...
- « Les autorités marocaines ne reconnaissent pas leur islam dans ce signe. »
... on confond ... "les autorités marocaines" ... et ... "les marocains".
- « La burqa va donc progressivement disparaître – au moins de la vente et, par la suite, de la population. »
On parie que non ?
Autoriser la burka c'est comme autoriser la non existence d'individus dans l'espace public. C'est interdire toutes communication entre des individus qui partagent le même espace public, le visage étant par définition le meilleur moyen d'identification d'une personne. Rien ne justifie de se soustraire au regard des autres. La burka est la revendication d'une absence d’identité qui n'a pas sa pace dans une société évoluée.
Le port de la burka est avant tout un petit djihad du quotidien, et ça il ne faut jamais l'oublier !
Pour ceux qui ne comprennent pas, je les invite a revoir la définition de "djihad".
@ Norbert:
Je suis d'accord avec le fait que le visage exprime beaucoup de la personne et est un élément important de la communication. C'est ce qui me manque avec le voile intégral. Sur la non-existence, je pense par contre que l'on doit considérer les gens comme libres et les femmes en burqa comme responsables de leur choix d'adhésion (quelle que soit la force du groupe). Cette adhésion explique probablement pourquoi le port de ce vêtement perdure.
@ Chuck:
Il me semble que "paradoxe" est le terme approprié ici.
"On parie que non?" : wait and see.
Effectivement, comme le disent les autorités, c'est une mesure symbolique, puisque la burqa n'est pas un vêtement marocain mais afghan. Donc je pense qu'il doit être vraiment rare sur le territoire. Un peu comme si on interdisait la fabrication et la vente de saris en Suisse.
@hommelibre,
Vous évoquez le port de la burqa, comme si il était forcément un choix personnel libre, du même ordre que si je décide de mettre une jupe plutôt qu'un pantalon.
"Sur la non-existence, je pense par contre que l'on doit considérer les gens comme libres et les femmes en burqa comme responsables de leur choix d'adhésion (quelle que soit la force du groupe). Cette adhésion explique probablement pourquoi le port de ce vêtement perdure."
Nous ne savons pas, quel pourcentage de femmes afghanes ont choisi de porter la burqa et si elles ont réellement le choix de quoi que ce soit. Dans le contexte afghan, il est certainement difficile d'imaginer que le mot "choix" ait du sens, même pour les hommes, qui ne seraient pas Talibans.
Au Maroc, il se peut que le 100% des femmes portant la burqa l'aient choisie librement et que ce vêtement leur semble correspondre exactement à ce qu'elles veulent et que c'est pour cela que ce vêtement a un certain succès.
Mais peut-on en être absolument sûr ?
Tout comme en Europe. Comment être sûr, que le choix soit personnel ? Une femme qui affirme l'avoir choisi, peut tout à fait avoir peur d'affirmer le contraire, de peur de démolir son environnement familial.
On peut décider de vivre avec un certain pourcentage de femmes forcées à sortir en burqa, pour préserver la liberté de celles qui choisissent librement de le porter.
On peut choisir de vivre avec des personnes masquées, dont on ne sait vraiment pas qui c'est.
En ce qui me concerne, je choisirai de privilégier la sécurité et la possibilité d'identifier des individus.
Parfois, les choix individuels sont à mettre en sourdine, face à des priorités de choix de société.
Il y a des situations, où il n'y a pas de gagnant-gagnant.
Dans le cas du Maroc, on ne peut au moins pas invoquer l'islamophobie.
Que de lâcheté, de dégâts au nom de la "liberté individuelle" alors que c'est notre liberté tout court qui est en jeu!
Comme on connaît ses saints on les honore. Seuls les politiques occidentaux tergiversent et sont incapables de prendre des décisions.
Calendula: "Dans le cas du Maroc, on ne peut au moins pas invoquer l'islamophobie."
Disons que c'est un geste qui ne mange pas de pain, puisque la burqa est très rare au Maroc, et que c'est un gros appel du pied en direction des touristes, en particulier des Français, qui risquent de se détourner du Maroc, par assimilation avec les autres pays musulmans. (alors qu'il n'y a eu récemment aucun attentat terroriste, ce qui en fait un pays moins dangereux que plusieurs pays européens)
Calendula,
Je choisis de considérer que les gens sont libres de leurs actes s'ils n'ont pas le pistolet sur la tempe. Certaines femmes portent peut-être la burqa par contrainte familiale: c'est qu'elles ont plus d'avantage que d'inconvénients. Les voir comme non libre c'est les infantiliser. Je m'y refuse, ce serait les aliéner.
Par ailleurs je partage votre avis de conclusion: "Parfois, les choix individuels sont à mettre en sourdine, face à des priorités de choix de société.
Il y a des situations, où il n'y a pas de gagnant-gagnant."
Porter la burqa dans un milieu hostile peut être, comme le dit C. Martel, une posture de combattante contre notre culture. Mais je pense aussi que nombre de musulmans fondamentalistes ne sont pas des guerriers et qu'ils veulent d'abord se conformer aux injonctions de leurs imams.
"Porter la burqa dans un milieu hostile peut être, comme le dit C. Martel, une posture de combattante contre notre culture. Mais je pense aussi que nombre de musulmans fondamentalistes ne sont pas des guerriers et qu'ils veulent d'abord se conformer aux injonctions de leurs imams."
Je souscris totalement à cette conclusion. On peut faire ou éviter de faire quelque chose de son plein gré, un acte qui est toujours conditionné par des circonstances personnelles, sociétales ou de convenance: Je ne vais pas à l'opéra en baskets et chemise à motif de fleurs. A l'époque de mes parents, les femmes couvraient les bras par des manches longues et parfois portaient un foulard. Il n'y a pas si longtemps que lese veuves portaient des vêtements noirs en signe de deuil pendant une année suivant le décès de leur mari.
@hommelibre,
Si je participe, presque systématiquement, aux débats sur la burqa, c'est que je pense que ce vêtement est un condensé de beaucoup de questions ouvertes et que sa forme dit quelque chose sur le fond, c'est à dire la position problématique de la femme dans la société.
Vous pensez que d'interdire cet habit, c'est infantiliser les femmes.
Eh bien moi, je pense que d'inventer cet habit, c'est vouloir effacer les femmes de la vie publique. Car cet habit ne sort pas de nulle part.
L'Afghanistan et l'Arabie saoudite (pays d'origine des ces habits qui cachent le visage, en plus du corps) ont des politiques, qui ne considèrent pas les femmes comme tout à fait adultes, puisqu'elles n'ont pas les mêmes droits que les hommes. Le déni d'un statut d'adulte pleinement responsable n'est donc pas seulement dans l'interdiction.
Le truc amusant avec la burqa, c'est qu'elle est censée rendre invisible, mais en réalité, elle met quelque chose très clairement en évidence, un message complexe et paradoxal:
Je suis là, mais pas en tant que personne assumant mon identité en public. Ma forme noire ( bleue) affirme que je suis une femme, pratiquant de façon particulièrement dévote une forme de religion particulièrement contraignante. (Vous ne saurez pas, si cette affirmation vient de mon intime conviction ou de celle de mon entourage, puisque je n'ai, par définition, pas vocation à m'exprimer publiquement en tant qu'individu.)
Je comprends, qu'à un moment donné, les autorités du Maroc disent : Cet habit apporte dans notre pays une forme et une dimension religieuse qui ne nous conviennent pas.
Est-ce ( comme le dit Kad), pour rassurer des touristes européens ? C'est une hypothèse. Est-ce que cette mesure suffira pour se dire, qu'il n'y a plus de risques d'attentats ? J'en doute ...
Et s'il suffisait, que le Maroc ait le projet, en toute souveraineté, de ne pas laisser de la place aux rigoristes ? Simplement, parce que le pays préfère rester dans sa tradition.
J'imagine, que le "commandeur des croyants", qu'est le roi du Maroc, n'a pas envie de laisser de la place au wahhabisme, d'avoir dans son pays des courants religieux trop insoumis, et peut-être pilotés depuis l'étranger.
Si la burqa en fait les frais, je n'arrive pas à en frémir d'indignation. D'autant plus si cette interdiction ne concerne ( pour le moment) que peu de femmes.
Je ne me vois pas critiquer le Maroc pour cette décision. J'observe cela plutôt avec curiosité. Car chez nous, s'opposer à la burqa, c'est passer pour borné, liberticide, ethnocentrique, incapable de comprendre les aspirations d'autrui.
En Europe, nous avons un problème avec l'idée de l'interdiction. Elle semble mauvaise, par essence. Comme si l'interdiction était le signe d'une faiblesse, comme si elle nous faisait verser du côté du fascisme, comme si on en revenait à une époque honnie d'avant la liberté, d'avant les libertés.
Tolérer que certaines personnes se déplacent de façon non-identifiable dans l'espace public me semble être d'une imprudence impossible.
Cela m'est apparu un jour, de façon très concrète à l'aéroport de Genève. J'avais passé des contrôles de sécurité particulièrement pointilleuses, avec palpation.., et voilà que je me retrouvais dans un des "satellites" avec une personne en niqab, assise au milieu d'un groupe familial, ignorée de tous. Elle était là, comme un meuble, un paquet.
Je me suis demandée, à quoi ça pouvait rimer et si c'était même une femme ? Avait-elle dû montrer son visage au contrôle de sécurité ? Comment était son passeport ? Y avait-il des passe-droit pour ne pas offusquer sa liberté ? Je ne le saurai jamais. Peut-être que les réponses m'auraient rassurée ..
S'interdire d'interdire la burqa, pour ne pas frustrer quelques femmes, qui ont besoins de vivre leur liberté individuel de cette façon-là - non, je n'arrive pas à me faire entrer cette logique dans la tête.
@ Calendula
bien vu tout à fait en accord avec vous.
@ leclercq,
Tout arrive ! Il peut arriver que nous soyons d'accord sur un sujet donné, tous deux.
Ca vaut la peine de le remarquer ! ;-)))