Dans mon précédent billet je critiquais la contritionnite qui sévit dans notre occident un peu dérangé. Je n’ignore cependant pas l’importance des excuses, mécanisme fondamental des relations humaines. Pourvu qu’elles soient sincères et adressées à bon escient.
Mais d’abord une définition du terme excuse, tirée du cnrtl.fr:
« Manifestation physique ou verbale visant à abolir la culpabilité résultant d’une faute, d’un manquement vis-à-vis de quelqu’un. »
Première remarque: il doit y avoir faute ou manquement. Seconde remarque: quelqu’un doit être objectivement lésé pour que la présentation d’excuses soit pertinente. Un manquement peut être un engagement (même amical) non tenu. Une faute peut être un préjudice direct infligé à un tiers: trahison, injure, mensonge à son sujet, par exemple.
Voici comment je vois les choses.
Présenter des excuses, c’est reconnaître sa responsabilité et en exonérer l’autre. C’est le rétablir dans son bon droit selon la plus élémentaire justice. C’est demander l’annulation ou le pardon de la faute, ou tenter de réparer, moralement au moins, le préjudice.
Par le geste ou la parole, l’excusable fait amende honorable, sans contrition publique fatalement suspecte, yeux dans les yeux, dans l’intimité d’un dialogue réservé à la personne concernée. Les déclarations publiques les plus émotionnelles et contrites dans ce domaine viennent rarement du coeur.
Personne n’est préservé du risque de se tromper. L’apprentissage de la vie passe aussi par la commission d’erreurs. Sans être criminels, nous commettons des impairs par des paroles ou des gestes, ce depuis l’enfance. Parfois en conscience, parfois sans s’en rendre compte.
Si nous n’avons pas l’intention de porter préjudice, il n’y a pas de faute, même si quelqu’un s’estime malmené par nos propos.
Néanmoins, il est possible de présenter des excuses même sans avoir eu l’intention de nuire, simplement pour signaler à l’autre notre bienveillance et éviter tout malentendu. Ou pour se mettre à son diapason.
Les petits préjudices sont nombreux dans une société. Les excuses permettent de les réparer sans que la justice n’ait à intervenir, soit parce que le préjudice est trop faible et ne relève pas d’une qualification pénale, soit parce que les personnes en cause décident de régler leurs différents entre elles.
Les excuses doivent être appropriées au degré de gravité de la faute ou du manquement. Parfois le préjudice est si faible qu’il s’éteint de lui-même. D’autre fois, en l’absence d’excuses, nous devons prendre sur nous et travailler à éteindre le sentiment de préjudice.
Et surtout elle doivent être présentées à la bonne personne ou au bon groupe de personnes. Cela postule qu’une déclaration publique d’excuses, sans lésé précis, sans cible explicite et nommée, n’a aucune pertinence. On doit adresser des excuses à une ou des personnes précises: celles que l’on a mises à mal.
La labilité contritionnelle actuelle n’entre pas dans ces critères. Les excuses internet n’ont d’autre fonction que de créer un rapport dominant-dominé. Le dominant est le plus souvent anonyme. Il juge au nom de principes moraux qui demanderaient à être précisés si l’on voulait les prendre au sérieux. Il exécute ses cibles dans ce qui ressemble à un pogrom numérique.
Le dominé est le plus souvent une personne publique, susceptible par sa célébrité de donner un écho aux jugements moraux du dominant anonyme. Quelqu’un qui s’est lâché en oubliant que l’oeil numérique de Big Brother surveille. Il réagit soit par la peur du jugement négatif – nous préférons généralement être perçu comme quelqu’un de bien – soit par la peur de perdre son audience, ses fans, ses followers, likers, etc.
La sincérité d’excuses adressées trop rapidement, sans débat sur l’éventuelle offense, et à n’importe qui par la voie des réseaux dits sociaux, doit être sérieusement mise en doute. Il s’agit davantage d’une soumission au pouvoir anonyme des médias numériques.
La labilité contritionnelle est une soumission à un pouvoir sans nom et sans identité claire. Elle participe à une forme de fascisation rampante de la société. Et en réalité, bien loin de rapprocher les êtres et les âmes, elle contribue à imposer de nouvelles dominations.
Des excuses? Oui, c’est un bon mécanisme relationnel. Mais proportionnelles, justifiées, et adressées par voie privée à la personne adéquate.