Hier la RTS diffusait le documentaire « 68, année érotique ». À part les barricades parisiennes et les grandes manifs, de quoi était faite la vague libertaire des années post-68? Des témoignages ont illustré la quête de certains et certaines des acteurs et actrices de la révolution sexuelle.
Dans le docu, quelques femmes et hommes parlent sans tabou de leurs expériences de l’époque: la vie en communauté, la disponibilité sexuelle hors des sentiments, le partage des compagnes et compagnons, le refus de la possessivité, donc de la fidélité et de la jalousie.
Une femme en particulier nous fait partager de manière presque jouissive comment elle devait gérer son temps entre ses trois amants. En même temps que l’émergence des désirs, l’arrivée d’une contraception très sûre – la pilule – a changé profondément les moeurs.
Et dans l’ensemble les hommes y ont adhéré parce qu’ils avaient un intérêt eux aussi. Avant cette liberté, avant la pilule, faire l’amour était un pensum pour les garçons. Trouver une fille qui accepte n’étant pas la moindre des difficultés!
Ensuite la crainte d’une grossesse non désirée planait toujours plus ou moins sur les rapports. Et puis, le garçon qui ne s’engageait pas n’était vu que comme un profiteur. Il ne faut pas croire ce que l’on dit: les hommes n’étaient pas les maîtres et rois. Alors, vivre dans une époque où de plus en plus de filles pratiquaient une disponibilité facilitée, c’était le nirvana!…
À l’époque une frange assez large de la jeunesse voulait jouir sans entrave, comme le rappelle ce vieux slogan. Pour cela beaucoup de femmes et d’hommes ont transgressé les anciens codes, exploré de nouveaux chemins, et tenté de casser les murs rigides entre les gens.
Les limites et la morale stricte d’avant en ont pris un coup. L’époque était libertaire, et la sexualité était un fer de lance de cette liberté. Et le corps était le lieu de la bataille.
On disait aussi qu’il fallait oser exprimer sa sensibilité, suivre ses feelings. Se toucher physiquement était signe d’ouverture aux nouvelles valeurs. C’était perçu comme un progrès. Je n’en suis plus aussi sûr aujourd’hui.
Mais c’était l’époque. Les populations hippies avaient ouvert la voie avec l’amour libre, dont la pratique était supposée réduire nos tendances guerrières. Dans une sorte de quête d’amour universel, non conditionné par les contingences personnelles, le groupe AAO poussait cette logique dans une radicalité non dépourvue de pertinence.
Dans ce groupe il n’y avait pas d’habits ni de stratégie de séduction. Pas de couple stable non plus:
« Dans la relation de couple se retrouvent les projections parentales du bébé frustré de l’amour des parents. La libre sexualité est un degré de communication et d’amour seulement atteignable dans la vie collective. Ce sont essentiellement les femmes qui prennent l’initiative. Nous sommes aux antipodes de la répression sexuelle qui entraîne culpabilité et compensations. »
En simplifié, la commune AA fonctionnait selon ces principes:
« L’AAO résulte de la fusion de la commune AA qui était installée à Vienne et à Friedrichshof (40 km de Vienne) et de communes qui l’imitaient (Berlin et Genève, au début). Les « AA » définissent leur originalité par six principes de vie :
1. selbstdarstellung ou représentation de soi-même
2. libre sexualité
3. propriété collective
4. prise en charge collectivement des enfants
5. production et travail communs
6. démocratie directe.
Pour moi l’originalité principale résidait dans le mariage entre la vie communautaire et la psychothérapie. »
Renoncer à toute inclination personnelle, c’est instaurer une égalité totale sans privilège quel qu’il soit.
Les témoins entendus dans le docu sont plus nuancés. Mais la liberté sexuelle comme elle était vécue à l’époque est-elle durablement possible? Pas certain, du moins il n’y a pas de tentative connue assez durable pour en tirer un enseignement. Ont-ils enlevé d’eux la jalousie? Pas forcément. Ce n’est pas si simple.
Pourtant, à les entendre, ils n’ont pas hésité à accepter la dépossession des limites et liens qui formaient le couple d’avant.
Aujourd’hui cette permissivité passerait-elle encore comme une joie? Pas sûr. À l’époque les filles choisissaient, disaient oui ou non, et ne demandaient pas à l’État de tout régler. Suzette Sandoz, intervenante à l’Infrarouge qui a suivi, « craint que l’autorité traditionnelle n’ait laissé place à un contrôle général autrement plus sournois ».
Elle a raison et cela mérite aujourd’hui un vrai débat. Car l’innocence post-hippie a tourné au vinaigre et le délit de harcèlement remplace aujourd’hui la joyeuse permissivité d’une époque révolue.
La remise en question profonde de la société était-elle si futile? Je ne le pense pas. La morale bourgeoise qui prévalait jusqu’alors était vécue comme hypocrite, et la fidélité comme ringarde. L’idée d’une supériorité de la modernité, affranchie d’une forme étouffante (ou vécue comme telle) du bien et du mal, a été mise en avant pour déclasser ce qui se faisait précédemment.
Les jeunes générations de l’époque ont fait sauter la cloche sociétale répressive qui pesait sur un certain nombre de comportements.
On peut comprendre que certains témoins de ce docu semblent en garder une nostalgie.
Commentaires
Bonjour Homme Libre,
Tant de souvenirs...il est vrai qu'avec la pilule et avant le sida, ce fut une époque bénie, de grande liberté pour les deux sexes.
Mes enfants n'ont pas eu cette chance, dommage.
Je vous souhaite un bon week-end, pluies et orages ici.
Cahier spécial dans 24 heures sur le sujet samedi. Pour la première fois en 50 ans, ce sont les vrais acteurs qui s'expriment et non des guignols dont on n'a plus entendu parler à partir de juin 68 (mais copains avec les journalistes, probablement).