Hier je me suis arrêté sur une phrase du dernier billet de Mireille Vallette: « 83 % des lycéens disent que les choses les plus importantes à enseigner aux enfants sont l’obéissance et le respect de l’autorité. »
La part des choses
Le contexte est une enquête sur la tentation radicale dans les lycées français. Enquête qui impressionne: les chiffres et les thèmes tendent à montrer une fracture culturelle dont les conséquences sont une remise en question des valeurs et institutions françaises. C’est aussi cela le multiculturalisme européen: un rapport de force.
Mais ma réflexion est allée ailleurs, sur ce chiffre: 83 % des lycéens, toutes origines confondues, donc parmi eux les enfants d’une génération qui a porté un idéal non-autoritaire. Cet idéal n’est pas atteint par une simple déclaration de bonne intention. Il demande un travail sur soi continu.
Il y a une quarantaine d’années on mettait en pièces de la notion même d’autorité, en partie par rejet des abus autoritaires des idéologies du XXe siècle selon moi. Aujourd’hui des lycéens demandent massivement plus d’autorité et de discipline – l’obéissance impliquant cette dernière.
Mais quelle autorité? Celle, vécue comme punitive, contre laquelle nous nous sommes élevés? Celle qui s’installe sur le fait d’une inégalité de pouvoir et de droits? Qui instaure dans les relations une préséance formelle, partie d’un ordre préétabli, des choses et des personnes?
L’Histoire récente abonde de cauchemars autoritaires dont la mémoire n’est pas encore assez diluée. Dans mon expérience j’ai appris à faire la part entre autorité et autoritarisme. Cela m’a permis d’assumer des moments et des domaines où la situation me demandait de faire usage d’autorité.
Esprit de justice
C’était en contradiction avec l’idée suivante: de quel droit, de quelle légitimité, de quelle autorité justement, aurais-je un pouvoir sur une personne autre que moi-même? J’ai dépassé cette contradiction grâce au fait que cette autorité est limitée dans le temps et l’espace.
Dans le cnrtl.fr la première définition du mot autorité est: pouvoir agir sur autrui. La suspicion est donc légitime. Cela n’est pas sans risques. Dans les codes sociaux on attend de l’autorité qu’elle serve, avec sagesse et justice. Et, grâce à la démocratie, nous pouvons le vérifier.
Plus loin la définition suggère un sens plus philosophique:
« Faire autorité. S'imposer comme règle, avoir force de preuve. Force de caractère qui permet à une personne d'inspirer le respect, l'admiration, d'imposer sa personnalité à son entourage. »
Ce qui m’intéresse ici est le fait qu’une personne soit posée en situation de référence pour d’autres, qui doivent l’accepter comme telle. L’âge, le savoir, l’expérience, peuvent se parer d’autorité.
Pour permettre de faire accepter cette autorité sans susciter de résistance si ce n’est pas utile, celui ou celle qui la détient momentanément sera plutôt bien inspiré de ne pas forcer sur la punition (je pense aux enseignants). Son exigence doit être accompagnée d’esprit de justice, de compréhension de la situation particulière, d’une forme de respect malgré l’inégalité de position. L’esprit de justice se développe si l’on y travaille.
Cherche équilibre
Cependant tous les cas peuvent se présenter, selon les situations, les personnes et les enjeux. Un entraîneur sportif peut entrer en confrontation avec un athlète s’il pense que cela peut être un moteur de performance. Les choses ne sont pas toujours lisses.
Si les lycéens demandent massivement plus d’autorité c’est possiblement qu’ils ne la constatent pas. Or l’autorité pose des cadres dans les relations. Si ces cadres, comme le silence en classe, l’attitude de déférence envers l’enseignant (je dis déférence, pas subordination ni obséquiosité), le respect des affaires des autres, ne sont pas assez présents l’ambiance pédagogique se délite.
À mon avis l’autorité ne devrait pas s’imposer par la peur. C’est plus facile à dire qu’à faire. Un parent énervé par son enfant qui veut absolument un chocolat au magasin, lui fait peur par sa grosse voix. Le volume sonore implique menace et désamour.
Je pense que la non-directivité, espace créatif et paisible, où l’autorité devient légère, ne peut être appliquée de manière permanente et absolue dès lors que l’on a responsabilité de personnes. Un animal ne laisse pas ses petits dans le danger, même s’il doit momentanément les contraindre.
Ainsi sommes-nous, nous aussi. Mais avec d’infinies possibilités de nuancer la manière dont nous exerçons l’autorité.
Entre l’autoritarisme antérieur, et les expériences anti-autoritaires depuis les années 1970, il y a possiblement un équilibre à trouver, encore en recherche.
Commentaires
Je partage le point de vue du défunt Professeur Choron à l'égard des lycéens: https://youtu.be/UAX9jgH9KAE
Comme toujours, les slogans ont régné, car les slogan sont indispensables pour mettre les foules en marche. E l'occurrence le slogan était du genre "interdit d'interdire", ce qui revenait probablement à dire "à bas l'autorité". Pris dans son sens général, cela n'avait évidemment aucun sens: il n'y a pas de société sans autorité, même si ce n'est que celle des ancêtres mythiques dans de petites sociétés tribales.
Il s'agit donc, si on veut donner un sens à ce que l'on dit ou revendique, en dehors de la qualité de slogan de la forme que l'on emploie pour y essayer d'y parvenir, de contester un "certain type d'autorité". D'un point de vue politique cela demanderait une ou des propositions de remplacement de ce qui existe, que ce soit dans les formes de l'institution ou dans la manière d'en exercer les pouvoirs qu'elle a défini.
Sinon, on reste dans une revendication, tout à fait inévitable, légitime et même admirable en soi, qui procède du passage de l'enfance à l'âge adulte et qui se manifeste dans l'adolescence (parfois trop prolongée) sous la forme simple, violente, sincère, romantique et totalement illusoire dans ses aspirations.
Cette aspiration ne peut qu'être déçue, car lorsqu'elle ne l'est pas elle ne fait qu'aboutir à des dictatures, mais elle porte en elle l'énergie de la jeunesse. C'est elle qui peut fournir un nouvel élan à l'usure et une certaine décrépitude qui est la marque de la vieillesse, et c'est la jeunesse qui menace les ordres en place comme elle menace et engloutit ceux qui les ont incarnés.
A l'attention de ce pseudo "Christian Brunier", qui ne publiera pas mon commentaire :
""Greta Thunberg à 16 ans secoue les consciences pour tenter de sauver notre planète"
Je ne sais pas qui vous êtes, mais avez-vous réfléchi ne serait-ce qu'une seule seconde avant d'écrire une telle connerie ? "Sauver notre planète ?" Mais de quoi ? Pensez-vous sérieusement que votre greta a les moyens d'empêcher l'implosion du soleil dans cinq milliards d'années ?
En généralisant et simplifiant, de manière quelque peu excessive, je l'admets, cet usage des slogans ou mots d'ordre, on peut remarquer que beaucoup d'idées inspirées d'une vison idéale plutôt que réaliste, du monde, ne résistent pas non plus à l'analyse.
C'est le cas de l'idée d'égalité, qui figure dans l'énoncé dans les la devise de la République française. On a beau avoir répété qu'il ne s'agit pas d'une égalité de naissance, mais d'une égalité de droits, l'illusion persiste, de serait-ce que de manière sous-jacente, dans nombre de revendications sociales, que nous pourrions et devrions viser l'égalité de pouvoir, de revenus et de richesses.
Même l'idéal de Marx “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins” ne fait pas le poids face à la réalité du constat orwellien de ""Tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d'autres".
Car dans un sens arithmétique le tous égaux implique que tous soient égaux à la moyenne, ce qui signifie nécessairement que pour atteindre ce but, certains doivent céder ce que d'autres vont gagner. Or il est évident que personne n'a envie de céder quoi que ce soit, comme le montre, dans la pratique, les difficultés rencontrés lorsqu'il s'agit de réformer le système fiscal.
En réalité, tous égaux signifie, tous égaux, tous la même chose, mais moi un peu plus que les autres ou d'autres.
Je ne comprends pas ce que vous dites :
"de quel droit, de quelle légitimité, de quelle autorité justement, aurais-je un pouvoir sur une personne autre que moi-même? J’ai dépassé cette contradiction grâce au fait que cette autorité est limitée dans le temps et l’espace."
Exemples:
Le pouvoir sur un enfant de l'obliger à se brosser les dents. Illégitime ?
Le pouvoir de contraindre des conducteurs à ne pas boire avant de conduire. Illégitime ?
Le pouvoir de contraindre un dictateur à rendre compte de ses actes. Illégitime ?
Bonjour Homme libre,
Votre surprise m’a surprise, parce que lorsque j’ai lu cette phrase sur la valeur autorité, je n’ai pensé qu’aux parents. C’est probablement le cas si l’on pense au nombre imposant de musulmans dans ce 83%. Il me semble que peu d’entre eux, tous confondus, respectent par exemple l’autorité des enseignants (qui s’en plaignent tant), hors des cas de profs particulièrement doués. Il se peut aussi que comme pour le respect, ils adorent l’autorité lorsqu’elle n’a aucune conséquence désagréable sur eux.
Les années 70 ont renversé beaucoup de tabous, mais étaient en pleines idéologies. L’un des facteurs d’autorité tombé de son piédestal ne s’est jamais relevé : la religion. Or, beaucoup de normes, comportements, valeurs (sexualité, relation aux parents, obéissance, violence, rencontres d’église, de paroisse…autorité, etc. etc.) s’appuyaient sur elle. Aucun autre système de référence ne l’a remplacée, les parents par exemple doivent trouver eux-mêmes quelles valeurs enseigner, et les justifier. Il me semble que cette situation conduit à nombre d’individus déboussolés.
Bon, ce n’est qu’un aspect d’une vaste problématique, mais il me semble assez exemplaire. J’irai même jusqu’à dire que cette absence de normes partagées a permis que la théorie du genre s’impose à une vitesse fulgurante dans les milieux universitaires, les partis, la culture. Je ne comprends pas d'ailleurs pourquoi le tabou de l’inceste n’est pas encore tombé.
Bonjour Homme libre,
Votre surprise m’a surprise, parce que lorsque j’ai lu cette phrase sur la valeur autorité, je n’ai pensé qu’aux parents. C’est probablement le cas si l’on pense au nombre imposant de musulmans dans ce 83%. Il me semble que peu d’entre eux, tous confondus, respectent par exemple l’autorité des enseignants (qui s’en plaignent tant), hors des cas de profs particulièrement doués. Il se peut aussi que comme pour le respect, ils adorent l’autorité lorsqu’elle n’a aucune conséquence désagréable sur eux.
Les années 70 ont renversé beaucoup de tabous, mais étaient en pleines idéologies. L’un des facteurs d’autorité tombé de son piédestal ne s’est jamais relevé : la religion. Or, beaucoup de normes, comportements, valeurs (sexualité, relation aux parents, obéissance, violence, rencontres d’église, de paroisse…autorité, etc. etc.) s’appuyaient sur elle. Aucun autre système de référence ne l’a remplacée, les parents par exemple doivent trouver eux-mêmes quelles valeurs enseigner, et les justifier. Il me semble que cette situation conduit à nombre d’individus déboussolés.
Bon, ce n’est qu’un aspect d’une vaste problématique, mais il me semble assez exemplaire. J’irai même jusqu’à dire que cette absence de normes partagées a permis que la théorie du genre s’impose à une vitesse fulgurante dans les milieux universitaires, les partis, la culture. Je ne comprends pas d'ailleurs pourquoi le tabou de l’inceste n’est pas encore tombé.
@ Miroslavh:
Je peux le dire autrement:
- j'ai peut-être une sensibilité particulière à ces situations;
- j'ai connu des cas d'autorité abusive et je n'ai pas envie de les reproduire.
Les cas que vous citez relèvent d'une légitimité en effet, avec ces quelques nuances: pour l'éducation comme pour le contrôle et l'interdit d'alcoolémie sur la route, il y a des lois qui donnent légitimité, lois fondées sur des considérations objectives non personnelles: risques d'accidents, risques du manque de soins, etc. Pour le dictateur la légitimité vient de l'exaspération et de la souffrance d'une oppression.
Mais endosser une fonction prévue par la loi n'empêche pas de se trouver parfois en contradiction avec soi-même. Et même encadrée il faut trouver la bonne manière. Parfois c'est simple, parfois pas. C'est relativement plus simple quand on peut entièrement se reposer sur un texte de loi qui émane d'une collectivité, ça l'est moins quand une décision empreinte d'autorité repose davantage sur notre appréciation personnelle d'une situation.
Bonjour Mireille,
Cette donnée (83%) me paraît concerner les lycéens, je n'ai pas vu mention des parents dans cette section précisément. Comme vous le soulignez nombre de lycéens ne sont pourtant pas des modèles d'obéissance et de respect de l'autorité. Soit c'est une parole des parents reprise pour l'occasion, soit c'est la contradiction entre l'image sociale "bonne" qu'ils doivent donner en public et la réalité intime.
La théorie du genre profite en effet de l'effacement de la religion dans la vie quotidienne. Elle remplit un vide. Je pense aussi que cette théorie a pris place dans la suite du mouvement de revendication LGBT, puisque s'il n'y a plus de genre assigné, l'homosexualité n'est plus une "anomalie".
Parce que ce sondage a mis en évidence quelque chose de tellement surprenant ( 83 % des lycéens valorisent le respect et l'obéissance), j'ai mis du temps à trouver une hypothèse quant à la logique qui pourrait sous-tendre ce résultat. Je la livre ici:
Les lycéens sont ceux qui ont réussi mieux que les autres élèves de leur âge dans le système scolaire.
Vers l'âge de 16-17 ans, ils ont peut-être compris que la raison de ce relatif succès a résidé dans leur capacité à respecter le cadre scolaire et les valeurs comme l'apprentissage de notions à priori "inutiles" ou l'importance d'un diplôme dans notre société. Ces jeunes sont au lycée parce qu'ils ont été capables de comprendre des réalités à temps.
Mes élèves avaient entre 12 et 16 ans et étaient donc en pleine adolescence et souvent totalement insouciants quant à l'enjeu scolaire. Ils vivaient dans le moment présent et pensaient avant tout à s'amuser et à se faire apprécier de leurs camarades.
A cet âge, l'obéissance et le respect de l’autorité ne sont pas des priorités, les conflits avec les adultes peuvent carrément être valorisants pour des ados à la recherche d'une image de forte tête, sur le mode : ce que je veux, quand je veux. Et notre société a tendance à proposer ce genre de "philosophie" de vie.
L'école ( avec les clubs de sport) est souvent le seul endroit où on essaye d'inculquer des règles impliquant de l'obéissance et le respect de l'autorité. L'école peut p.ex. se retrouver à devoir gérer de gros conflits nés sur les réseaux sociaux qui ressemblent souvent à une jungle anarchique.
En s'affranchissant du besoin de perspective de succès professionnel, ou en se racontant qu'on y arrivera sans formation, par génie infus, on peut vivre un bon moment dans l'illusion d'être un vainqueur et se comporter de façon totalement désinhibée.
Lorsque qu'il m'arrive de retrouver ces jeunes intrépides par hasard des années plus tard , ils me disent spontanément : Pourquoi j'ai pas compris que je devais travailler en classe ? On me l'a pourtant dit sur tous les tons !
Souvent, j'ai pensé que ces paroles étaient de la politesse gênée. Mais il m'arrive d'entendre ça dans le bus ou chez des employés de supermarché qui garnissent des rayons. La réalité les a rattrapés.
Si je travaillais encore, j'aurais demandé aux jeunes employés de supermarché de venir parler à mes élèves, car ils ont une crédibilité certaine. L'objectif du prof n'est pas d'avoir raison ou d'apparaître comme l'unique référence, mais d'obtenir un résultat qui aide ses élèves à réussir quelque chose.
Cela étant, je ne pense pas que le lycée est le seul chemin pour la réussite. Loin de là !
Pour que le sondage soit vraiment instructif, il faudrait poser les mêmes questions aux 12-16 ans et à des jeunes de l'âge des lycéens, mais en formation professionnelle.
On aurait certainement des surprises instructives.