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Moi et mon double

J’ignore encore pourquoi je me suis mis en échec sur ce sujet. J’avais environ 14 ans. Lors d’un voyage dans le sud de la France j’ai eu l’occasion de voir Henri Salvador. Ce personnage drôle se retrouvait régulièrement sur une place de terre, avec des potes, pour taper la boule et faire l’animation pour les spectateurs.

 

196532-ou-jouer-a-la-petanque-a-paris.jpgMon maître

J’aimais regarder les parties de pétanque. Mais quand je les voyais tirer, mazette, je me disais que ce n’était pas pour moi. Je ne me voyais pas capable de tirer une boule à 8 ou 10 mètres. Tirer, c’est frapper une une boule pour la chasser ou prendre sa place (faire un carreau). C’est la technique idéale pour enlever une boule adverse trop près du but.

Pointer c’est faire rouler la boule vers le but (le cochonnet). Je suis naturellement plus à l’aise pour pointer. Cependant il est nécessaire de savoir tirer, même pour un pointeur. La meilleure manière de tirer est de viser la boule adverse et la frapper en plein fer. Ce qui demande une grande précision. Car à 8 mètres, le plus petit angle d’écart au lancer devient plusieurs centimètres à l’arrivée.

Je ne me sentais pas capable de tirer une boule de 7 cm de diamètre sur une autre boule identique placée à 8 ou 10 mètres. J’ai donc toujours joué en pointant, pour le peu que j’ai joué. 

Jusqu’à ces dernières années. Un joueur m’avait à la bonne et voyait  chez moi quelques talents. Il est devenu mon maître. Il m’a transmis quelques repères, par exemple sur la distance de tir et sur le geste du lancer.

 

img4c6459c9e476b.jpgMon double

J’ai alors commencé à m’essayer au tir. À part une période grâce, ce fut décevant et frustrant. Mais j’y avais pris goût et la frustration due à l’échec répété m’avait aiguillonné. Je  m’entraînais en pensant à ses conseils: ton bras doit être souple, tu fixes la boule. Tu deviens la boule. C’est une jolie formule. Mais c’est quoi, devenir la boule ou la cible? L’expression ne s’incarnait pas en moi.

Et puis j’ai compris que mon programme d’échec au tir gouvernait souvent mon geste. Celui-ci était souvent trop court, comme retenu. Il semblait même se moquer de moi et saboter mes tentatives. C’était mon programme d’échec: « Tu n’es pas capable ».

Alors j’ai personnalisé ce programme d’échec et ce doute sur moi. Je lui ai donné un nom. Je l’appelle mon double. C’est moi en mode échec. Mais isolé et nommé, ce double ne peut plus prendre autant de pouvoir sur moi.

Depuis j’attribue mes ratés à mon double, celui qui ne veut pas réussir. Et je m’attribue mes réussites. Les choses ainsi réparties perdent de leur pouvoir. Néanmoins je ne suis pas au bout de ce travail. Même conscient de ce «double» négatif de moi, je ne suis pas encore devenu un bon tireur. 

Je suis encore freiné de l’intérieur, par exemple si je me sens jugé par d’autres meilleurs que moi, ou si je me juge moi-même à l’avance. Je retiens encore ma boule. Or si elle touche le sol trop tôt elle dévie de l’objectif, à cause des imperfections du terrain.

 

pétanque3.jpgMon programme

Parfois je commence à me sentir capable. C’est dans le corps. dans l’attitude du corps. Saurai-je un jour tirer aussi bien que les bons? Pas sûr. Eux ont commencé gamins ou jeunes gens, ils ont plus d’expérience et de savoir-faire. Et la pétanque n’est pas le domaine de ma meilleure ambition.

Aujourd’hui c’est plutôt une méditation, un travail sur moi et mon centrage. Ne pas me précipiter. Ne pas céder au désir immédiat de réussite. Prendre le temps pour que mon corps évalue distance et force. Puis ne plus penser jusqu’au moment où je lance ma boule. 

Et parfois, paf! un bon frappé, deux de suite, un carreau en passant: je prends confiance. Et re-paf! trois tirs ratés, une trajectoire déviée, à nouveau des lancers trop courts, et ma confiance vacille. 

Une partie de ce travail sur moi est dans l’indifférence au succès ou à l’échec. Une autre dans le développement de ce moi qui peut réussir et le désamorçage de mon programme d’échec. Des décennies après son implantation en moi je m’attelle à le déraciner.

 

 

Image 2: Dylan Rocher

 

 

 

 

4 commentaires

Commentaires

  • Merci homme Libre pour ce billet à la fois touchant et instructif. Que nous l'admettions ou non, nous avons tous rencontré ce même double sur notre chemin. Il faut savoir le croiser et l'ignorer jusqu'à qu'il ne se représente plus devant nous. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

  • A force de trainer ses savates dans l`existence, on finit par se rendre compte que vaincre la peur de l`échec c`est vaincre son égo. Et réciproquement. C`est aussi une maniere d`etre libre. Les victoires essentielles, pour etre simples a exprimer, nécessitent de la persévérance.

  • Je ne vois pas les choses ainsi Jean.
    Le simple fait de se battre avec une chimère ne fait que lui donner corps. L'ego est une construction aussi nécessaire que virtuelle et toute tentative de le réduire au silence ne fait que justifier l'imposture.

  • Je ne dis pas que l`ego est superflue, Pierre. Le vaincre n`est pas lui couper le sifflet (a supposer que ce soit meme possible). Il faut juste que notre ego sache qui est le maitre a bord, histoire de ne pas se faire mener par elle.

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