Les médias sont partout. Il filment pendant des heures, prennent soin à chaque fois de maximiser les événements en hystérisant le langage. En un carré d’écran, en une minute, on a le pire de toute une région.
C’est la télé. Ils compilent les images de sites locaux les plus touchés, les montent en boucle pour marteler l’apocalypse, trouvent un record quelque part (il y en a toujours), et insistent à chaque fois sur l’exceptionnalité de l’événement et son coût.
En 1999 Lothar fut nommée « tempête du siècle ». En 2010 Xynthia était décrite comme « un phénomène jamais vu depuis des siècles ». Alors le passage de Ciara est du pain bénit pour les médias. Une grosse tempête comme elle devient très rapidement « unique », « exceptionnelle » ou « jamais vue ».
On se gonfle l’hypothalamus (centre des émotions) avec des phrases du genre: « … jamais vu de mémoire humaine » (comme si la mémoire de la météo était fiable chez le citoyen lambda). Excitation, surenchère et euphorie morbide imprègnent les reportages et les directs.
Les morts sont évidemment la cerise sur le gâteau.
Visiblement peu de journalistes ont étudié l’histoire du climat. Ils vivent sans passé, dans un éternel présent médiatique où tout est toujours « plus » qu’avant, puisqu’on a oublié avant. Il vivent dans le saisissement du moment et dans l’attente de la prochaine sidération.
Tout cela est excessif, abusif et généralement faux. Emmanuel Garnier le démontre dans un document intitulé: « Histoire des tempêtes ».
Emmanuel Garnier est une pointure qui a la confiance de ses pairs. Il est historien, membre senior de l’Institut universitaire de France, directeur de recherche CNRS et historien du climat et des risques au Laboratoire Littoral, Environnement et Sociétés.
À ce titre, en 2008, il a reçu mission de diriger une équipe de chercheurs mandatés pour étudier l’histoire du climat depuis 500 ans en France. Son équipe a travaillé avec le Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (UMR CEA-CNRS-UVSQ), de Météo-France et avec le soutien du CNRS, du Ministère de l’Ecologie et de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe).
Après Le Roy Ladurie et son Histoire du Climat, Emmanuel Garnier reprend le flambeau et va plus loin avec plus de données.
Voici des extraits de ces travaux et du document de 7 pages. L’image 1 en est reprise. N’ont été retenues dans ce document que les tempêtes ou ouragans (échelle de Beaufort de 10 à 12):
« … les spécialistes de la question, climatologues et météorologues, se sont montrés depuis plusieurs années maintenant d’une prudence de bon aloi, s’efforçant de faire comprendre aux décideurs, aux médias et aux opinions publiques dans le monde qu’un événement extrême contemporain isolé ne pouvait être symptomatique d’une rupture climatique historique augurant une nouvelle ère en matière d’aléas. »
« Ainsi, le très récent rapport SREX (IPCC, 2012) fait remarquer que la majeure partie des données « historiques » se rapportant aux tempêtes se limite à une période très courte comprise généralement entre 1950 et nos jours. De plus, il insiste sur le fait que l’hypothèse d’une recrudescence des tempêtes est loin d’être clairement établie aujourd’hui. Posture médiatique et politique durable, les effets pratiques du dogme de « l’inédit » se révèlent malheureusement néfastes sur le long terme puisqu’ils cautionnent trop souvent l’imprévision dans la prise en charge du risque et induisent ou entretiennent une spéculation foncière à l’origine d’une exposition croissante de nos territoires. »
Le cas de la tempête Xynthia est emblématique de la responsabilité des autorités. On a autorisé des constructions sous le niveau de la mer, protégées par une digue trop fragile. Les ingénieurs auraient au moins pu prendre exemple sur les Pays-Bas.
Si les images de la Seine débordant à Rouen vous ont impressionné, débordement inhérent au bassin du fleuve, il y a eu pire en 1953 (image 3).
L’image 1 (clic pour agrandir) signale les tempêtes et ouragans depuis l’an 1500. La période de 1680 à 1750 est la plus secouée. On entamait la remontée hors du Petit âge de glace, donc dans une atmosphère moins chaude qu’aujourd’hui d’environ 2°, et pourtant il y a une série de très forte tempêtes comme depuis les années 1980.
Selon ce graphe il n’y a pas de lien de causalité entre le nombre et l’intensité des tempêtes, et les températures de l’océan et de l’atmosphère.
Les archives nous renseignent sur les monstres météo du passé. Les dégâts de la tempête de 1703, bien documentée, correspondent à un ouragan de catégorie 2. Les quatre tempêtes d’octobre 1859 (dont une avec des vents de force 12 Beaufort) ont provoqué le même phénomène que Ciara, selon les archives de Météo France – la submersion:
« En octobre 1859, plusieurs tempêtes se succèdent du 24 au 31 sur les côtes de l’Atlantique et de la Manche. La tempête du 25 octobre est très meurtrière en mer d’Irlande et en Manche. Dans un contexte de fortes marées (coefficients à 100), elle entraîne des phénomènes de submersion marine dévastateurs sur le littoral atlantique notamment. »
Celle de 1896 déclencha plusieurs raz-de-marée sur les côtes atlantiques, selon MétéoFrance toujours (résumé):
« Deux dépressions très creuses se forment au large de la Bretagne entre le 4 et le 6 décembre avec une extension dans le golfe de Gascogne. Elles génèrent une très forte tempête sur le nord-ouest de la France, le long de la façade atlantique et sur le littoral provençal, accompagnée de fréquents raz-de-marée. »
Quant à la tempête de 1953 elle a inondé une partie des Pays-Bas, tué 2’500 personnes, et contraint le gouvernement néerlandais à revoir toute la protection par de nouvelles digues, entre autres.
En Belgique Ostende était comme une ville au milieu de la mer (image 3). « La Belgique paie aussi un lourd tribut avec 28 morts et de gros dégâts dont l’inondation d’une partie d’Ostende (2 mètres d’eau sur la grand place de la ville). »
Les submersions n’ont rien de nouveau. L’érosion des littoraux qui en résulte est normale. Elles sont déclenchées par un ou plusieurs de ces phénomènes:
de fortes marées,
une dépression très creusée qui aspire la mer vers le haut,
de vents violents,
des inondations depuis l’intérieur des terres,
la subsidence de certaines terres,
la fragilisation des littoraux par l’urbanisation,
l’élévation et la dilatation des océans.
Interviewé par le magazine Voiles, l’ingénieur prévisionniste météorologue Louis Bodin (image 4) donne un point de vue expérimenté qui change des clameurs apocalyptiques. Il a travaillé comme routeur des navigateurs Florence Arthaud et Paul Vatine et est lui-même vieux routier des mers. Il a remporté la course Québec-Saint-Malo en 2000.
S’il reconnaît que Ciara était la tempête la plus étendue qu’il ait vue depuis 30 ans, elle n’est pourtant pas si exceptionnelle. Voici ce qu’il en dit:
« Plus que la force des vents que l’on voit trois ou quatre fois par an avec des vitesses entre 60 et 90 nœuds en rafales surtout sur les îles Britanniques, c’est son étendue sur 2 000 à 2 500 milles (4 000 à 4 500 kilomètres soit quasiment tout l’Atlantique Nord) qui m’a le plus étonné. Ça c’est très très rare, et je crois l’avoir vu pour la dernière fois dans les années 90-2000 quand je faisais encore du routage. Cela s’explique aussi par le fait que depuis le début de l’hiver, on a un courant jet en haute altitude qui ne bouge pas, et qui créé une circulation zonale sur l’Europe de l’Ouest, quasiment jusqu’à la Pologne voire la Russie. »
Je parlais du courant jet il y a quelques jours à propos de Ciara, courant qui n’oscille pas assez, ainsi que de la muraille permanente de dépressions qui empêche l’air froid de descendre sur l’Europe.
Louis Bodin explique la formation de ces courants jet – ou jetstream, lieu de conflit de masses d’air de températures différentes. Grâce aux perturbations engendrées par ce conflit l’atmosphère se rafraîchit, comme je l’écrivais déjà ici.
Que dit-il?
« Il y a un excès d’énergie qui arrive au niveau de l’équateur. Je raconte souvent ça car l’on entend tout et n’importe quoi parfois, mais on a besoin d’évacuer cet excédent de chaleur, sinon les températures seraient invivables dans ces coins-là. »
Un dernier mot de Louis Bodin sur cet hiver peu froid:
« En fait, on n’a pas changé de masse d’air depuis l’été 2019 ! J’exagère un peu mais à peine. Comme le courant en altitude ne bouge pas, on n’a quasiment pas eu d’invasion d’air froid. Les velléités d’air froid derrière une perturbation, ont très vite été balayées par le retour de courant océanique. Et ça on l’a bien vu sur les modèles numériques.
C’est aussi pour cela que nous avons un hiver relativement doux avec des températures très clémentes. Contrairement à ce que l’on entend un peu partout, ce n’est pas dû au réchauffement climatique ! C’est vraiment dû à cette circulation. En Alaska, ils ont battu des records de froid pour le troisième hiver consécutif, avec du blizzard. »
En effet les modèles sont assez réactifs et performants sur ce coup, du moins à une semaine ou dix jours. Pour les prochains jour il fera plutôt froid malgré un vent d’ouest et un week-end agréable, mais pas glacial. Les basses pressions ne semblent pas lâcher leur position atlantique. Une nouvelle grosse tempête va toucher les îles britanniques.
Cette phase de l’Oscillation nord-atlantique est puissante et longue. Si elle se renverse avec autant de puissance et de durée, l’année sera plus fraîche. Sur l’image 5 on voit le tracé de l’ONA. Elle est fortement et durablement positive aux périodes de poussées chaudes (1920-1940, 1975-200, 2015-2019) et d'El Niño intenses, et négative dans les périodes plus fraîches (1945-1975 p.e.).
La bonne nouvelle de cette situation est qu’il pleut confortablement en Suisse depuis novembre, en plusieurs épisodes assez denses. La terre boit par tous ses pores et les vers de terre, ivres, dansent la tarentelle dans leurs tunnels mystérieux.
Commentaires
La réalité est que nous vivons sur une planète qui vit, qui a des cycles à une toute autre échelle et que nous l'oublions.
Un simple borborygme à son échelle peut bouleverser, la vie à sa surface pour mieux rebondir après.
Le confort acquis par le progrès technologique nous fais perdre le sens de la réalité, on oublie la précarité de notre existence terrestre. La technologie scientifique est devenue "un opium du peuple" qui nous laisse accroire à une illusoire maîtrise des choses. Alors qu'une simple éruption d'un super volcan peut refroidir la planète sur plusieurs décennies ( voir le Petit Âge glacière et l'éruption du Samalas )
Comme cette insécurité existentielle n'est plus intégrée dans notre conscience, elle revient par derrière hanter d'épouvante nos imaginaires
Bonjour :-)
Je dépose ce lien, de 2017...Je le trouve marrant...Et navré s'il a déjà été mis sur l'un de vos billets auparavant.
Il est clair que l'Economie doit être bien plus excitante pour certains qu'une certaine forme de Sagesse...
Il se pourrait aussi que plus personne ne sache vraiment que faire, quelle direction prendre...Alors le climat et la grippe, ça occupe, en attendant mieux ou pire.
http://www.autochtonisme.com/2017/06/thatcher-reagan-et-l-arnaque-au-climat.html
Près de chez moi, en Bretagne, il existe un petit parking qui touche la mer. Il est là depuis une quarantaine d'années et, régulièrement, il est envahi par la marée, pas plus souvent aujourd'hui qu'hier. Mais les touristes parisiens ayant observé le dernier phénomène de la montée des eaux, il y a quelques jours, étaient persuadés d'assister à une catastrophe due au réchauffement climatique.
Comme vous dites, on confond climat et météo d'une part et, d'autre part, le formatage médiatique a complètement bouleversé les esprits. Et les gens qui ont peur sont plus malléable. Ils sera plus facile de leur faire accepter les mesures les plus autoritaires.
L'hystérie médiatique est devenue le 4è pouvoir sans avoir été élu. L'affect qu'on convoque à tout moment pour n'importe qu'elle cause fait de nous des électeurs sans raisonnement acquis avant même d'avoir pris le temps de réfléchir. La connerie s'invite à tout propos assassinant ça et là au hasard. Chacun veut faire sa loi en fonction de ses sentiments. Il est temps que quelqu'un remette de l'ordre dans ce foutoir avant
que l'idéologie montante dont on connait l'ouverture d'esprit ne s'en occupe..
c'est normal car un proverbe dit " bonne nouvelle , pas de nouvelle" et de plus pour entrainer les masses a la croisade climatique , il faut les terrifier " et c'est la technique utilisée par la marionnette GRETA qui dit " je veux vous terrifier "
Merci à absolom pour le lien: instructif !
Aoki a raison de parler de “cycles à une toute autre échelle”.
Il y a 20000 ans que la planète a recommencé à se réchauffer et les glaciers à fondre. En attendant la prochaine glaciation.
Quant à Jean, son commentaire n'appelle qu'une réponse:
https://gfycat.com/fr/lividconsciouscondor-greta-thunberg-how-dare-you ... :-)
Chucki Thunberg ;-)
Terrifiant...
https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/19h30?id=11097325
A 2'54'', la "Salamandre"...
Absolom, il commence à 13'52''.
En effet ce monsieur est effrayant. Le terme d'effondrement des saisons est totalement impropre et faux dans les faits. Les saisons continuent même avec le réchauffement, et les printemps précoces sont loin d'être exceptionnels.
Une phrase que j'entendais souvent quand j'étais gosse, et plus tard aussi: "On risque de le payer". Par un coup de gel en particulier.
Cet hiver est doux et j'en ai expliqué les raisons, mais il est si facile de surfer sur la peur et la menace.
Bien aussi, le lien vers le site de Campana. Une très bonne synthèse.
Mes plates excuses...La peur m'a semble-t'il égaré...Il s'agit en effet de la durée de l'entretien et non du point de départ :-)
No problemo! :-)
Je l'ai précisé pour éviter du temps de recherche à d'autres.
Je pense que cette séquence vaudra un billet.
Vous voyez hommelibre, c'est ainsi que ça se passe...
Ce genre de bonhomme, lorsque ça "investit", c'est pour ramener dix fois la mise, pour le moins...
http://www.leparisien.fr/environnement/rechauffement-climatique-jeff-bezos-lance-un-fonds-de-10-milliards-de-dollars-17-02-2020-8261688.php
http://www.leparisien.fr/high-tech/amazon-fait-le-pari-des-maisons-connectees-prefabriquees-26-09-2018-7903377.php
Le climat a bon dos ces temps :-)