Pourquoi parle-t-on de castagne lors d’une bagarre? Ce mot est emprunté à un dialecte méridional – probablement le gascon selon le cnrtl.fr, ou est d’origine occitane selon Wikitionnaire (castanha). Ou simplement repris de l’italien castagne. Il désigne en vrai tout autre chose que la bagarre.
Le sens s’est étendu. De l’arbre, on en vient au mains. Castagner s’est se battre aux poings.
« Se prendre une châtaigne » se dit. J’ai lu aussi que « … castanhar signifie au sens propre récolter des châtaignes et par extension se battre à coups de poing. »
Castagne, châtaigne? La belle châtaigne, fruit du châtaigner (Castanea sativa), est ma reine en ce dimanche, mon héroïne du jour. Une reine un peu oubliée. Elle a pourtant accompagné la vie de populations entières du Moyen-Âge, au Tessin, dans les Cévennes, et ailleurs.
Dans certaines villes on trouve encore des marchands de marrons, comme on dit, mais ce sont bien des châtaignes, grillées au charbon et vendues en petits sachets de papier. À noter que les marrons ne sont pas comestibles et sont même toxiques. Au Tessin ces vendeurs ambulants étaient nommés les maronatt.
Ces marchands semblent faire partie d’un folklore hivernal. On se demande presque comment ils vivent de leur petit commerce. Selon Bilan: « On peut donc estimer le bénéfice moyen entre 500 et 700 francs par jour pour une moyenne de 100 kilos écoulés par cabanon dans les grandes villes en tenant compte de tarifs dégressifs. »
Mais ils sont plus que du folklore: ils sont la subsistance de l’économie de la châtaigne.
« Les fruits du châtaigner étaient un des premiers aliments des races primitives. Et cela a duré longtemps. Dans le Grand Larousse du XIXe siècle, Pierre Larousse pouvait encore écrire : il forme presque à lui seul toute la nourriture des montagnards de l’Auvergne, des Cévennes, de la Corse… »
Et du Tessin:
« Au Tessin, pendant des siècles la châtaigne a été l’un des piliers de l’alimentation paysanne. Toute la communauté participait à la récolte, qui constituait un moment important car elle garantissait la subsistance pour une bonne partie de l’année: les précieux fruits étaient consommés frais mais se conservaient aussi secs plusieurs mois. »
Sa productivité a progressivement augmenté grâce aux modifications génétiques réalisées au fil du temps par les castanéiculteurs. Les populations de montagnes lui sont redevables d’avoir évité parfois des famines mortelles.
« … le châtaignier est surnommé l’arbre à pain dans les régions méditerranéennes de part la propension de son fruit à remplacer les farines de céréales… »
Dans l’économie rurale il ne servait pas seulement à la nourriture:
« L’arbre de châtaignier, qui pousse jusqu’à 1000 mètres d’altitude, était utilisé dans sa totalité: les feuilles séchées servaient de litière pour le bétail dans les étables, le bois comme précieux combustible mais aussi comme matériel de construction (piliers, meubles, ustensiles) … »
Il pousse jusqu’à 1’000 mètres, et peut vivre jusqu’à 1’000 ans, d’où le titre de ce billet. En Valais les châtaigneraies abandonnées sont restaurées. On peut en visiter certaines. Le Fond Suisse pour le Paysage a entrepris de replanter de jeunes arbres en Suisse romande afin de remplacer certains adultes atteints par la maladie.
La châtaigne est un excellent aliment, bon au goût, riche en glucides lents, en vitamines du groupe B, en minéraux comme le fer, le potassium, le magnésium et autres minéraux, ainsi qu’en fibres. Il est recommandé aux diabétiques chez qui il permet d’éviter les pics de glycémie post-prandiale.
Fendus au couteau, ce qui permet un décorticage plus aisé après cuisson, puis grillés dans une poêle adéquate recouverte d’un couvercle pour garder de l’humidité, 500 grammes de châtaignes font un repas délicieux qui ne demande aucun apprêt particulier.
J’ai un seul reproche à faire au châtaigner: il ne produit son délicieux fruit qu’en automne. Mais en même temps, l’absence de ce fruit pendant de longs mois rend son retour encore plus délicieux.
J’ajoute enfin qu’il est thermophile: il aime la chaleur. Bonne nouvelle par les temps qui courent. Beaucoup de qualités pour un seul arbre, résumées ici en peu de mots: « Générosité, grâce, persévérance, prévoyance, lumière, vitalité et robustesse. »
La belle histoire du châtaigner n’est pas finie.
Marchand de marrons chauds en 1880, illustration Geoffoy Jean Jules:
Commentaires
Le pain à la farine de châtaigne a un goût particulier, il est tendre et est très moelleux. En plus, il se conserve très bien, ce qui est très agréable.
Merci pour ces belles lignes et belle fin de we à vous et aux vôtres
Merci Lise, à vous aussi.
C'est formidable comme ce fruit simple, bon marché, a joué un rôle important dans notre histoire, et peut encore le faire.
Hola Homme Libre,
Un arbre drôlement plus généreux qu'un sapin ! Feuilles, fruits bois sont utiles écrivez-vous, Encore des choses que nous avons laissé se perdre. Nous mangeons peu de châtaignes..
En espagnol on dit castaña, de racine latine je lis pour le mot espagnol, castenea qui était l'arbre mais est passé au fruit.
La purée de (marrons) châtaignes que faisait ma grand-mère était délicieuse., un gros boulot.
Merci pour cette belle histoire et la magnifique illustration.
Hola Colette,
Merci pour ces précisions.
Ah, la purée de marrons! Mais je suis déçu par celles du commerce, elles manquent souvent de saveur et de fermeté. Malheureusement je ne sais pas la faire moi-même, d'ailleurs je ne suis pas sûr de le vouloir. Je n'ai pas l'âme cuisinière.
Votre dernier billet m'a bien plu, j'ai commencé un commentaire mais je ne l'ai pas envoyé. Je le trouve iconoclaste, voire 3e degré.
Je vais attendre un peu. Au moins, si je l'envoie, vous êtes prévenue, et pouvez même ne pas le publier.
.....
Je crois que j'en ai trop dit. je vais l'envoyer.
...
C'est fait, mais la machine me signale une erreur à l'envoi.
À suivre...
:-DDD
J'en apprends beaucoup et je comprends mieux l'Ardèche, ce département du Massif-Central où la châtaigne a été largement cultivée. Aujourd'hui, c'est une des régions les plus pauvres. L'industrialisation puis la mondialisation ont tué l'économie rurale. En ce sens, les Écolos n'ont pas tort de vouloir remettre les produits naturels et locaux au goût du jour. Avons-nous besoin d'aller chercher au bout du monde ce qu'on est capables de trouver chez nous ?
Je hais la castagne, mais j'adore les châtaignes. J'en garde de chers souvenirs d'enfance, à une époque où, jusqu'à onze ans, j'habitais encore Soleure, en Suisse allemande.
Mon père a passé de longs mois au Tessin pendant la guerre, parmi les artilleurs du Mont Ceneri qui gardaient la frontière. Il nous envoyait de temps en temps un sac de châtaignes qui permettaient à la famille tout entière de manger un peu mieux que d'habitude. Les châtaignes étaient bouillies et non préparées au feu.
En ce qui concerne les marrons, nous, les gamins, les ramassions en saison pour les vendre pour nourrir les cochons. Certaines années, nous faisions la même chose pour les hannetons et cela nous rapportait quelque argent de poche.
Sans oublier les marrons glacés (de Privas notamment)...
Pour avoir vécu pas mal de temps dans le Vivarais, surnommé la "petite Corse", je peux vous dire que vous n'y trouverez pas d'Ardéchois "pauvre"...Paroles d'anciens, du terroir. Nature et simplicité sont leurs richesses...
Hélas, ces derniers temps, pollution et bêtise y pointent leurs nez...Comme partout...
Mère-Grand, les châtaignes cuites à l'eau ne sont-elles pas plus longues à décortiquer que cuite au feu? Il me semble, mais il y a longtemps que je ne mange plus celles cuites à l'eau. J'aime le goût et l'odeur du brûlé.
Hommelibre, moi aussi, mais je pense que nous n'avions pas le choix. Je devais avoir dans les cinq ans à l'époque et tout ce dont je me souviens, c'est que nous mangions avec plaisir tout ce qui nous changeait de l'ordinaire, qui n'avait rien de luxueux.
C'était l'époque de la guerre et même dans la riche Suisse, comme on se plait à la voir, non sans raison, il y a eu à certaines époques, et il y encore aujourd'hui, des familles qui vivaient dans de grandes difficultés.
P.S. Pour moi c'est le passé, et depuis longtemps, mais cela fait partie des souvenirs d'enfance qu'on n'oublie jamais.
Complément: je ne suis pas sûr que nous décortiquions les châtaignes, mais en extrayions la chair (est-ce le bon terme?) au moyen du couteau ou de la cuillère. Mais il y a 80 ans de cela et j'avais 4 ou cinq ans.
Merci de votre intérêt.
Merci à vous mère-Grand.
Je n'ai pas mémoire d'extraire ainsi, je me demande du coup si j'en ai déjà mangé bouillies! :-)
Nous avons chez nous un appareil pour rôtir les marrons (châtaignes). C'est rarement aussi bien fait que par le professionnel. Je considère cette manière de faire comme une sorte de luxe, alors que nos châtaignes bouillies (après avoir été entaillées aussi) faisait étaient traitées comme un aliment de base, meilleur que les pommes de terre et l'orge et le riz.
Merci encore une fois à vous: avec l'âge il est de plus en plus difficile de trouver des gens avec qui échanger des souvenirs, alors même que l'envie de le faire de temps en temps augmente avec les années qui passent.