Pardonnez-moi cet emprunt à Balzac, c’était si tentant. Car la femelle beluga euthanasiée a été baptisée. Post mortem donc, comme chez les Mormons. Par qui et de quel droit? Attendez, ça vient!
Alors que l’on ne dispose toujours pas des résultats de l’autopsie pratiquée sur le cétacé, la nouvelle église a décidé de le baptiser d’un nom tiré d’une langue humaine.
Du norvégien, précisément. Ce nom, « Lys », signifie lumière. Tout un programme. Il a été plébiscité par quelques milliers d’internautes. Pourquoi le norvégien? Parce que les belugas s’aventurent parfois près des côtes de ce pays.
Certains se souviennent peut-être du beluga équipé d’un harnais et repéré en 2019 dans l’extrême nord. Un espion russe selon les uns, un animal de foire selon les autres. Cette seconde hypothèse serait étayée par une inscription sur le fermoir du harnais: Equipment St.Petersburg.
« La mention 'Equipment St.Petersburg' du harnais pourrait faire référence à la ville du même nom en Floride, où se trouvent de nombreux parcs aquatiques. »
Mais revenons à Lys, cette femelle décédée dans la fleur de l’âge (enfin, la fleur fanée de l’âge…). C’est l’ONG Sea Shepherd qui a pris la décision du baptême et a soumis l’idée aux internautes.
L’asso fait très fort avec ce nom, Lumière, mais qu’elle associe également à la fleur de lys en mélangeant allègrement les genres. SS (Sea Shepherd) parle de l’unité représenté par cette fleur. Pourquoi l’unité? Mystère, mais ça fait bien. Peut-être grâce à l’unité du royaume de France, symbolisé par le lys.
Mais attention, les symboles ne sont pas si limpides et innocents qu’on le pense.
« Dans le territoire de la Louisiane, les codes de l'esclavage exigeaient la punition des esclaves en fuite en marquant une fleur de lys sur leurs épaules. La Nouvelle-Orléans, la ville la plus importante du territoire de la Louisiane, a adopté la fleur de lys comme symbole d'unité et représentation de la ville elle-même. »
En poussant un peu, un beluga blanc nommé comme l’un des symboles de l’esclavage des noirs ça fait désordre. Mais comme le lys blanc symbolise également la pureté et l’innocence, tout va bien.
Lumière, pureté, innocence, unité, c’est un langage religieux. De la religion écolophile. Et tout est bon pour l’imposer. Par exemple, un enfant de 10 ans qui dessine le beluga, cela devient un mythe. « Parce que ce béluga nous interpelle et nous éclaire sur le sort de l’océan », selon SS.
Pure invention. Ce n'est que du buzz, SS se faisant une formidable campagne de pub sur le dos du cétacé. Il ne nous éclaire pas plus qu’un autre, et moins qu’une véritable étude de comportement animal réalisée sur la durée. Il n’est pas vraiment une lumière, il ne nous apprend rien: on ne sait pas d’où il vient, pourquoi il était là, et de quoi il était malade.
Alors on en fait un héros moderne (les héros modernes, comme les anciens, meurent). Et on lui attribue une aura presque messianique.
Mais n’est-ce pas un signe flagrant de colonialisme culturel et d’appropriation spéciste, en plus de la religiosité? Et pourquoi avoir choisi le norvégien alors qu’il y a des belugas en nombre près des côtes arctiques russes et au Canada?
Évidemment on ne voudrait pas glorifier un beluga russe par les temps qui courent. Et pourquoi pas un mot de la langue des Inuits? Non, on ne pouvait pas faire le jeu de mot avec Lys et lys.
Bon. Qu’en penserait le cétacé s’il était encore vivant? Il dirait peut-être:
– C’est assez!
Dans moins de 10 ans on l’aura oublié. N’empêche: le beluga est maintenant devenu comme la propriété morale de SS, qui a avalé, oui avalé l’histoire inconnue de l’animal pour en régurgiter une version franco-européenne mythique.
Aujourd’hui Balzac aurait changé le titre de son roman comme ceci: Le lys dans l’avalée.
D’accord, le jeu de mot est improbable.
Commentaires
bonjour Monsieur, je voulais vous signaler une coquille dans la phrase suivante : "Par exemple, un enfant de 10 ans qui dessine le beluga, c’est la devient un mythe.".
Merci pour vos billets ! (ceci n'a pas à être publié) :)