Grâce au réchauffement, et s’il continue, on pourra envisager des plantations tardives plus vers le nord de l’Europe. Ce mois d’octobre 2022 est annoncé comme le plus chaud jamais enregistré depuis environ 150 ans.
Cet épisode météorologique (et non climatique) est remarquable. Il y a eu une longue série de remontées d’air chaud du sud. Une dépression s’est immobilisé sur l’Atlantique pendant plusieurs semaines. Elle a aspiré vers l’Europe, précisément vers l’Espagne et la France, des masses d’air venues des tropiques et du Sahara.
Cette douceur exceptionnelle est d’ailleurs remarquable principalement dans ces deux pays. C’est l’autoroute habituelle de l’air chaud. Une vue plus large sur l’Europe (image 1, moyenne T° d’octobre, clic pour agrandir) montre que la chaleur n’a pas envahi l’ensemble du continent. L’Angleterre aussi a bénéficié de ces masses d’air chaud, ainsi que la Belgique est un peu l’Allemagne.
Une situation de blocage a pu donc perdurer pendant plus d’un mois. Ces situations ne sont pas nouvelles. Ici ce qui est remarquable est qu’elle favorise un flux d’air chaud continu sur l’Europe de l’Ouest à une période où le flux est en moyenne plutôt plus frais.
Mais quand on nous annonce un record cela m’intéresse de chercher des événements du passé pour comparer. En l’occurrence la comparaison peut se faire avec l’année 1921. Cette année-là fut exceptionnellement chaude et sèche, et octobre connut trois semaines de températures dépassant les 30° en de nombreuses régions de France.
Le site météo-ville ou météo-paris, créés par le météorologue et prévisionniste Guillaume Séchet, dont je salue le travail, liste des archives ainsi que les records de relevés depuis plus d’un siècle.
« Octobre 1921 est le plus chaud et le plus sec depuis 1757 - une vague de chaleur exceptionnelle se produit du 1er au 20 octobre 1921 au cours de la première semaine, les températures dépassent partout les 30° - le 5 octobre 1921, on atteint même 36° dans les Basses Pyrénées. »
Il a fallu le passage d’un puissant ouragan à travers les Flandres pour enfin modifier l’aérologie:
« Novembre 1921 est au contraire le plus froid depuis la fin du 18eme siècle - après qu’un véritable ouragan ait balayé les Flandres et toute la Belgique dans la journée du 7 novembre 1921, de l’air glacial envahit tout le pays entre le 11 et le 14 novembre 1921… »
J’ai déjà mentionné le fait qu’en 2022 les ouragans atlantiques sont en partie empêchés de se former par un nuage de sable du désert presque permanent depuis juillet. Ce sable sec bloque leur mécanisme. Ainsi trop peu d’air chaud tropical est envoyé se refroidir au contact de la stratosphère, trop peu d’air froid en redescend. L’équilibre climatique a besoin des tempêtes et des ouragans.
Voyons plus précisément les températures records d’octobre, ci-après pour Bordeaux.
2022 a pris trois records, mais ceux de 1921 tiennent bien la rampe, et le plus ancien de 1880 (27°2 le 28 octobre) n’a pas été détrôné. Sur cette liste on constate que les records les plus récents sont plutôt marqués dans la seconde partie du mois, montrant l’avancée de l’air chaud en automne au fil du temps. À mon avis il y aura une limite à cette poussée.
À Genève il n’y a qu’un seul record battu le 16 octobre.
Rappelons-nous aussi que l’automne est plus doux que le printemps au même taux d’insolation (p.e. 21 mars/21 septembre) grâce à l’inertie de la chaleur emmagasinée dans les sols et les océans pendant l’été. L’été indien a lieu vers fin octobre, l’été de la Saint-Martin plus tard en novembre.
Il semble que cette année l’inertie soit plus importante et se prolonge plus tardivement.
D’où vient cette chaleur?
L’atmosphère s’échauffe avec le soleil et garde une partie de sa chaleur grâce aux gaz qu’elle contient: vapeur d’eau, CO2, etc.
Mais à cette saison les rayons du soleil touchent nos régions de manière trop incliné pour faire monter la température de manière proche de celle de l’été.
L’inertie, la chaleur emmagasinée, joue un rôle. Mais on l’a vu la cause majeur est l’aspiration de masses d’air chaud depuis le sud par les courants aériens, principalement par les dépressions atlantiques. Un coup de chaud à fin octobre au moment de l’été indien ne surprend personne.
Mais une température élevée de plusieurs semaines en octobre ce n’est pas habituel. La question est la suivante : pourquoi une telle durée des courants de sud-ouest à une période où ils ne sont pas les plus attendus ?
C’est pour moi une question majeure. Si les courants aériens étaient inversés, avec une dominante de nord-est (ce qui a déjà été le cas), nous aurions plusieurs degrés de moins. Si l’effet de serre joue un rôle, il ne conditionne pas l’entièreté du réchauffement, qui par ailleurs n’est pas homogène sur l’ensemble de la planète. L’obliquité des rayons solaire fait que moins de chaleur atteint les pôles que l’équateur.
Une hypothèse est récemment sortie à propos de l’impact des cellules de Hadley sur le réchauffement. Les cellules de Hadley sont une composante de la circulation aérienne planétaire. Elles permettent de distribuer la chaleur tropicale vers les pôles. Sans cette circulation d’air la zone tempérée serait beaucoup plus froide. La vidéo 1 de 4’ en fin de billet expose avec une grande clarté le mécanisme.
Les convections équatoriales chaudes montent jusqu’à la stratosphère (10-15 km), se déplacent en perdant leur chaleur, puis redescendent, asséchées, vers les Tropiques à environ 30° de l’équateur. S’il fait plus chaud il fait plus humide, il pleut d’abord, l’air s’assèche et se refroidit.
Cette descente de l’air asséché fait une (haute) pression sur le sol et forme les anticyclones semi-permanents comme celui des Açores. Il peut s’avancer vers l’Europe ou se retirer vers les Caraïbes, mais il demeure dans la même région de l’hémisphère.
Le réchauffement de l’équateur renforcerait le courant de la cellule de Hadley, faisant retomber l’air asséché plus au nord et donc poussant le climat méditerranéen et saharien plus sec vers l’Europe. Nous serions moins sous l’influence des régions polaires, en particulier avec une diminution des vents de nord-nord-est.
Cette hypothèse n’apporte pas de réponse claire et sûre:
« Le rapport du GIEC, sorti en août 2021 précise que, depuis 1980, il semblerait effectivement, mais sans certitude, que la circulation de la cellule de Hadley se soit élargie, en particulier vers l’hémisphère Nord. Selon l’expert Climat Météorologie Modélisation pour Météo France, difficile de tirer des conclusions en revanche sur les derniers mois et sur les dernières années : « Pour les années 2015 à 2019, on ne voit pas vraiment de décalage flagrant des anticyclones subtropicaux par rapport à leurs positions climatologiques. »
Un tel décalage ne serait pas extraordinaire. Qu’en est-il donc? Les relevés de quelques grandes villes d’Afrique équatoriale ne montrent pas de tendance uniforme et nette au réchauffement. Dans certaines villes le nombre de jours très chauds a augmenté, dans d’autres il a diminué. Les archives ne remontent cependant qu’à une vingtaine d’années.
Toutefois:
« Concernant les projections futures, la modification de la circulation atmosphérique, et donc du positionnement des anticyclones, est toutefois très probable : « les modèles de climat s’accordent tous sur le fait que les cellules de Hadley auront une extension méridienne plus grande dans le futur, en lien avec des anticyclones qui se décalent vers les pôles, tout comme le rail des dépressions », selon Météo France. »
À vérifier. Les conséquences éventuelles seraient moins de blocages en hiver grâce à un courant jet plus rapide parce que resserré, et plus de blocages anticycloniques en été sans que l’on puisse expliquer la raison:
« … en été, une augmentation des blocages anticycloniques, pour des raisons moins évidentes. »
Néanmoins l’hypothèse de l’étalement des cellules de Hadley a l’avantage d’expliquer les récents étés chauds en Europe, enfin surtout en Espagne et France, qui reçoivent en plus l’air chaud saharien. C’est une piste à creuser.
Les sécheresses au Sahel au XXe siècle en sont-elles la conséquence? Le recul manque pour le savoir, d’autant que la région d’Afrique concernée a connu de régulières alternances humides/sèches depuis des millénaires:
« Au cours des trois derniers millénaires, les variations climatiques ont présenté de fortes amplitudes, l’alternance entre phases humides et phases sèches restant la règle. »
L’image 5 de l’Eastern Illinois University http://www.ux1.eiu.edu montre en synthèse les grands courant de répartition des températures sur Terre.
Une autre théorie explique les canicules par le phénomène de blocage des pressions comme dans le cas du double jet stream (image 7 de météo-villes; vidéo 2, 1’23’’, en fin de billet). Ce double courant jet serait dû au réchauffement par manque de différentiel entre le froid polaire et le chaud tropical.
« Pour résumer, cette étude nous indique que la baisse de la vitesse du jet-stream et l’augmentation des phénomènes de double jet-stream vont surexposer l’Europe de l'Ouest - dont la France - aux épisodes de fortes chaleurs et de sécheresse au cours des décennies à venir. »
Pourtant rien ne permet d’affirmer que ces doubles courants jets n’existaient pas avant qu’on ne les identifie.
Les variations et oscillations sont la norme, le courant ne peut pas être rectiligne comme certains graphiques le suggèrent. Cette théorie du blocage est contredite:
« … le courant océanique moins fréquent depuis 2 ans explique en partie les régimes de temps durables auxquels nous sommes confrontés, ayant parfois été à l’origine d’importantes périodes de sécheresse. Rien n’indique cependant que cette tendance sera durable. Il s’agit plutôt d’un cycle de variation naturelle du climat. »
Il faudra encore creuser les données pour tenter de comprendre le pourquoi des courants aériens dominants depuis quelques décennies, qui en certaines régions poussent de l’air chaud vers le nord de l’hémisphère.