Deux-cent-huit morts, 1400 maisons détruites, cela vous dit quelque chose? C’est Toulouse, Ô Toulouse, le 23 juin 1875, lors de la crue la plus dévastatrice historiquement causée par la Garonne et de ses affluents.
Puisque visiblement nous aimons nous faire peur (films catastrophes, changement du climat), j’en rajoute un peu.
Cette nouvelle rubrique, « Avant la fin » (pas la fin du monde, bien sûr, mais des blogs TdG), me permet de proposer quelques résumés ou compléments aux thèmes que je traite régulièrement depuis 12 ans (5319 notes avant celle-ci) avant la fermeture définitive des blogs prévue le 31 décembre.
Alors 1875? Comme pour toute donnée du passé celle-ci peut être moins précise. Les relevés n’avaient pas la même rigueur qu’aujourd’hui et l’on doit se fier aux signes visibles et racontés. Par exemple la hauteur maximale d’une crue. Celles-ci sont marquées depuis des siècles sur des piles de pont ou murets adéquats. C’est fiable. La hauteur qu’a atteint l’eau dans une maison est aussi un bon signe. Ensuite il y a des chroniques agricoles, celles du clergé, et parfois des constats faits par un souverain. Et il y a parfois aussi la presse.
À partir du 18ème siècle les événements de ce type sont mieux documentés. C’est le cas de la crue de juin 1875. Un cauchemar. Pire qu’en 2021, que j’ai abordée ici.
Comment raconter l’inracontable, la détresse absolue? Ceux qui ne sont pas morts noyés n’ont plus de maison, de travail de nourriture.
« C’est à Toulouse que les dégâts sont les plus importants : la Garonne détruit trois des quatre ponts de la ville et inonde tout le quartier Saint-Cyprien, forçant ses 20 000 habitants à fuir en abandonnant tout. A Montauban, la Garonne couvre en certains endroits une largeur de 4 à 5 kilomètres. Gaston Vassy, envoyé spécial du Figaro, rapporte la destruction complète de plusieurs villages et fait état de centaines de morts et de milliers de maisons détruites. »
Cette crue a été déclarée « crue de référence ».
« Le triste record de montée des eaux établi le 17 septembre 1772 (8,50 m) est balayé en quelques heures. Le fleuve tourbillonne avec une vitesse vertigineuse, atteignant plus de 2,5 millions de litres à la seconde. À midi, les neuf mètres sont dépassés. Pour les annales : une crue historique de 8,32 m sera enregistrée à l’échelle du Pont Neuf. Un niveau record. »
« En mars 1930, la rivière Tarn va noyer villes et villages : Villebrumier, Reyniès, Albefueille-Lagarde, Valence d’Agen, Montauban. Mais c'est à Moissac, que le drame sera le plus fort, avec 600 maisons effondrées et 120 morts. »
« … à l’est de Moissac, très proche du Tarn : « un quartier entièrement démoli, qu’on appelle la cité du Maroc en hommage aux dons faits par la colonie ». On y découvre l’architecture des années 30, une reconstruction dans le style art-déco, des formes simples, géométriques, symétrie, grandes ouvertures. »
Le constat, que de nombreux articles développent plus complètement, ne s’arrête pas là.
« En remontant la rivière on arrive à Montauban. Ici l’eau est montée à plus de 11 mètres.»
Comment est-ce possible? En plus des pluies intense:
« Aux terres imbibées, il faut ajouter une quantité exceptionnelle de neige tombée sur les massifs dans les hautes régions où les cours d’eau prennent leur source. « 2 mètres en certains endroits dans les derniers jours de février », signale le même quotidien. Or, un vent chaud, provenant de la Méditerranée, se mit à souffler, entraînant une fonte rapide et massive de cette épaisse couche de neige. »
Rapport de Caminel, premier échevin de la ville de Montauban:
« La crue augmente pendant le reste du jour, et continue pendant la nuit jusqu’à sept heures du matin du mercredi 19. Les eaux étoient alors à trente-deux pieds (ndla: 9,75 mètres) d’élévation au-dessus de la hauteur des eaux ordinaires, et couvroient environ quinze cens toises de terrein dans les plaines. C’est une élévation aussi extraordinaire qui a occasionné la submersion de plusieurs villages voisins situés dans la jurisdiction de Montauban, et qui a produit les plus grands ravages. Dans les campagnes, les maisons n’ont pas été plus épargnées que dans la ville; les bâtimens ont été entraîné, les grains ont été emportés, les bestiaux ont été submergés, et la plupart des habitans n’ont trouvé leur salut que dans une prompte fuite, ou en se plaçant sur des arbres où les horreurs de la faim ont été jointes aux horreurs du triste spectacle de leurs demeures détruites, et de leurs effets emportés par les eaux. »
Au point de faire basculer l’économie d’une région:
« Ce furent les villes de Castres et de Mazamet, deux villes éloignées de toute voie navigable, de tout moyen d’exportation facile au XVIIIe siècle, qui se trouvèrent hériter, dès cette époque, de l’activité industrielle de Montauban. »
Voici un bel épisode cévenole (image 5), nom qui désigne les très fortes pluies d’automne. Certains la nomment mousson provençale, bien que cela ne soit qu’en partie juste.
Un tel épisode s’est produit les 28 et 29 du mois de septembre 1900, avec des pluies d’une intensité phénoménale sur le reliefs du Gard.
« Les derniers jours du mois de septembre 1900 sont perturbés sur les Cévennes, et des pluies abondantes se déclenchent sur les reliefs du Gard à partir du 25 septembre. Celles-ci prennent un caractère exceptionnel dans la nuit du 28 au 29 septembre, en particulier sur le secteur de Valleraugue. Sur cette commune située au pied du Mont Aigoual, l’instituteur, qui est également observateur météorologique, relève une lame d'eau de 950 mm, tombée pour l’essentiel en une dizaine d’heures sous des orages persistants et intenses. Il s’agit là de l’un des cumuls de précipitations en 24 heures les plus élevés jamais relevés en France. »
950 mm de pluie en 10 heures? C’est l’Amazonie! Ou l’Inde. À noter que ce chiffre a été validé après étude rétrospective. Ici la fonte des neiges de printemps a aggravé l’intempérie.
« Les deux principaux cours d'eau, l'Agout et le Tarn, sont déjà en train de déferler sur Castres, Lavaur et Saint-Suplice-la-Pointe. Dans cette dernière commune, l'Agout monte jusqu'à 22 mètres. A Rabastens, le Tarn atteint 18 mètres. »
Et aussi, sur le site 150 ans d’inondations:
« Outre les rivières cévenoles gardoises, c’est le Tarn en Lozère qui sème la désolation. Il monte de 18 mètres à Ste-Enimie, le 28 septembre, atteint le 3ème étage des habitations et emporte plusieurs ponts. »
Et ici, on croirait entendre parler du réchauffement. Mais nous sommes bien en 1900:
« Si l’année 1900 est avant tout marquée par ces intenses épisodes cévenols qui ont touché le Gard et la Lozère, elle l’est aussi par la multiplication d’autres inondations un peu partout sur l’arc méditerranéen (Vaucluse, Aveyron, Hérault, bassin de la Durance…) y compris en Espagne et Italie. Ces pluies provoquent d’ailleurs une crue importante du Rhône notamment par un nouveau “coup d’Ardèche” majeur. »
Enfin:
« Le premier bourg de Tarn-et-Garonne qui subit cette vague déferlante est un petit village de 516 habitants: Reyniès, au bord du Tarn. Le dimanche soir, l’eau arrive « en trombe ». Le garde-champêtre lance l’alerte à grands roulements de tambour. Un grand nombre d’habitants incrédules ne perçoit pas le danger. Seules l’église et la mairie demeureront debout après le passage de l’hydre. Une centaine de maisons s’écroule et les flots emportent quatorze personnes. »
Et en 1435, la Garonne est montée à 12m50 à Agen!
Ce résumé ne traduit pas l’impressionnante liste de crues majeures et dévastatrices. Des crues normales, pour nettoyer et creuser le lit du fleuve, et pour provoquer l’érosion, cela depuis au moins le 13ème siècle.
À l’époque la puissance des crues n’avait rien à envier aux crues du 21ème siècle. Notre goût du désastre, si jouissif au fond, pousse les médias à nous en vendre à la tonne.
Il y a une surenchère permanente dans le domaine du changement de climat. On veut nous faire peur, on ajoute des extrapolations, on regarde avec une loupe instantanée ce qui se déroule en réalité sur des siècles.
J’ai documenté quelques crues extrêmes du passé qui dépassent plusieurs fois les crues plus récentes. La période actuelle n’est pas si extrême, ou du moins cela a-t-il déjà été le cas dans le passé, à la même intensité – ou pire!
D’ailleurs l’image 7 montre une baisse progressive du niveau des crues depuis le 15ème siècle. Ici il s’agit uniquement de crues de 6 m et plus. Ce qui va exactement à l’envers des prédictions alarmistes. Cherchez l’erreur…
L’article qui va avec montre l’importance de l’adaptation des sociétés humaines, dans un monde où l’on redonne peu à peu leur espace aux cours d’eau.