Californie : rivières atmosphériques, inondations as usual.
La panique sémantique a repris de plus belle avec les tempêtes qui affectent la Californie en ce début janvier 2023. Ces tempêtes et inondations sont qualifiées d’historiques. Donc exceptionnelles ou rares en terme de durée et d’intensité.
Les inondations sont impressionnantes. Les images en boucle, dont celles d’une route avec un immense trou au fond duquel gisent des voitures déformées, les champs inondés à perte de vue, des villes évacuées, peuvent suggérer des tempêtes de film catastrophes à deux doigts de la fin du monde.
Toutefois la Californie est une terre d’extrêmes climatiques et météorologiques: inondations, sécheresses, incendies, tempêtes, y sont monnaie courante. En cause, entre autres, l’oscillation ENSO qui se manifeste par les alternances de El Niño et La Niña, mais aussi l’oscillation de Madden-Julian (OMJ). Je cite Wikipedia:
« Le plus grand effet de l’OMJ sur les États-Unis et le Canada se produit en hiver sur la côte ouest. C’est en effet la période qui correspond à la plus grande partie des précipitations annuelles. Les tempêtes qui frappent en cette saison peuvent durer des jours et se répéter régulièrement dans un schéma d’altitude stable, ce qui peut mener à des inondations importantes. »
Le phénomène est donc connu, et normal. Seules sa durée et l’intensité des pluies peut être remarquables certaines années. Il génère parfois ce que l’on nomme des rivières atmosphériques.
La presse parle de cyclone, et cyclone fait penser à ouragan. Ce terme désigne tantôt une dépression classique (le contraire d’un anti-cyclone) ou un véritable ouragan.
Ici, et à cette saison, il n’y a pas de véritable ouragan mais une profonde dépression dont le centre est à 976 hPa. On voit sur l’image 1 de ce matin (écran Météoblue, clic pour agrandir), les concentrations de pluie et le resserrement des lignes isobariques, signe de vent très fort. Tout l’ouest nord-américain est touché.
La situation actuelle est bien celle d’une rivière atmosphérique. En 2017 déjà des inondations qualifiées d’historiques relevaient probablement de ce même phénomène, connu ici depuis toujours. Et il y en a eu d’autres.
« Après deux décennies de sécheresse et d’incendies, la Californie est sous l’eau. En cause: un phénomène météorologique appelé pineapple express ou "express des ananas". Il s’agit d’une rivière atmosphérique, une bande de pluie qui circule dans l’atmosphère, prenant sa source du côté d’Hawaï, ce qui explique son nom. »
La voici, la rivière atmosphérique (AR, image 2). Et l’ananas a du jus:
« Cette rivière fait plusieurs centaines de kilomètres de large et s’étend sur des milliers de kilomètres de long, se prolongeant jusqu’à la côte ouest des États-Unis. De par sa taille immense, elle apporte une série de dépressions lourdement chargées en humidité des tropiques, causant des pluies diluviennes sur plusieurs jours voire semaines. »
Topographie régionale favorable
Qu’un phénomène courant produise parfois des records est quelque chose de normal. Rien de très nouveau. Business as usual. D’ailleurs dans les années 1930 la chose était déjà bien connue. En plus de 2017 je citerai 1862 et l’inondation dite Déluge de Noé. Il s’agissait déjà de l’ananas express et des rivières atmosphériques.
La situation actuelle pourrait durer et les inondations s’aggraver. La météo ne prévoit aucun changement rapide. Ce n’est pas que mauvais: une partie des eaux d’inondation s’enfonce dans le sol et va gonfler les nappes phréatiques. C’est parce qu’elle y stagne que cette eau peut ramollir la terre durcie par les sécheresses passées. Mais quand la terre est saturée les pluies suivantes ruissellent. Il faudrait du temps entre les vagues de pluie et c’est ce qui manque.
L’image 3 de la NOAA (Agence météorologique états-unienne) illustre le phénomène. La topographie régionale joue un rôle. Non seulement le Pacifique envoie des masses inouïes d’humidité mais la pluie bute sur les montagnes à l’est de l’État et grossit sans limites les rivières.
Pour avoir une idée du volume d’eau transporté dans les airs par ces rivières:
« En moyenne, une rivière atmosphérique transportera la même quantité de vapeur d’eau équivalente au débit moyen d’eau à l’embouchure du fleuve Mississippi, selon la National Oceanic and Atmospheric Administration. »
Selon une autre évaluation la quantité d’eau atteint le double de celui du fleuve Amazone. Imaginons deux Amazones se déversant pendant des semaines (en 1862, 43 jours de suite). Que d’eau, que d’eau!
En tous les cas, si cet épisode météorologique est très intense il n’est pas le premier. Et l’érosion naturelle accélérée par la masse d’eau que déversent ces rivières atmosphériques est impressionnante.
Les deux courtes vidéos ci-dessous illustrent le phénomène, en particulier sur la Californie. Ces rivières sont considérées comme vitales car elle apportent de 30 à 50 % des précipitations de la côte ouest, entre autres aussi sous forme de neige sur les montagnes.
Et une animation de ces rivières:
Commentaires
Intéressant. . .
J'ai ouï-dire, qu'on estime que la plupart des pluies extrêmes enregistrées sur le continent européen, pourraient être liées à ces rivières célestes.
Vous avez raison Marianne. Je viens de trouver cet article sur le site de Meteosuisse.
https://www.meteosuisse.admin.ch/portrait/meteosuisse-blog/fr/2022/10/des-rivieres-dans-le-ciel.html
Dans cet autre article il est question de l'importance de ces rivières dans la distribution générale de l'humidité. Elles peuvent comporter du danger mais elles sont aussi utiles.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1845888/meteo-inondations-courant-jet-precipitations
Merci pour cet article, Hommelibre! Très intéressant. Je découvre le rivières atmosphériques! J'apprécie aussi votre contextualisation historique (2017, années 1930, 1862).
Para ailleurs, il semble que les Blogs de la Tèdge aient bel et bien fermé hier! Je suis un peu triste et déprimé, je ne vous le cache pas! Car cela est tellement dommage! C'est une vraie perte!
les rivières et par ailleurs, évidemment!