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Le grand run vers la vertu

Le grand run vers la vertu.

La tendance s’affirme davantage de jour en jour. C’est plus qu’une simple course: c’est presque une surenchère. Qui est meilleur ? Qui en fait le plus?

 

vertu,valeurs,treckMécanique

Je veux parler de cette moderne propension: faire le bien. Les émissions de divertissement sont parfois les grand messes de cette nouvelle morale sans dieu.

Moraliser et le montrer donne bonne conscience et valorise la personne. Il suffit de dire, par exemple, quand on gagne une belle somme à un jeu télévisé, de dire donc que l’on va offrir des cadeaux à nos proches ou verser une partie à une œuvre caritative pour inspirer le respect, la reconnaissance et même l’admiration. On a honte de garder de l’argent pour soi, pourtant c’est légitime.

On montre, oui, car faire le bien sans le montrer ne nourrit pas le narcissisme dégoulinant ou la carence d’estime de soi dont souffrent une majorité d’être humains.

Les gamins sont rendus conformes à ce qu’on attend d’eux,  quand ils déclarent vouloir sauver la planète. Tous ces héros et héroïnes âgés de même pas 10 ans, font la fierté des parents devant leurs amis, mais cela sonne parfois faux.

D’abord la plupart des propos d’enfants à la télé sont d’une bêtise navrante. Ils reprennent les mots et les attitudes d’adultes sans une once d’âme malgré leur innocence. Les enfants, moins bêtes quand-même que nous, savent très bien ce qu’il faut dire pour plaire. Ils ont tout vu à la télé et le répètent. D’où parfois ce côté bien appris ou mécanique de leurs propos.

À la télé Nagui fait le job de Monsieur Loyal, distillant régulièrement des recommandations, rappelant ce qui est bien et mal et qui doit ou non être fait. On dirait justement qu’il s’adresse à des enfants.

 

vertu,valeurs,treckAh! Oh!

Jean-Luc Reichmann est pas mal dans le genre lui aussi. Il en fait beaucoup dans sa petite lucarne avec son ton parfois terriblement bisounours – et donc réducteur, caricatural, objétisant. Cela sous des dehors si sympas que l’on n’ose pas voir à quel point la télé nous manipule.

Se montrer quelqu’un de bien est donc devenu très important. Moi on m’a appris qu’il ne fallait pas trop le montrer. Se mettre en avant en listant ses bonnes actions réelles ou supposées, que l’on oubliera une fois la caméra éteinte, ne devrait pas faire partie d’une gestion sobre et réfléchie de soi.

Parler de ce que l’on fait de bien devrait revenir à d’autres, à celles et ceux qui en ont été les bénéficiaires. Car si on le fait soi-même on développe une forme d’égocentrisme. C’est comme si l’on se faisait payer pour une B.A. On se met dans la lumière pour ramener le bénéfice de nos actions à soi.

Certains jeux sont moralisés par le fait de donner les gains à une bonne œuvre. Ce n’est pas nouveau. Ce n’est pas pour autant une bonne chose. Gardez-les pour vous!

Je passe parfois du temps devant des émissions dont le principal intérêt pour moi est de découvrir les biais et remarques moralisatrices. Cela se cache parfois sous des pluies de bons sentiments. Les émissions où l’on refait la maison d’une famille en difficulté sont très fortes pour cela.

D’abord la situation de cette famille doit nous tirer au moins de la compassion sinon des larmes.

Ensuite on refait tout aux frais de la princesse. Enfin quand la famille découvre le résultat ses membres rivalisent d’expressions convenues, avec des ah! et des oh! à profusion et des signes d’ébahissements fort peu spontanés, de sourires niais et longtemps tenus sur des bouches mimant la joie la plus grande. Insupportable.

 

vertu,valeurs,treckExhibition

Pourquoi trouve-t-on un peu partout dans l’espèce humaine ce besoin de se montrer? C’est peut-être un besoin naturel de reconnaissance ou de validation de soi et de ses comportements par les autres. Mais quelle reconnaissance peut-on recevoir de téléspectateurs que nous ne connaissons pas et ne rencontrerons jamais?

En fait le Bien est devenu, comme le reste, un spectacle, souvent scénarisé, exemplarisé. Ce qui devrait s’apprendre lors de nos premières années dans la famille, est aujourd’hui balancé un peu partout comme si nous étions des enfants ignorants des plus élémentaires règles de la vie en groupe.

Parfois on rencontre des formes dérivées. Par exemple sur ces émissions simplistes comme Le meilleur forgeron, où les dialogues sont au niveau d’un court résumé de psychologie de bar, elles en sont remplies. Tout ces « Je vais tout donner » malgré mes doutes, ou « Je ne lâche rien », ou « Je vais déchirer », etc, servent à montrer combien ce candidat ou cette candidate est formidable.

On en trouve également sur Ninja Warrior. On nous montre ces candidats gonflés d’eux-mêmes, qui vont « déchirer ». Et qui comme la plupart se ratent sur le parcours. Je me dis qu’ils feraient mieux de réussir plutôt que de se vanter au micro d’une détermination qui ne les mène à rien.

Ne parlez pas tant, ne vous vantez pas comme des adeptes de la gonflette morale. Je n’attends pas que votre bienveillance exhibée vienne me rassurer sur l’humanité. Je présuppose que, dans le silence et le secret, vous faites aussi des choses bien. Parfois des erreurs aussi, mais les choses bien nous réparent un peu de nos erreurs.

 

vertu,valeurs,treckSpectacle

Ne vous vantez pas de ce que vous allez faire de bien, ne tenez pas de comptabilité de vos bonnes actions. Faites, c’est tout. Les montrer oblige envers vous ceux à qui vous faites profiter de votre bienveillance.

Le Bien, cela se pratique avec humilité et discrétion, de crainte que le melon qui remplacerait notre tête ne réduise nos efforts à néant.

Il y a longtemps le Bien et le Mal, et les comportements pour les incarner, étaient enseignés à la maison et à l’église. Je reconnais au concept de Dieu la représentation d’une autorité au-dessus de la nôtre. Il vient casser notre désir totalitaire de toute-puissance. La morale sans autorité supérieure, encadrée seulement par les lois, me paraît une entreprise vaine.

Aujourd’hui les Nagui et autres membres du star system remplacent les prêtres. Ce n’est pas ma tasse de thé. Nous sommes si imparfaits, si peu aboutis dans notre cœur, que nous devrions réfléchir pendant sept jours avant de faire la leçon aux autres.

Et puis, j’aimerais vérifier si ceux qui ont annoncé vouloir faire le bien, le font ensuite vraiment, ou s’ils s’en moquent une fois la caméra éteinte. Dans le monde du spectacle, l’image compte plus que la réalité, le blabla plus que les actes.

Alors, le grand run vers la vertu (run pour course comme on le voit écrit aujourd’hui sur les écrans retransmettant une épreuve sportive en deux manches), franchement, même si on peut lui trouver quelques bienfaits, pour moi c’est non merci.

 

vertu,valeurs,treckBe Good Breizh

Exemple de mon propos, cette association qui a pour but de soutenir la participation de trois copines au Rose Trip Maroc, un treck qui s’est déroulé en octobre dernier.

« Nous sommes trois amies : Catherine, Gabrielle et Sophie et nous avons décidé de nous engager dans une aventure sportive, solidaire et 100% féminine, le trek Rose Trip  Maroc 2022 qui se tiendra du 27 octobre au 1er novembre 2022. Nous avons créé notre association Be Good Breizh afin de soutenir notre participation à ce projet sportif,  solidaire, éco-responsable et fédérateur. »

Ça c’est Bien. Une épreuve 100% féminine, donc possiblement discriminante; solidaire, avec des fonds amenés aux seules femmes dans certains coins du Maroc; éco-responsable – on ne laisse pas de déchets sur le bord de la route (ce que beaucoup font de longue date sans demander de subvention, qui n’est pas compliqué, et peut rapporter gros auprès de sponsors); fédératrice mais pour les femmes :

« … une belle occasion de se fédérer toutes  ensemble pour rendre hommage à l’ensemble de ces femmes dans  leur combat contre la maladie (ndla: le cancer du sein), notamment lors de l’ascension de la plus  haute dune de Merzouga (ndla: 150 m, image 5 Wikipedia). »

Mais en fait cette asso a pour principal but de financer la participation des trois copines. L’humanitaire sert des intérêt égoïstes recouverts d’une peau d’agneau.

Autre style de valeur morale: j’ai entendu sur BFMTV le président des opticiens de France se vanter de rendre visite aux patients chez eux, et de régler les tournées des véhicules pour faire le moins de kilomètres possible. Il ajoute que c’est une illustration  de l’engagement de sa société pour le bien commun, la planète.

Ce Bien-là ne mange pas de pain. Toute entreprise prépare la tournée des véhicules de  ses employés pour faire le moins de kilomètres, elles n’ont pas attendu 2022. Pas besoin pour cela de se revendiquer de l’écologie.

 

 

Catégories : Philosophie, Psychologie, société 4 commentaires

Commentaires

  • Lettre aux Bretonnes de Be Good Breizh :
    Quand on fait le bien, on ne le fait pas pour un seul sexe. Honte à vous qui dénaturez ainsi la générosité de nos compatriotes.

  • En effet, les supposées "belles personnes" ont le vent en poupe par les temps qui courent.
    Merci pour ce billet.

  • Ces belles personnes sont aussi éphémères que dérisoires qui tomberont en disgrâce comme des feuilles mortes, le temps de les jeter à la poubelle de l'oubli.

  • John, vous vous étonnez encore de ce monde factice?
    C'est depuis un moment déjà que l'on nous essore, qu'on nous presse comme de la brousse et qu'on nous empaquette comme du fromage blanc, encore une fois surpressé pour entrer dans le moule.

    Nous sommes tous des fromages blancs moulés.
    Puis demain, d'autres vertus seront inventés. On ne cesse de nous lancer des os à ronger.

    Quand ce monde se réveillera des rêves bon marché qui rapportent gros à leurs concepteurs, il lancera ces os à leur figure. Je le souhaite vivement, mais je me fais peu d'illusion sur ce monde d'humanoïdes numérisables, formatables, transposables et dilétables.

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