Belle histoire (26) : Elsa cœur de pierre.
Elle ne parle pas plus qu’il ne le faut, et au fond il le faut peu. Son extrême concentration interdit tout verbiage futile ou même pédagogique. À vingt-quatre ans elle termine dans la méditation de ses mains un parcours commencé sept ans plus tôt.
Elsa Berthelot s’est engagée à dix-sept ans dans la formation de tailleuse de pierre. Une formation exigeante, avec les Compagnons du devoir. Une formation séculaire, transmise depuis des générations.
Ici la compétence personnelle est irremplaçable. Elsa l’a compris très tôt, à un âge où les jeunes gens sont plus enclins à fêter qu’à méditer sur une pierre et lui transmettre son cœur.
Car c’est cela qui passe par ses mains: son cœur. Elle anime la matière dure et y façonne des volutes envoûtantes.
Chez les Compagnons du devoir on avance dans la lumière de l’humilité. Pas un mot plus haut, pas de hâblerie, pas de récrimination ni exubérance narcissique.
« Il faut être très consciencieux et minutieux dans son travail. Vous travaillez sur un matériau vivant et vous n’avez pas le droit à l’erreur. Si vous faites un éclat c’est fichu. »
Ce qu’elle dit est inscrit dans son regard qui scrute chaque millimètre du caillou. Ce qu’elle dit s’envole de ses mains qui tiennent l’outil.
Il y a plus de grâce dans l’engagement d’Elsa que mes mots ne sauraient le décrire. Je cède dès lors la place à ces quelques minutes de vidéo, quand Elsa Berthelot termine son chef-d’œuvre – aboutissement de sa formation, de son engagement, qui fera d’elle une tailleuse de pierre accomplie.
Et un jour c’est elle qui transmettra et formera les nouveaux Compagnons. C’est un peu d’éternité dans ce monde enivré de changement. C’est une belle histoire.
Commentaires
Remarquable !
Le silence s'impose. . .
Bien d'accord.
Ayant enseigné les maths aux "Compagnons du tour de France", j'y ai trouvé, en effet, un rapport particulier au travail chez tous ces jeunes. Un lien profond entre le créateur et la création. Aujourd'hui, il y a tant de salariés qui exercent un métier qui ne les motive pas, qui ne les valorise pas et qui ne leur donne finalement aucune envie de travailler. Remarquons également que les femmes, même minoritaires, ont autant de chances de réussir que les hommes. Et, si "compagnons" est au masculin, la féminisation de ce mot n'est pas nécessaire car ils désigne les deux sexes, comme dans beaucoup de métiers.
Oui, les femmes y ont leur place et c'est très bien. Quand je vois travailler Elsa sur la vidéo je sais qu'elle n'a rien à envier à personne. Elle fait partie d'une communauté d'esprit, elle y trouve le même goût du beau travail. C'est une vocation, c'est la différence avec un métier "alimentaire". Mais je ne veux pas les opposer.
C’est très beau dit-elle, et c'est très émouvant.
Gracias, merci John.
Gracias à vous de votre passage Colette.
Monsieur Goetelen,
Votre exemple de la tailleuse de pierre compagnon est plus que significatif. Dans la société traditionnelle chrétienne, le travail était à la fois un procédé éducatif du candidat à la connaissance de soi, mais aussi de l’Autre auquel le travailleur apporte sa contribution au bien-être et à celui de la communauté. Le travail n’avait pas pour but le profit ou l’enrichissement mais la subsistance du travailleur et de la communauté. Le concept des vacances n’existait pas, ni celui de la retraite car la famille prenait soin de ses anciens. Même avec l’avènement du mercantilisme, dans les sociétés traditionnelles asiatiques c’est la cadette qui hérite des biens familiaux mais avec l’obligation d’assurer l’entretien du parent survivant et de toute sa famille !