Un homme patient.
Petite anecdote personnelle, dont je pense qu’elle vaut d’être partagée. Comment une rencontre fortuite peut éclairer une journée? C’était il y a moins d’une semaine.
Je me rendais en France pour effectuer quelques emplettes. Je passe la douane à pied. Immédiatement je remarque un homme immobile sur le trottoir. D’une main il propose un fascicule à celles et ceux qui passent, de l’autre il tient son stock.
Sur la minute où je peux observer sa présence personne ne prend le fascicule. Moi-même pas plus. Je passe devant lui. Il regarde au loin, enfin de l’autre côté de la rue. C’est déjà loin quand on est planté sans bouger.
Je passe et fais mes commissions. Puis je reviens par le même chemin. L’homme est toujours sur son bout de trottoir, fascicule à la main. Je ne le prendrai pas. Je ne le fais jamais, par principe.
En repassant devant lui, je pose un regard d’angle sur son visage. Quelque chose me touche. Quoi? Je ne sais pas. Je continue, puis je ralentis. Je m’arrête et me retourne. L’homme, un noir un peu enveloppé, porte un chapeau. Il est à trente mètres.
J’identifie peu à peu ce qui m’a touché. Cet homme fait montre d’une patience extraordinaire. Il ne bouge pas, reste impassible, n’a aucune moue de déception ou d’espoir quand les gens passent sans le regarder.
Son expression est sereine, tranquille. Il attend que quelqu’un s’intéresse à son fascicule – dont je n’ai même pas regardé le titre.
Cette patience que je vois (ou ressens) dans son visage et son corps tranquille, c’est ce dont j’ai manqué dans ma vie à certaines occasions. Or l’impatience fait prendre parfois des décisions qui ne sont pas assez réfléchies.
J’ai travaillé à développer la patience, et j’y travaille encore. Et là, cet homme me paraît incarner pleinement ce vers quoi je tends. Cela me procure un sentiment de bonheur. Je continue à l’observer de loin, discrètement.
Puis je reviens sur mes pas et lui adresse la parole. Je m’enquiers du prix de son fascicule. Il répond que c’est gratuit. Je découvre alors que c’est le petit journal La Tour de Garde, des Témoins de Jéhova. Je ne suis pas ouvert à ce groupe.
Mais ici je m’en fiche. Je ne suis pas face à un groupe mais à un individu, un individu doté d’une patience extraordinaire, et d’une bonhommie contagieuse. C’est un genre de virus devant lequel je relâche mes défenses. Je veux bien être contaminé.
Emporté par mon enthousiasme (je travaille pourtant à garder davantage de réserve) je lui dis tout ce que je viens d’écrire.
Il me fait un sourire, tranquille, me dit qu’il est toujours disponible pour parler. Moi pas mais je le remercie pour avoir contribué à éclairer ma journée. Puis je repars.
Voilà, c’est tout simple, pas de quoi fouetter un chat, pas de héros, mais un bref échange qui fait du bien à l’âme.
Merci encore à cet homme pour sa patience.
Ma précédente note:
Violences féminines : malaise dans le genre
Commentaires
Hola et merci John, cet échange vous aura certainement fait du bien à tous les deux.
Et puis à nous maintenant, car la patience n'est vraiment pas la vertu de nos temps....
Bonne journée.
Monsieur Goetelen,
Voilà le constat d’un homme ouvert à l’autre, curieux de le comprendre et non de le juger. Je connais bien le mouvement des témoins de Jehova et leurs assauts répétés. Comme vous, par curiosité, je les ai reçus chez moi et nous avons exposé notre entendement respectif des écritures saintes. Ceux-ci s’en tiennent absolument à la lettre, répètent fidèlement la doctrine qu’ils ont étudiée avec grand soin mais sans en percevoir la substantifique moëlle. De bonnes personnes baignant dans l’émotionnel.
À propos des Témoins de Jéhovah, quelques extraits du livre « les victimes oubliées du IIIème Reich – Les déportés suisses dans les camps nazis », Alphil, 2021
– Emma Kübler-Schlotterer, Témoin de Jéhovah résidant en Allemagne, cette Bâloise à la foi inébranlable survit pendant plus de sept ans dans des camps, mais meurt dans les jours qui suivent la libération de Bergen-Belsen –
[…] Déportée avec 998 autres prisonnières de Ravensbrück à Auschwitz le 26 mars 1942, Emma y reçoit le numéro 339. Les photos prises par la SS montrent une femme fière, stoïque en dépit de toutes ses souffrances. […]
À la date du 7 mai 1943, nonante-neuf Étudiantes de la Bible du camp sont « domestiques » chez des officiers SS […]
Deux d’entre elles, Sophie Stippel et Emma Kübler-Schlottererer travaillent dans la villa qu’occupent le commandant du camp Rudolph Höss, sa femme et leurs quatre enfants, à quelques mètres de la clôture électrifiée du camp. Höss les qualifient d’« abeilles de la Bible » ou encore de « vermisseaux bibliques » ; il écrit dans ses carnets :
« J’ai eu deux femmes âgées pendant plus de trois ans pour tenir mon ménage. Ma femme disait souvent qu’elle-même ne pouvait pas mieux assumer toutes les tâches que ces deux femmes. Elles s’occupaient des enfants avec un soin particulièrement touchant ; de tous les enfants, les grands comme les petits. Ceux-ci étaient attachés à elles, comme si elles faisaient partie de la famille. Au début, nous avons craint qu’elles ne veuillent sauver les petits pour Jéhovah. Mais elles n’ont jamais rien fait. Elles n’ont jamais abordé de sujets religieux avec les enfants. Ce qui a été surprenant compte tenu de leur fanatisme. »
Ailleurs, il explique pourquoi seules des Étudiantes de la Bible ont eu sa confiance comme domestiques : « Parce que ce sont les plus inoffensives et les plus honnêtes. » […]