Ce fut un jour vraiment étrange. Et les jours suivants furent les plus terribles de l'humanité récente.
Personne n'a d'abord compris ce qui se passait. Tout semblait normal. C'était un début d'été, les grillons s'époumonnaient sous des ciels saturés d'étoiles. L'air sentait bon le foin coupé.
Le premier qui s'interrogea était assis à sa terrasse, entourée de prairies. La fin d'après-midi laissait glisser quelques cumulus à l'horizon. Pas d'autre bruit qu'un vent léger, et ce chant des grillons qui ouvrait l'espace. La tranquillité d'un soir venant, où rien ne laissait présager le pire.
Peu à peu un bruissement inhabituel monta des prairies. Des sons graves, puis aigus, d'abord inarticulés. Sur sa terrasse il comprit que quelque chose changeait. Cela ressemblait à une sorte de mélopée. A force d'écouter il commença à distinguer des mots. Quatre mots. Il croyait halluciner. Cela venait des prairies, mais fraîchement coupées il aurait dû y apercevoir quelqu'un. Or: personne. Et pourtant, des voix de plus en plus claires, de plus en plus nombreuses et distinctes, emplissaient ses oreilles.
Quatre mots comme répétés inlassablement par ce qui ressemblait maintenant à une foule:
"Je t'aime, mon amour"
Il croyait perdre la raison. Il allait appeler un ami quand son téléphone sonna. Son ami justement.
- Tu ne croiras jamais ce qui arrive chez moi!
Et au bout du fil, il entendai comme une symphonie:
"Je t'aime, mon amour"
D'autres amis et connaissances l'appelèrent: le même phénomène se reproduisait partout. Mais surtout, c'était de plus en plus fort. Il commençait à crier pour se faire entendre, et ses correspondants aussi, alors plus personne n'entendait personne, et chacun devait crier de plus en plus fort.
Partout dans les villes et les campagnes, les gens criaent, puis hurlaient pour tenter de couvrir ces quatres mots qui faisaient plus de bruit que tous les troupeaux d'éléphants du monde courrant devant tous les trains du monde.
A cela se mêlaient les pleurs des amants séparés, que ces quatre mots faisaient replonger dans leur souffrance.
"Je t'aime, mon amour"
Les inimitiés tenaces semblaient soudain exacerbées par ces quatre mots et les adversaires criaient eux aussi de plus en plus fort. Dans les casernes et sur les champs de bataille les soldats ne comprenaient plus les ordres, et ne comprenaients plus pourquoi ils devaient se battre. Les uns déposaient les armes; d'autres, croyant à une ruse de l'ennemi infiltré dans leurs propres rangs, tiraient sur les leurs.
Et tous criaient de plus belle pour se faire entendre, mais sans y parvenir tant ces quatres mots semblaient venir de partout.
"Je taime, mon amour"
Le volume monta, monta. Une énorme bulle sonore enveloppa peu à peu toute la Terre, tournoyant, revenant, atteignant un degré d'intensité terrible.
Alors quelque chose craqua. La puissance du son était devenue telle que les vitres ont commencé à exploser. Dans tous les immeubles, partout, ce qui était cassable se brisa en miettes. Les vitres des voitures, les porcelaines des lavabos, les verres de montre, la vaisselle, les appareils sophistiqués, les écrans d'ordinateurs. Tout cassait et s'arrêtait. A un certain moment l'onde sonore, encore amplifiée par sa propre puissance, fit vaciller les ponts, sensibles à ce genre de chose, et tous s'effondrèrent en une seconde.
L'activité humaine s'arrêta car plus rien ne fonctionnait. On ne pouvait plus rouler, plus travailler. Le parc informatique était inutilisable. Dans les restaurants et dans les maisons, il n'y avait plus un verre, une assiette ou un plat entier. Les voitures étaient sans vitres et sans phares. Bref, tout s'arrêta, il n'y eut plus de vie économique.
Alors les humains se demandèrent d'où venaient ces quatre mots:
"Je t'aime, mon amour".
On décida d'une enquête pour déterminer les causes, y trouver des remèdes, et si possible trouver les responsables. Mais par où commencer?
Commentaires
La déraison a parfois des raisons que la raison ignore, l'amour aussi!
L'APOCALYPSE: la deuxième partie est en ligne!