Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Nous respirons trop vite...

En quelques lignes, une vision s’impose, un flash fugace et intime qui s’en va aussi vite que le vent. Occupés à notre vie, courant après un but souvent indéfini mais perçu contre toute lucidité comme essentiel, nous passons rapidement sur la ligne étroite de nos pas dans la rue.

Cioran.jpg“Nous respirons trop vite pour pouvoir saisir les choses ou en dénoncer la fragilité. Notre halètement les postule et les déforme, les crée et les défigure, et nous y enchaîne”.

En deux phrases Emil Cioran pointe un trait humain si courant. Il parle de l’attention de nous portons aux choses et aux êtres, et de la rapidité avec laquelle nous recréons le réel à notre image, à défaut de l’avoir suffisamment observé et approfondi.

Un oiseau qui passe rapidement? Le regard humide d’un passant? Qu’avons-nous vu? Une légère ombre fugace, une silhouette dont nous ne sommes parfois même pas capable de décrire la couleur des habits.

Nous passons vite, nous respirons vite, haletants, et nous ne voyons que les grosses bornes qui marquent notre parcours prédéterminé. Peu de neuf entre dans notre observation du monde.

La capacité du cerveau à reconstruire le réel avec des éléments antérieurs est bien connue. Trois témoins du même accident décrivent trois faits et décors différents. Nous postulons le réel plus que nous ne le voyons. Nous étiquetons les êtres sur quelques bribes, nous les déformons à notre image, les créons comme nous l’entendons, les défigurons de nos propres projections, et une fois ce processus terminé, nous croyons que l’autre est réellement comme nous l’avons créé. Et nous sommes enchaînés à notre propre croyance.

Emil Cioran, essayiste et écrivain roumain décédé en 1995, était un chantre du désespoir, de la désillusion, de l’envers du décor. Le titre d’un de ses ouvrage est à lui seul un programme de réflexion: “Précis de décomposition”. Avec parfois un humour au troisième degré, un peu noir bien sûr.

Certes sa vision lui appartient et ne saurait, pas plus qu’une autre, prétendre à représenter globalement le réel. Et son langage n’est pas forcément prisé par tous. Mais de temps en temps une relecture fragmentaire fait du bien aux neurones.


Quelques citations:

“Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ.“

“Tout désespoir est un ultimatum à Dieu.“

“Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.“

“Se lever de bonne heure, plein d'énergie et d'entrain, merveilleusement apte à commettre quelque vilenie insigne.“

“Règle d'or : laisser une image incomplète de soi...“

“Nul plus que moi n'a aimé ce monde, et cependant me l'aurait-on offert sur un plateau, même enfant je me serais écrié : "Trop tard, trop tard!"

"Je me permets de prier pour vous." - "Je le veux bien. Mais qui vous écoutera?"

“Plutôt dans un égout que sur un piédestal.“

“Frivole et décousu, amateur en tout, je n'aurai connu à fond que l'inconvénient d'être né.“

“J'ai toujours cherché les paysages d'avant Dieu. D'où mon faible pour le Chaos. “


demilibrestripoliuf2.jpg
Catégories : Philosophie 6 commentaires

Commentaires

  • Bonjour !
    Une de mes citations favorites de Cioran:
    "Frivole et décousu, amateur en tout, je n'aurai connu à fond que l'inconvénient d'être né.“
    Heureux de la (re)trouver chez vous.

    ;o)

  • "Emil Cioran, essayiste et écrivain roumain décédé en 1995, était un chantre du désespoir, de la désillusion, de l’envers du décor."

    A mon avis, bien trop de gens l'ont lu ... ce passionant auteur ... mais ... sans rien y comprendre.

    J'en veut pour preuve, ces végéta (riens, liens, je ne sais plus comment écrire leurs noms, tellement ils sont nombreux) qui commetrais des délits de non-assistance à personne en danger ... pour sauver un animal, plutôt qu'un humain.


    "Le titre d’un de ses ouvrage est à lui seul un programme de réflexion: “Précis de décomposition”."

    Combien sont ceux qui lisent juste le titre mais ne comprennent pas le début...programme de ré-flé-xion...

    Décomposition...déchêts...déchéance...

  • Selon ceux qui l'ont connu, la partie de sa vie dont il n'a jamais parlé était sa vie amoureuse. Très heureuse selon eux. Son désespoir était avant tout une position philosophique, devant son impossibilité à donner un sens définitif à la vie.

    Intéressante aussi son intégrité intellectuelle: mettre sa vie et ses écrits en conformité. C'est ainsi qu'il a refusé un prix littéraire décerné par l'Académie française. Pas de piédestal, pas de cette vanité qu'il raillait.

    @ Blondesen: j'aime bien aussi celle ci, tellement vraie...: “Se lever de bonne heure, plein d'énergie et d'entrain, merveilleusement apte à commettre quelque vilenie insigne.“ De quoi se mettre en question au quotidien. J'aime aussi beaucoup l'image incomplète. Un peu comme les sémanticiens qui disaient: "Etc" après toute description d'un objet ou d'une personne: la description n'est jamais fermée, définitive ou complète. J'en ferai peut-être un billet un prochain jour.

  • Apropos de Cioran, voici le lien vers une vidéo qui retrace sa vie: http://video.google.com/videoplay?docid=1231982676025548025. Très intéressant. Il est aussi question de son flirt avec le fascisme entre 1933 et 1937, époque à laquelle il a émigré à Paris justement pour fuir le fascisme et le nazisme.

    Après la guerre, il a fait très clairement son autocritique sur cette période de sa vie, analysant les raisons qui l'avaient fait flirter avec cette mouvance, et se distançant totalement de tout cela. Il a eu le courage de reconnaître qu'il avait fait fausse route. Ce qu'un Aragon, dont j'aime la poésie, n'a pas fait à l'égard du communisme stalinien, régime aux 18 millions de déportés au Goulag et aux millions de morts.

    Toutefois Cioran n'a jamais été un théoricien du fascisme, ni un rouage actif.

  • Pour mieux connaître Cioran, voici le lien vers une vidéo documentaire intéressante: Pour mieux connaître Cioran, voici le lien vers une vidéo documentaire intéressante. Il y est aussi question de son admiration pour le fascime vers 1933, ce qui me dérange bien sûr. Il faut quand-même savoir qu'il a fait son autocritique claire et sans complaisance à ce sujet à la fin des années 40.

    Le poète Aragon qui écrivait parfois de si beaux poèmes, n'en a pas fait autant, lui qui admirait le communisme stalinien le plus dur, le fascisme rouge. Cioran n'a jamais théorisé le fascisme, et il s'en est détaché dès 1937 où il est venu vivre à Paris. On peut réprouver cette période de sa vie (ce qui est mon cas), mais dans le documentaire il s'en explique et surtout il a cette honnêteté intellectuelle de reconnaître son erreur.. Il y est aussi question de son admiration pour le fascime vers 1933, ce qui me dérange bien sûr. Il faut quand-même savoir qu'il a fait son autocritique claire et sans complaisance à ce sujet à la fin des années 40. Le poète Aragon qui écrivait parfois de si beaux poèmes, n'en a pas fait autant, lui qui admirait le communisme stalinien le plus dur, le fascisme rouge.

    Cioran n'a jamais théorisé le fascisme, et il s'en est détaché dès 1937 où il est venu vivre à Paris. On peut réprouver cette période de sa vie (ce qui est mon cas), mais dans le documentaire il s'en explique et surtout il a cette honnêteté intellectuelle de reconnaître son erreur.

  • Je souhaite ajouter un commentaire sur la courte période où il a eu une admiration pour le fascisme, mais il ne passe pas. Je réessaie. Il y a un documentaire de 45 minutes sur le net: taper Cioran dans google, vous le trouverez rapidement.

    Il y est donc question de son admiration pour le fascime vers 1933, ce qui me dérange bien sûr, car jamais je ne pourrais soutenir l'horreur du fascisme. Il faut quand-même savoir qu'il a fait son autocritique claire et sans complaisance à ce sujet à la fin des années 40.

    Le poète Aragon qui écrivait parfois de si beaux poèmes, n'en a pas fait autant, lui qui admirait le communisme stalinien le plus dur, le fascisme rouge.

    Cioran n'a jamais théorisé le fascisme, et il s'en est détaché dès 1937 où il est venu vivre à Paris. On peut réprouver cette période de sa vie (ce qui est mon cas), mais dans le documentaire il s'en explique et surtout il a cette honnêteté intellectuelle de reconnaître son erreur.

Les commentaires sont fermés.