J’ai toujours été bousculé par cette phrase de l’humoriste Alphonse Allais: “N’être qu’un, oui, mais lequel?” Cet amateur d’absurde illustrait là une question psycho-philosophique essentielle à laquelle trop de mauvaises réponses avaient été données jusqu’alors. Et que la psychiatrie traita ensuite avec légèreté de pathologie.
Comment pouvez-vous être à la fois ouvert et fermé? Gardez-vous une cohérence dans cette apparente contradiction? Pour moi c’est un thème que j’affectionne particulièrement: être ET/ET.
L’éducation par exemple nous apprend que l’on est OU gentil, OU méchant. On ne peut être l’un ET l’autre. Pourtant une observation honnête de nos comportements montrera que nous sommes parfois gentils, parfois méchants. Cela dépend des jours, des circonstances, des personnes, de notre histoire personnelle à une période donnée.
La gentillesse étant valorisée et pas la méchanceté, la société étant divisée entre les bons et les méchants, la tendance est généralement de s’identifier à l’aspect valorisé et de ne pas reconnaître que nous pouvons être parfois l’un, parfois l’autre.
La psychiatrie a pathologisé cette multiplicité en parlant des “personnalités multiples” comme d’une maladie. Alors que c’est simplement un fait, et que notre cohérence n’est pas dans le fait de n’être qu’un à l'exclusion des autres facettes de soi, mais dans la continuité globale de nos comportements et de nos valeurs. C’est la rigidité sur le OU/OU qui crée des maladies, alors qu'être multiple c'est être capable de s'adapter aux différentes situations de la vie.
Le manichéisme religieux, politique et culturel maintient cette division, ce OU/OU, nous empêchant souvent de gérer nos contradictions (je suis ET ceci ET cela même si c’est contradictoire).
Je milite pour la venue d’une culture philosophique du ET/ET: être multiple est une belle réalité et un vrai challenge! Le mode d’emploi n’en est pas pour autant défini, il faut tout inventer dans ce domaine. J’en propose un, qui m’avait été donné par un étudiant: “N’être qu’un, oui, mais l’un après l’autre”.
Alphonse Allais est à découvrir ou à redécouvrir. Voici quelques citations, ainsi que sa présentation reprise de Wikipedia.
- C'est probablement parce que les ardoises viennent d'Angers que le métier de couvreur est dangereux.
- Shakespeare n'a jamais existé. Toutes ses pièces ont été écrites par un inconnu qui portait le même nom que lui.
- La mer est salée parce qu'il y a des morues dedans. Et si elle ne déborde pas, c'est parce que la Providence, dans sa sagesse, y a placé aussi des éponges.
- J'ai connu bien des filles de joie qui avaient pour père un homme de peine.
- Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue.
- C’est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Etre de quelque chose, ça pose un homme, comme être de garenne, ça pose un lapin.
“Alphonse Allais (1854-1905) est un journaliste, écrivain et humoriste français célèbre à la Belle Époque. Surtout connu pour sa plume acerbe et son humour absurde, il est l'auteur méconnu des premières peintures abstraites : ses monochromes “Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit”, “Récolte de la tomate sur le bord de la mer rouge par des cardinaux apoplectiques”, etc., présentés au Salon des Arts Incohérents, précédent d'une génération le Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch, généralement considéré comme le premier exemple en la matière. Il est aussi, bien avant John Cage ou Erwin Schulhoff, l'auteur de la première composition musicale minimaliste : sa Marche Funèbre composée pour les Funérailles d'un grand homme sourd, est une page de composition vierge, parce que « les grandes douleurs sont muettes ».
Il nomma un de ses ouvrages “Le parapluie de l'escouade” pour deux raisons : il n'y était question de parapluie d'aucune sorte, et le cas de l'escouade, unité de combat si importante, n'y était évoqué à aucun moment.”
Et un site sympa:
http://www.boiteallais.com/
Commentaires
être ou ne pas être ... l'être humain est si complexe et si simple à la fois !