Il était une fois un enfant qui jouait au cerf-volant avec son père. L'enfant tenait le fil dans sa main et regardait dans le ciel le cerf-volant qui montait, montait. A un moment, il lâcha le fil.
Son père lui dit: “Ce n'est rien. Viens, on va en acheter un autre”. Ah, la société de consommation. Ce n'est pas cher. Le second cerf-volant s'envola dans le ciel, il montait, montait. L'enfant le regardait. A un moment, il lâcha le fil.
“Papa, papa, il devient plus petit! Il s'en va. Où va-t-il?” Et il mettait les doigts en carré. “Cela suffit, dit le père. Je vais te raconter l'histoire du cerf-volant. Tu veux?” “Oui, oui”, répondit l'enfant.
Le père commença.
“Il y a très, très longtemps, le cerf-volant était un animal. C’était un animal moitié chat moitié oiseau. On l'appelait: le Chaoiseau.” L'enfant écoutait, attentif. “Le Chaoiseau était un animal volant. Assez grand, plat, il volait assez bas. Il était très connu et respecté des autres animaux: la licorne, le crocolion, le tigre-zèbre. Personne ne se demandait pourquoi il était moitié chat moitié oiseau. C'était comme cela.”
L'enfant ne disait rien. Le père continuait.
“Un jour, on ne sait pourquoi, le Chaoiseau se déchira en deux. D’un côté, le chat, de l'autre l'oiseau. L'oiseau dans le ciel, le chat sur la terre. Au chat, il manquait les ailes. A l'oiseau, deux pattes. De leur séparation était resté un très grand vide. Un vide si grand qu'il ne pouvait être comblé. Alors, un peu du chat et un peu de l'oiseau restèrent ensemble, et s’unirent dans le ciel comme une membrane translucide. On pouvait voir le ciel à travers. Leurs pattes et leurs ailes se sont mises en croix, et ont formé une armature solide pour tenir à plat cette membrane. Elle planait dans le vent.”
L'enfant écoutait, les yeux grands ouverts.
“Ce n'était pas un bout du chat et un bout de l'oiseau. C'était un être à part entière. On l'appela: le Cerf-volant, même s'il ne ressemblait pas du tout à un cerf. Depuis lors, les chats mangent les oiseaux, et les aigles mangent les félins. C'est pour la mémoire d'avant, pour se retrouver, être à nouveau l'un dans l'autre.”
“Et le cerf-volant?”, demanda l'enfant.
“Le cerf-volant est le souvenir du temps où le chat et l'oiseau n'étaient qu’un. Quand on tient le cerf-volant, il monte, il monte. Si le vent est fort, il vient au-dessus de nos têtes, il continue derrière. Et pour le suivre nous nous penchons en arrière, et nous perdons l’équilibre. Et là, pendant une seconde, parfois sans que nous le sachions, vient comme un bonheur, une extase. Nous nous laissons aller, une seconde, sans peur de tomber. Et quand revient la peur, nous tombons, mais ce n'est pas grave. Nous avons plongé une seconde dans l'extase, dans un monde sans limites.”
L'enfant comprenait très bien cela. Il dit alors: “Et quand on est par terre?” “On rigole et on se relève.”
L'enfant rit. Il rit longtemps. Il imaginait la scène et se faisait peur et plaisir à la fois. Quand l'enfant eût fini de rire, et son père avec lui, un silence s'établit.
Puis le père dit: “Viens, on rentre à la maison.” Ils partirent main dans la main. L'enfant avait oublié son cerf-volant envolé.
Commentaires
Magnifiques, les photos!
Oui, superbes. Pas de moi. Très bien réalisées.
Vous avez mon coeur avec vous. Cette combinaison des photos et de l’histoire est bien celle de succès. Amicalement