Au début du 20e siècle les délits étaient condamnés très sévèrement. Un vol d’argent pouvait être sanctionné de plusieurs années de bagne. J’ai déjà cité le petit livre d’André Gide, “Souvenirs de la Cour d’assises” paru en poche. (Cliquer sur les images pour les agrandir).
Dans ce recueil de notes écrites en tant que juré, il relate plusieurs affaires. Il montre comment certaines affaires étaient menées, comment des présidents de Cour biaisaient parfois les questions ou éludaient des pièces importantes. Jean Giono a également fait un travail de réflexion sur l’Affaire Dominici où il avait le rôle d’observateur officiel. Ses observations, écrites avec toute l’intelligence littéraire qu’on lui connaît, sont relatées dans “Notes sur l’affaire Dominici”, également au format poche.
Après la seconde guerre mondiale un courant psychologisant a donné davantage de place aux auteurs de crimes qu’à leurs victimes. Il fallait comprendre, expliquer par une enfance perturbée, par des influences diverses, les raisons de l’acte. Je soutiens la nécessité de comprendre ce qui pousse à devenir criminel, pour éventuellement en tirer des conclusions préventives. Mais le criminel devenait le personnage central des affaires judiciaires. Un Mesrine ou un Spaggiari étaient présentés parfois comme des héros populaires en lutte contre le système. Il y a encore des traces de cela actuellement.
Mais globalement la tendance s’est radicalement inversée. Aujourd’hui on met la victime au centre des débats. Cela semble légitime, et j’en suis persuadé. Cela comporte pourtant certains biais. Le premier est la course à la victimisation, c’est-à-dire à la revendication du statut de victime. Car être victime n’est plus seulement un statut juridique temporaire, cela devient un statut social. Celui ou celle qui a subi malgré soi un préjudice est une personne que l’on ne conteste pas, que l’on protège, et qui en perçoit un bénéfice financier, culturel et affectif.
Un autre biais est que la personne qui s’annonce comme victime est crue a priori, généralement sans vérification. Dans les affaires pénales, le premier discours est celui de la victime qui pose sa version. Remettre en cause cette version est d’une part très difficile car l’humain est ainsi fait que c’est le premier son de cloche qui reste dans l’oreille, et d’autre part on a des scrupules à contester les choses; en effet si la personne est vraiment victime ce serait la rendre victime une seconde fois que de ne pas la croire.
Autre inconvénient du “tout victime”: l’émotion prime sur la rationalité. Quand une personne pleure on perd généralement son sens critique, par une sorte de compassion instinctive infondée voire parasite. Elle touche peut-être une blessure qui nous appartient et nous voilà impliqués dans son drame, alors même que nous n’avons aucune preuve de la réalité ou non des faits. Elle pourrait très bien ne faire part que d’une interprétation subjective des choses, sans réalité; elle pourrait être perturbée psychologiquement; elle pourrait inventer son statut de victime en toute bonne foi ou par malice. Nous n’en savons rien mais nous adhérons. Par exemple, quand un homme ou une femme se plaint de son conjoint, nous y croyons généralement et le/la soutenons sans avoir rien vu des faits reprochés et sans avoir la moindre idée de la part d’interprétation personnelle des choses.
Dans mon précédent billet j’analysais quelques extraits de pièces de l’affaire Khalid Naji. A première lecture, les propos de la plaignante et de son médecin semblent terribles. Sans recul on ne peut qu’en être horrifié. Mais quand on analyse avec recul, on doit bien relativiser les affirmations: une médecin qui n’est pas une experte et qui travaille pour l’association accusatrice valide les propos sans avoir vu les faits par elle-même, ce qui est un biais et une faute professionnelle. Elle suppose qu’il sont vrais puisque la plaignante présente des symptômes de traumatisme. Or on peut facilement tromper un médecin ou un psy, surtout quand il est déjà payé par ceux qui accusent. Mais le symptôme présenté n’est en aucun cas une preuve de la véracité des faits. Ce symptôme peut aussi être joué; il peut être la conséquence d’autre chose, la plaignante dérivant les vraies causes sur une fausse cible (par trouble psychique ou par malice). D’une manière générale la présumée victime est prise en charge par différents services d’Etat ou associatifs qui valident d’emblée son statut. Par exemple en Suisse la LAVI propose aide médicale ET financière avant même qu’une enquête ait été ouverte.
La victime ne présente aucune preuve alors qu’elle aurait eu la possibilité matérielle et le temps d’en préparer? Qu’à cela ne tienne, on la croit par présomption (ce qui dans ce cas devient synonyme de partialité et de préjugé). La manière dont elle se présente au procès ne correspond pas du tout à son comportement tel que des témoins proches l’ont vue à l’époque supposée des faits? Quelle importance: un procès est une mise en scène et les jurés ne voient que ce qu’on leur présente.
Tout devient bon pour valider l’accusation. Dans le cas de Khalid, une représentante de Solidarité Femme a été interrogée pendant le procès, citant des chiffres invraisemblables: elle affirme qu’en France 13 millions de femmes subissent la violence conjugale. 13 millions! Une femme sur deux! C’est une énormité, un mensonge délibéré, car à son poste elle doit connaître les vrais chiffres (1 à 3% des femmes soit moins d’un million, et 1 à 2 % des hommes, et encore faut-il préciser quelle sorte de violence). Peu importe la vérité, l’émotion sur le jury prime, même si ce genre d’information n’a rien à voir avec l’affaire. Cela charge la barque et la fait pencher non pas vers l’analyse des preuves - inexistantes - mais vers la validation d’une présomption de culpabilité.
Alors, soutenir les vraies victimes, oui. Mais garder la capacité d’analyse, ne pas adhérer sans éléments concrets suffisants. Dans l’affaire de Khalid, les pièces que j’ai vues, les contradictions, les abus du rapport médical et tous les témoins proches du couple qui s’expriment sur son site de soutien démontrent que l’acquittement était la seule voie raisonnable, et sans bénéfice du doute.
Prudence, prudence: la posture de victime engendre souvent chez ceux qui l’écoutent une loyauté parasite.
Commentaires
pas d'accord avec toi hommelibre. je n'aime pas beaucoup ce que tu écris là.
une victime n'est pas crue sans aucune preuve. c'est faux, elle doit au contraire apporter la preuve de ce qu'elle avance...ceci en partie dû à la présomption d'innocence dont bénéficie l'accusé et qui est très présente (en tout cas en Suisse)
Les larmes des victimes n'émeuvent pas plus les juges que les larmes des accusés (et oui elles sont souvent aussi nombreuses avec les "mais je vous jure que j'ai rien fait").
Donc, non pas d'accord, tu n'es pas objectif sur ce coup la hommelibre ou alors vu que tu écris très bien en ce qui concerne les fausses accusations, écris avec autant de verve et de talent sur les coupables innocentés à tort...alors là ton objectivité me touchera
@ vali: à moi de ne pas être d'accord.
Côté public, la personne qui s'annonce en victime a presque automatiquement la sympathie, même sans vérification. Qui vérifie quand quelqu'un lui parle de ses malheurs? L'empathie fonctionne en premier, et de plus vérifier serait comme douter, ce qui serait déloyal à la souffrance exprimée.
Côté justice, cela dépend des cas. En matière civile, la victime doit en effet apporter des preuves matérielles indubitables sans quoi elle n'obtient pas gain de cause. En matière pénale, c'est très différent. Pour un assassinat en principe il faut des preuves fermes (on n'en est plus à l'affaire Dominici heureusement). En matière de moeurs c'est beaucoup plus laxiste.
La LAVI par exemple valide d'emblée le statut de victime, sans enquête. Les psy idem dans de nombreux cas. Et la justice, n'en parlons pas... je sais de quoi je parle. La présomption d'innocence est un doux rêve quand un homme est accusé par une femme. L'inversion de la charge de la preuve est devenue monnaie courante. Les condamnation parole contre parole, ou sur de simples présomptions, sont fréquentes.
Sur les coupables innocentés à tort, j'écrirais bien volontiers car la justice doit être une. Mais difficile de démontrer la chose. Si tu as un cas, j'en parle volontiers.
afin de rétablir un certain équilibre dans vos propos, voici un petit lien concernant une affaire de tentative de viol qui s'est déroulée à genève en 2002, http://articles.alambic.ch/lemilie/index.php?page=viol-collectif.html, et qui remet sérieusement en cause vos théories selon lesquelles le statut de victime est un acquis d'office.
Je vous renverrais aussi à certains commentaires que l'on peut lire sur les différents articles de votre blog concernant ce sujet et qui rappellent systématiquement qu'une jeune fille qui porte un string devrait savoir à quoi s'attendre. Bizzarement on ne fait évidemment pas la même constatation pour tous les jeunes skateurs qui aiment à montrer leurs caleçons en portant des jeans qui leurs retombent sous les fesses... On imaginerait en effet assez mal les voir se faire toucher de toute part par des hordes de femelles en rut. Dit-on par ailleurs à un garçon arborant fièrement un t-shirt et jeans moulant de "ne pas jouer avec le feu" comme on me l'a si souvent répété dans ma jeunesse quand j'aimais à sortir en jupe? Si aujourd'hui on accorde plus facilement le statut de victime aux femmes, et malheureusement parfois de manière abusive, il reste que vous ne tenez que trop rarement compte que le mythe d'Eve, de la femme tentatrice poussant le mâle au pêché, n'a pas disparu de notre imaginaire social. Si je comprends quelque part, en raison du passé auquel vous semblez avoir été confronté, votre penchant à n'observer la réalité que selon certaines de ses facettes, je trouve quelque peu malsain cette attitude qui aboutit au final, en tentant de faire contre-poids, à tomber dans la victimisation masculine en adoptant une focalisation très partiale.
@ audrey: merci pour votre contribution. J'ai lu attentivement l'article dont vous proposez le lien. Je ne suis pas plus que vous convaincu de la décision de la Cour de cassation dans ce cas. Il y aurait toutefois beaucoup à dire sur la théorisation qui est faite dans cet article, sur la notion de domination masculine, sur les stéréotypes concernant les hommes comme les femmes.
Pas plus que vous je ne suis fan du mythe d'Eve. D'ailleurs j'oppose à cette vision de la femme qui pousserait au péché, la lâcheté d'Adam qui n'assume pas son acte, et je pense - si l'on va dans ce sens - que la punition est bien plus causée par la lâcheté d'Adam que par le comportement d'Eve.
Je constate depuis ce que j'ai vécu combien pourtant la parole de la femme est acceptée sans discussion dans la plupart des cas. Je vois le nombre important de fausses accusations contre des hommes, et même quand ils bénéficient d'un non-lieu ou d'un acquittement, et qu'ils déposent plainte à leur tour, l'accusatrice est généralement mise au bénéfice d'une absence de malice, ou d'un trouble psychologique. Ce n'est pas une victimisation, c'est un constat maintes fois répété. On dit qu'elle n'avaient pas l'intention de nuire, qu'elles ont mal interprété, etc. Parallèle troublant avec l'affaire que vous citez.
Alors, si je vous concède défendre la cause des hommes, c'est une nécessité. Par ailleurs je défends aussi les femmes contre les injustices, j'en ai déjà fait des billets, car l'injustice n'a en elle-même pas de sexe.
Sur le discours contenu dans l'article, il faudrait un autre billet pour l'analyser. J'y reviendrai à coup sûr, et j'espère que vous porterez la contradiction dans le débat.
Merci pour la mesure que vous avez mise dans votre commentaire, signe de respect que j'apprécie sincèrement.
@ audrey encore: concernant l'article en question, j'ajoute que sa focalisation est tout sauf objective et très idéologiquement partiale. Faire d'une juxtaposition de cas une systématique du comportement masculin est pour le moins abusif.Que des femmes soient violentées et souffrent à cause de certains hommes ne permet pas de conclure à une généralisation de principe sur l'ensemble du genre masculin. Cette façon de penser rejoint les systématisations anti-juives, anti-franc-maçons, anti-étrangers, etc.
Pour ma part je ne fais pas de systématisation idéologique du comportement féminin. La domination, n'en déplaise à l'icône Bourdieu qui n'a pas encore été assez critiqué dans ses référents fondamentaux, n'a pas de sexe. Par contre, concernant les fausses accusations contre les hommes, je suis convaincu que l'on est devant un système qui circule entre associations radicales-féministes. Les plaintes, les comportements, les mots employés d'une plainte à l'autre présentent des similarités trop troublantes pour que ce soit le fruit du hasard. En général je me trompe assez peu dans mes intuitions. Et j'espère qu'un jour je pourrais en faire la preuve.
Quand une femme accuse un homme et que tous les éléments de sa plainte ressortissent justement du discours idéologique, posant les supposés actes et montrant des attitudes qui sont des applications directes de ladite idéologie, quand des avocates formatent les plaintes de manière identique, quand des psy qui travaillent en collaboration avec certaines asso radicales-féministes reprennent à leur compte les propos des supposées victimes et en rajoutent, je pense que par une sorte de coïncidence il y a un discours et une intention qui circulent. Et je n'exclus pas que dans certains cas ce ne soit pas fortuit.
Le phénomène des fausses accusations a pris de l'importance; alimenté volontairement ou par caisse de résonance. Et nombre de décisions de justice sont des signes que les personnes qui accusent faussement ne risquent rien, prenant presque l'aspect d'un encouragement. Et je ne parle même pas de l'acharnement contre les hommes par un certain nombre de magistrats.
Dans le bruit de la pensée unique dominante, à savoir que l'homme serait un prédateur pour la femme, je crois nécessaire de parler avec insistance de l'autre face des choses. Alors on peut me mettre en cause sur une certaine partialité de ma part. Je peux entendre cette mise en cause, et je ne m'y dérobe pas. Jai démontré à certaines reprises sur mon blog que je peux aussi mettre en cause un certains nombre d'attitudes masculines (voir par exemple: http://hommelibre.blog.tdg.ch/archive/2008/10/01/dogma-3-la-folie-masculine.html ). Mais je peux en dire autant des auteures de l'article en question: la partialité y est érigée en dogme de la supposée domination masculine.
Je reste ouvert à la controverse, et comme vous le voyez je n'ai pas de position anti-femme, pas d'idéologie ou de théorisation contre les femmes. Les femmes sont pour moi des amies et des partenaires. Et je pense que les femmes qui aident celles d'entre elles qui ont été vraiment agressées font un boulot utile. Mais devant le volume des positions anti-hommes que l'on peut trouver un peu partout, une légère partialité de ma part ne peut être taxée de malsaine. Le contrepoids est vraiment nécessaire. Ou alors, si l'on estime que ma légère partialité est malsaine, comment qualifier le discours idéologique sur les hommes? A quand une étoile jaune pour les hommes?
Je pense et souhaite également que la justice en (re)vienne à la raison quand à l'analyse des dossiers de moeurs. Vu combien le sujet est délicat et propice à des réactions émotionnelles et des préjugés, elle doit se donner des protocoles beaucoup plus stricts, une rigueur intellectuelle sans faille, car actuellement il y a trop de dérives sur ce sujet.
après avoir passé trois-quart d'heures à rédiger un beau billet voici qu'une erreur de manipulation m'a fait refermer abruptement l'onglet de mon commentaire :-).
En substance je partage d'une certaine manière votre inconfort face au terme de domination masculine qui porte en lui trop de charges idéologiques pour ne pas être mal interprété. Personnellement, je lui préfère celui de système patriarcal qui permet d'atténuer le versant de mise en accusation du sexe masculin dans son entier que porte trop souvent le concept de domination masculine. Dire que nous vivons dans un système patriarcal ce n'est ainsi pas dire que les hommes sont des salauds, de même que cela n'équivaut pas à engager leur complicité immédiate au système, c'est reconnaître que nous vivons, êtres de sexe masculin et féminin, dans une société qui porte des codes et des structures encore largement définies au masculin. En ce sens analyser les violences sexuelles sous l'angle de la domination masculine, ou mieux du patriarcalisme, ce n'est pas faire de chacun être humain de sexe masculin un violeur potentiel, ni de chaque femme une oie blanche, mais rendre compte d'un phénomène social qui repose encore trop largement sur la question du mythe d'Eve. Le passage à l'acte de viol reste figure d'exception, mais dans les discussions des tribunaux jusqu'à celles du café du commerce qui reconnaîtront que porter un string c'était mettre le feu aux poudres, l'image de la femme tentatrice perdure tout de même. De même, et c'est en ce sens que l'on peut véritablement le qualifier de "système", le système patriarcal s'impose également aux hommes lorsqu'on peine à reconnaître par exemple leur droit à la garde des enfants après le divorce. Il ne s'agit donc pas de pointer du doigt un groupe sexuel, ce qui serait un contre-sens puisqu'on tendrait alors à biologiser le débat, mais de rendre compte d'un cadre social dans lequel nous évoluons tous.
Une autre critique que j'aurais voulu ajouter est la façon dont vous usez vous-même de systématisation dans votre critique du féminisme radical. Chose à la fois souhaitable et regrettable, le féminisme, comme tout autre courant de pensée, n'est de loin pas une AOC. En ce sens, faire des féministes-radicales un groupe homogène est un contre-sens total. Si les féministes radicales se dinstinguent par l'idée que l'égalité des droits seule ne suffit pas mais qu'il faut bien plutôt procéder à une véritable remise en question des représentations et rapports de genre, vous trouverez sous l'étiquette du féminisme radical une multitude de groupements aux opinions parfois totalement divergentes. Ainsi les féministes dites gynocentristes que l'on regroupe sous l'aile radicale croient en l'existence de différences dans les caractéristiques individuelles qui seraient intrinsèques au sexe, ce qui entre bien entendu en contradiction avec la vision d'une multitude de féministes radicales qui visent bien plutôt à abolir les constructions sociales qui se sont opérées autour des différences biologiques. Le féminisme, radical ou non, est donc bien un mouvement pour lequel la qualification d'hétérogène ressemble pour le moins à un euphémisme.
Rappelez vous également que les opinions les plus médiatisées ne sont pas forcément celles qui sont les plus partagées mais bien celles qui peuvent faire du sensationnalisme. En ce sens, en tirant toujours sur les "féministes-radicales", vous agissez quelque peu de la même manière que les anti anti-racistes qui se font un plaisir de mettre en exergue l'existence de groupements black-power qui visent à la suprématie de la "race" noire et vous contribuez au cliché tellement répandu de la féministe qui serait aigrie pour ne pas dire pire. A mon sens, on peut être féministe radicale, militer pour une déconstruction des codes sociaux entourant le masculin et le féminin, et ne pas forcément entrer dans une guerre des sexes. Ainsi, puisque c'est un débat actuel, on peut militer pour l'octroi du congé paternité non pas parce que cela permettrait d'aider la femme, mais parce qu'il n'y a fondamentalement aucune raison pour qu'un homme ait moins de droits qu'une femme face à la venue d'un enfant, surtout à l'heure des biberons et du lait maternel en poudre. En ce sens, le féminisme radical, en adoptant un point de vue critique sur les normes de genre, peut aussi se battre dans des mesures qui favorisent les hommes, en démystifiant dans ce cas la figure de la mère. L'égalité ne doit effectivement pas être à deux vitesses.
Encore une fois je comprends votre volonté de faire contre-poids, et j'aime à savoir (cf. votre billet sur la folie des hommes) que vous n'adhérez pas aux propos d'un Soral ou d'un Zemmour. Néanmoins vous finissez, en filtrant tout de même l'actualité selon un certain parti pris, par adopter d'une certaine manière le comportement même que vous décriez. En tant que féministe (qui est disons le tout de même toujours un gros mot dans la bouche d'une jeune fille sous nos latitudes) je peux autant tenir un stand concernant la violence faite aux femmes que décriez le fait que dans notre beau pays seuls les hommes sont obligés de rendre service à la patrie une fois arrivé leur majorité, ce qui constitue une inégalité flagrante qui aurait déjà dû être changée en 1971 si l'on considère qu'historiquement la notion de service à la patrie fonctionne en corollaire du droit de vote. Je compare ici les choux aux carottes, mais tout ceci pour dire qu'il me semblerait aujourd'hui beaucoup plus profitable de se donner véritablement les moyens d'arriver à l'égalité, pas en constituant des groupes ou blog de résistances face aux dérives de l'autre sexe, mais bien en intégrant d'une manière systématique un point de vue humain, neutre sexuellement.
En espérant avoir pu faire évoluer votre point de vue sur une certaine part du féminisme radical, qui comporte certes ses dérives et ses usurpateurs, mais n'en reste pas moins de mon avis un formidable idéal révolutionnaire pour le genre humain dans son entier.
@ audrey: merci pour ce texte très clair et mesuré. Franchement, très différent de ce que je rencontre souvent chez celles que je nomme - peut-être de façon impropre - les féministes radicales. Avec vous il y a dialogue et prise en compte de l'autre. Il n'y a pas de crispation, et j'apprécie cela au combien plus que la simple lutte des opposés. Et j'aurai certainement beaucoup d'intérêt à échanger longuement avec vous.
Je reviens alors sur ce que je mets dans l'expression "féministes radicales": pour moi ce sont les féministes, de quelque mouvance, qui entretiennent la guerre des sexes, qui font porter aux hommes - sous prétexte de patriarcat - une culpabilité de principe, qui parlent des hommes comme de prédateurs de femmes. Je crois que j'ai une meilleure opinion des femmes qu'elles, je ne les vois pas comme subissantes de l'homme depuis la nuit des temps, et je ne crois pas que le système patriarcal avait pour but de simplement dominer les femmes.
Je reprends une partie de commentaire que j'ai fait sur un autre billet: ( http://hommelibre.blog.tdg.ch/archive/2009/02/01/les-femmes-ces-etres-inferieurs.html )
"Le patriarcat n'est pas en soi un système de domination mais une répartition des rôles, et qui a dû avoir son sens pour que les femmes (pas toutes idiotes, pas toutes aliénées, pas toutes terrorisées par leur monstre de mari) le perpétuent dans l'éducation des garçons. La grille de lecture des rapports de domination ne se superpose pas spécifiquement au patriarcat, mais d'une part aux classes dirigeantes de toutes époques, et à des individus particuliers - hommes ou femmes - qui ont cela par construction sociale, par configuration neurologique, ou autre. Les femmes dominatrices sont nombreuses et ont toujours existé. La répartition politique des rôle n'est pas en elle-même une preuve de domination.
Dans les société rurales, dans de nombreuses époques depuis les Germains, les Celtes, le moyen-âge, les femmes avaient de nombreux droits égaux aux hommes, y compris politiques. Dans les campagnes des société agricoles, la place de la femme était fondamentale pour non seulement tenir une maison (ce qui à l'époque et dans ces milieux était fichtrement autre chose que de faire le ménage), dans l'élevage des animaux de basse-cour, dans l'aide aux travaux des champs. La femme était essentielle pour la survie d'une famille, à tous points de vue.
Même dans ce 19e siècle napoléonien, les femmes sont montées aux barricades, ont été travailler, ont tenu leur familles seules à cause du grand nombre de maris tués dans les guerres ou dans les mines. Bref, tout le contraire de l'image d'une femme opprimée, victime, etc.
Qu'il y ait eu des dérives et des excès de pouvoir dans le patriarcat, c'est évident. Comme il y en a actuellement dans le féminisme, lors de régences féminines, et en particulier actuellement dans cette volonté de contrôler la sexualité masculine par une judiciarisation déraisonnable. Marcela Iacub analyse très bien cela.
Quand des enquêtes faites dans divers centres médicaux aux USA, où des tests adn ont été faits pour des raisons médicales, et que ces enquêtes montrent qu'entre 5% et 15% des hommes ne sont pas les pères biologiques de leurs enfants et ne le savent pas, on peut se demander qui a le pouvoir réel.
Je ne suis pas d'accord avec la systématique de l'analyse du patriarcat, avec sa superposition aux hommes et à la grille de lecture de domination. La réalité est bien plus complexe. Cette analyse d'origine marxiste ne me paraît pas de nature à englober l'ensemble de la problématique. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je suis bien éloigné du marxisme.
De plus je pense que l'instinct de domination a une part de construction sociale, mais je ne partage pas l'analyse des études de genre féministes selon lesquelles les genres ne seraient QUE de la construction sociale. Le schéma d'analyse est trop réducteur pour moi, et trop orienté pour être objectif. De même je m'inscris en faux contre l'idée que la domination n'est qu'une construction et qu'elle est fondamentalement masculine."
Je suis honnêtement mal à l'aise avec la grille de lecture de la seule construction sociale. J'aimerais trouver une grille plus large, un dénominateur capable de contenir la multiplicité des aspects. Par contre je suis entièrement convaincu de l'importance de l'égalité en droits, en valeurs, devant la loi, et de l'utilité de l'échange à niveau égal entre hommes et femmes.
Oui en effet, votre mot me suggère de trouver une autre manière de définir ce que je conteste dans le féminisme. Je ne sais pas encore lequel, je vais laisser tourner les idées.
Dans mon combat - qui certes peut se crisper parfois du fait de ce que je vois comme il peut se crisper aussi pour les femmes qui aident les victimes de viols - je dois encore insister sur les aspects sexistes anti-hommes de certaines pratiques. Mener ce même combat sans y mettre une part de charge est prendre le risque de ne pas être entendu. Il est devenu aussi difficile pour un homme de se faire entendre par exemple en justice qu'il l'était autrefois pour une femme. Je préférerais de loin avoir un débat et une recherche d'espaces de pensées communs comme nous le faisons ici, mais tout le monde ne perçoit pas les choses comme vous.
Je vais laisser poser un peu mes idées et j'y reviendrai, et vous aussi j'espère car j'apprécie votre manière dépassionnée de poser le débat.
Bien à vous.
Je suis quelque peu mitigée quant à votre affirmation que le patriarcat n'est pas un système de domination en soit, mais de répartition des rôles. Je vous rejoins sur l'idée de la primauté de la répartition des rôles, ce que je suggérais également lorsque je disais qu'il s'impose également aussi aux hommes, les posant de nombreuses fois dans des situations loin d'être faciles, en témoigne la détresse de nombreux jeunes marocains par exemple, honte de leur famille car ne pouvant se marier, faute d'avoir un travail et ainsi pouvoir assumer la charge de leur famille. Il n'est donc pas question dans ce sens de vouloir trouver une victime et un favorisé. Néanmoins à l'idée même de répartition des rôles, de caractéristiques différentes, s'est toujours couplé une forme de hiérarchisation de ces rôles et caractéristiques, glorifiant parfois l'activité des femmes, comme celle d'être mère, tout comme on a pu avoir un mythe du "bon sauvage", mais perpétuant l'image que les femmes étaient dans le donné, dans l'inné, alors même que le rôle des hommes se trouvait dans la transcendance.
L'histoire montre effectivement des mouvements d'avancées et de régression. Là où l'on nous montre le Moyen-Age comme la période obscurantiste par défaut il est vrai que les femmes disposaient encore de plus de droits au niveau politique que sous les Lumières. Encore faudrait-il nuancer selon les régions et les époques, comme en témoigne la chasse aux sorcières de la fin du 15e siècle. Concernant la question du travail extérieur des femmes au 19e siècle il faudrait également relativiser cette possibilité d'indépendance en montrant également tous les mécanismes qui visaient à placer les femmes systématiquement aux étapes les moins qualifiées de la production et à justifier de leur plus bas salaires par le fait qu'on ne considérait qu'elles n'étaient sensées rapporter qu'un salaire de réserve. On pourrait encore y rajouter le déferlement des discours misogynes sur les problèmes posés par "la travailleuse", émanant alors aussi bien des milieux bourgeois que du monde ouvrier. Certes les femmes travaillent, comme elles travaillaient d'ailleurs bien avant mais elles n'en sont pas moins "opprimées" ou discriminées si vous préférez et ce dans toutes les catégories sociales, empêchées pendant longtemps de participer aux mouvements syndicaux et cantonnées par les pouvoirs masculins aux tâches qui les arrangeaient. Dans tous ces événements il faut donc toujours voir le potentiel émancipateur, mais également le versant reproducteur de discriminations qui existaient bel et bien.
Je suis loin d'être une grande fan de Marcela Iacub, qui a également pour habitude, si j'en crois ma lecture de son ouvrage sur la révolution sexuelle, de ne reprendre que les propos très "radicaux" (pour reprendre votre terme) de certaines féministes pour déligitimer une idée dans son entier. On peut désapprouver l'existence de la prostitution, de la publicité dégradante, sans être une religeuse coincée ou une castratrice. Entre ces deux extrêmes il y a un monde que Mme Iacub et bien d'autres ne voient pas, par exemple l'idée que la "libération" sexuelle, lorsqu'elle consiste à afficher une certaine forme de sexualité partout, ne fait que nous conditionner à ce que nous devrions faire de notre sexualité. Aller donc y chercher la liberté... A mon sens la démarche de Marcela Iacub est souvent la même que celle des féministes qu'elle critique, une forme de terrorisme de la pensée qui stigmatise l'opinion de l'autre en montrant que celle-ci ne peut émaner que de cul-béni ou d'aigries. Toujours faire attention aux dérives, même s'il est difficile de se montrer irréprochable. Vous relevez également que le fait que la gestation soit effectuée par les femmes est une forme de pouvoir, c'est en partie vrai, mais il faudrait également rajouter tous les cas où des pères laissent des femmes enceintes en s'en lavant les mains, sans parler des normes prévalant dans d'autres sociétés ou d'autres périodes historiques qui en ont fait pendant longtemps plutôt une malédiction. Une idée pour un post pour vous, et dont je m'étonne qu'elle ne soit pas plus souvent revendiquée par les milieux "masculinistes" est le développement de la contraception masculine. Sur internet on trouve pas mal de documentation médicale, qui montre certes que la contraception hormonale masculine reste assez compliquée, mais qu'elle souffre également d'un manque de demande et donc d'investissements pour accélérer la recherche. Je suis convaincue comme vous que la procréation ne doit jamais être un argument de chantage, et je me hérisse toujours lorsque j'entends qu'untel va devenir papa contre son gré, parfois piégé alors qu'il était assuré que sa compagne était sous pilule. Voilà un beau projet pour les revendications masculines, non pas vilipender les actions inhumaines de certaines femmes, mais faire de la contraception l'affaire de tous. Quelque part on ne peut pas se battre contre les fonctions que la biologie nous a donné, à nous par contre de faire le maximum pour que cette disymétrie n'ait plus de conséquences sociales.
Concernant la question du genre, à savoir par définition le processus de construction sociale des différences entre hommes et femmes et leur hiérarchisation, j'ai peine à voir ce que pourrait être le féminin et le masculin sans construction sociale. Les études genre (à ne pas confondre avec les études dites féministes même si on peut travailler sur le genre et être féministes) ne contestent pas l'idée qu'il y ait des différences biologiques entre hommes et femmes, elles ne remettent pas en cause les différences de sexe, mais bien les constructions qui s'opèrent autour de cette différence pour produire des identités sexués, à savoir des identités féminines et masculines. Et là je vous propose de me dire ce qui pourrait être, autre que socialement, féminin ou masculin. Vous verrez de suite que l'exercice est plus que périlleux, surtout si on le déconnecte de nos représentations occidentales de la féminité et de la masculinité. Le débat sur la prépondérance de la biologie ou du social ne sera à mon avis jamais terminé, tout ce qu'on sait c'est que sans les fondamentaux biologiques les êtres humains ne pourront jamais acquérir certaines capacités sociales, mais de même sans aucun environnement social on en arrive à des êtres "sauvages", sans aucune possibilité d'analyser "normalement" le monde social. Même si ceci s'éloigne quelque peu de notre propos initial il existe un documentaire très intéressant basé sur l'histoire d'un véritable "enfant sauvage" qui s'intitule il me semble l'enfant sauvage de l'Aveyron et qui montre comment cet enfant, exclu depuis sa plus tendre enfance de tout contexte social, était aussi étranger à l'interaction avec les autres humains que ne le serait un babouin, façon de parler évidemment, je n'ai rien contre les babouins. J'avais également entendu parler d'études réalisées par des psychologues et qui montraient comment les bébés auxquels on n'accordait aucune attention émotionnelle, même en étant parfaitement nourris, dépérissaient à vue d'oeil. Les relations sociales que l'on entretient sont donc fondamentales dans notre développement, pourquoi ne pas croire que les identités de genre ne pourraient fonctionner sur le même principe? D'une manière générale on ne peut que très difficilement isoler le biologique du social, sans compter toutes les dérives sociales issues des milieux scientifiques qui ont voulu chercher à prouver la différenciation biologique. C'est peut dire qu'entre social et biologique c'est à y perdre son latin!
Le débat reste ouvert. Pour ma part je rêve d'un monde où la science se passionnerait cette fois sur les ressemblances, entre les ethnies, entre les sexes. Encore une idée de réflexion philosophique sur le caractère inné ou acquis de l'humain à chercher d'abord les différences avant les ressemblances!
Très bon début de semaine à vous
après avoir passé trois-quart d'heures à rédiger un beau billet voici qu'une erreur de manipulation m'a fait refermer abruptement l'onglet de mon commentaire :-).
En substance je partage d'une certaine manière votre inconfort face au terme de domination masculine qui porte en lui trop de charges idéologiques pour ne pas être mal interprété. Personnellement, je lui préfère celui de système patriarcal qui permet d'atténuer le versant de mise en accusation du sexe masculin dans son entier que porte trop souvent le concept de domination masculine. Dire que nous vivons dans un système patriarcal ce n'est ainsi pas dire que les hommes sont des salauds, de même que cela n'équivaut pas à engager leur complicité immédiate au système, c'est reconnaître que nous vivons, êtres de sexe masculin et féminin, dans une société qui porte des codes et des structures encore largement définies au masculin. En ce sens analyser les violences sexuelles sous l'angle de la domination masculine, ou mieux du patriarcalisme, ce n'est pas faire de chacun être humain de sexe masculin un violeur potentiel, ni de chaque femme une oie blanche, mais rendre compte d'un phénomène social qui repose encore trop largement sur la question du mythe d'Eve. Le passage à l'acte de viol reste figure d'exception, mais dans les discussions des tribunaux jusqu'à celles du café du commerce qui reconnaîtront que porter un string c'était mettre le feu aux poudres, l'image de la femme tentatrice perdure tout de même. De même, et c'est en ce sens que l'on peut véritablement le qualifier de "système", le système patriarcal s'impose également aux hommes lorsqu'on peine à reconnaître par exemple leur droit à la garde des enfants après le divorce. Il ne s'agit donc pas de pointer du doigt un groupe sexuel, ce qui serait un contre-sens puisqu'on tendrait alors à biologiser le débat, mais de rendre compte d'un cadre social dans lequel nous évoluons tous.
Une autre critique que j'aurais voulu ajouter est la façon dont vous usez vous-même de systématisation dans votre critique du féminisme radical. Chose à la fois souhaitable et regrettable, le féminisme, comme tout autre courant de pensée, n'est de loin pas une AOC. En ce sens, faire des féministes-radicales un groupe homogène est un contre-sens total. Si les féministes radicales se dinstinguent par l'idée que l'égalité des droits seule ne suffit pas mais qu'il faut bien plutôt procéder à une véritable remise en question des représentations et rapports de genre, vous trouverez sous l'étiquette du féminisme radical une multitude de groupements aux opinions parfois totalement divergentes. Ainsi les féministes dites gynocentristes que l'on regroupe sous l'aile radicale croient en l'existence de différences dans les caractéristiques individuelles qui seraient intrinsèques au sexe, ce qui entre bien entendu en contradiction avec la vision d'une multitude de féministes radicales qui visent bien plutôt à abolir les constructions sociales qui se sont opérées autour des différences biologiques. Le féminisme, radical ou non, est donc bien un mouvement pour lequel la qualification d'hétérogène ressemble pour le moins à un euphémisme.
Rappelez vous également que les opinions les plus médiatisées ne sont pas forcément celles qui sont les plus partagées mais bien celles qui peuvent faire du sensationnalisme. En ce sens, en tirant toujours sur les "féministes-radicales", vous agissez quelque peu de la même manière que les anti anti-racistes qui se font un plaisir de mettre en exergue l'existence de groupements black-power qui visent à la suprématie de la "race" noire et vous contribuez au cliché tellement répandu de la féministe qui serait aigrie pour ne pas dire pire. A mon sens, on peut être féministe radicale, militer pour une déconstruction des codes sociaux entourant le masculin et le féminin, et ne pas forcément entrer dans une guerre des sexes. Ainsi, puisque c'est un débat actuel, on peut militer pour l'octroi du congé paternité non pas parce que cela permettrait d'aider la femme, mais parce qu'il n'y a fondamentalement aucune raison pour qu'un homme ait moins de droits qu'une femme face à la venue d'un enfant, surtout à l'heure des biberons et du lait maternel en poudre. En ce sens, le féminisme radical, en adoptant un point de vue critique sur les normes de genre, peut aussi se battre dans des mesures qui favorisent les hommes, en démystifiant dans ce cas la figure de la mère. L'égalité ne doit effectivement pas être à deux vitesses.
Encore une fois je comprends votre volonté de faire contre-poids, et j'aime à savoir (cf. votre billet sur la folie des hommes) que vous n'adhérez pas aux propos d'un Soral ou d'un Zemmour. Néanmoins vous finissez, en filtrant tout de même l'actualité selon un certain parti pris, par adopter d'une certaine manière le comportement même que vous décriez. En tant que féministe (qui est disons le tout de même toujours un gros mot dans la bouche d'une jeune fille sous nos latitudes) je peux autant tenir un stand concernant la violence faite aux femmes que décriez le fait que dans notre beau pays seuls les hommes sont obligés de rendre service à la patrie une fois arrivé leur majorité, ce qui constitue une inégalité flagrante qui aurait déjà dû être changée en 1971 si l'on considère qu'historiquement la notion de service à la patrie fonctionne en corollaire du droit de vote. Je compare ici les choux aux carottes, mais tout ceci pour dire qu'il me semblerait aujourd'hui beaucoup plus profitable de se donner véritablement les moyens d'arriver à l'égalité, pas en constituant des groupes ou blog de résistances face aux dérives de l'autre sexe, mais bien en intégrant d'une manière systématique un point de vue humain, neutre sexuellement.
En espérant avoir pu faire évoluer votre point de vue sur une certaine part du féminisme radical, qui comporte certes ses dérives et ses usurpateurs, mais n'en reste pas moins de mon avis un formidable idéal révolutionnaire pour le genre humain dans son entier.
Bonsoir audrey, je ne vous oublie pas, je suis moins disponible aujourd'hui mais j'y reviens!
Bonsoir audrey,
Me revoilou! J'ai envie de commencer par la fin de votre commentaire: "Pour ma part je rêve d'un monde où la science se passionnerait cette fois sur les ressemblances, entre les ethnies, entre les sexes", car c'est aussi au fond ma préférence. Je me souviens d'un voyage en Afrique, au Nigéria, où j'ai passé plusieurs semaines dans un village perdu dans le bush, et où certains n'avaient jamais été à la ville ni rencontré de blancs. Une petite fille d'environ 4 ans avait un soir mis les sandales de sa mère, et marchait difficilement - ses petits pieds ne tenant évidemment pas. Mais elle montrait une fierté malicieuse et délicieuse. Et j'ai réalisé que les petites filles font aussi cela en Europe, et que ce même geste engendrait la même expression. Cela transcendait les cultures, et je découvrais l'universalité de certains mécanismes de base de l'identification, avant qu'une culture, ses codes et croyances ne pose une couleur et une interprétation sur notre existence.
Pourtant il me semble important aussi de considérer les différences, ceci dans le but de prendre en compte le fait que l'autre n'est pas soi; qu'il/elle est une terre à découvrir. C'est d'ailleurs souvent la difficulté et l'errance, voire de la désillusion de l'amour: après tout ce qui nous rapproche tant au début, les décalages et ajustements doivent trouver une place légitime, qui peut être l'accès à un espace d'amour plus grand ou au contraire le sentiment d'une perte irrémédiable. Le tout (si j'ose dire) est de ne pas faire de la différence un éloignement ou une mauvaise humeur, mais un intérêt, un pas de plus dans la connaissance. C'est un état d'esprit. J'ai commencé ce paragraphe en écrivant: "pourtant", signe que dans mon esprit l'espace entre ce qui rapproche et ce qui distingue est encore parfois posé en opposition, non en complément ou en prolongement.
Je reviens maintenant au début, et au patriarcat. Une chose me paraît parfois biaiser ce débat: nous observons l'histoire datant d'il y a des milliers d'années avec nos yeux d'aujourd'hui et toute notre évolution culturelle et conceptuelle. Ce n'est peut-être pas totalement approprié. Les humains étant une espèce animale simplement plus socialisée, ils portent en eux des atavismes fondamentaux liés à la survie de l'espèce, du clan, de la famille. Je suis toujours surpris de lire que la volonté de contrôler l'autre est un signe de la domination masculine et le début de la violence conjugale. J'en suis étonné car je connais beaucoup plus de femmes qui contrôle leur homme que l'inverse. Mais je conviens que la hiérarchisation s'est souvent faite dans un seul sens. Pour autant la place d'un homme "chef de famille" n'était pas un privilège, mais d'abord un engagement et un devoir. Dans le même sens que ce que vous dites pour les jeunes hommes marocains.
Je partage avec vous cette idée que le biologique et le social sont aujourd'hui étroitement imbriqués, et que la socialisation est une partie de la maturation de notre espère, ce qui n'est pas le cas dans toutes les espèces, du moins pas à un point aussi développé. Le développement du cortex y est sans doute pour quelque chose.
Il y a un aspect dans la différence physiologique entre les hommes et les femmes qui peut-être conditionne la construction sociale: c'est la sexualité. L'homme entre dans la femme, la femme reçoit l'homme en elle. Rien que ça, c'est énorme. Je ne vous dis pas mes angoisses d'adolescent... (:o). Non seulement la manière d'aborder est différente, mais le ressenti lui-même. A moins d'être doté d'une très forte empathie qui fait ressentir l'autre. Et là c'est génial. Mais la conséquence culturelle a été longtemps que c'est l'homme qui fait sa cour, qui va vers la femme (d'où cette façon dénigrante d'en faire un chasseur). Je précise que je parle des gens relativement "normaux", pas des cas pathologiques et des monstres, ni des hommes qui abandonnent leur femme enceinte... c'est-à-dire des gens capables de tenir compte de la différence. Cela dit, la différence physiologique, différence qui devient aussi de mouvement de l'être et de culture, ne doit pas instaurer de hiérarchie.
Pouf pouf je cale. Je vais laisser un moment, mais je reviendrai, aussi par rapport à l'attitude de marcela Iacub.
Je redis que j'apprécie d'échanger avec vous, pour votre mesure et pour laisser le dialogue ouvert, prêt à rebondir vers d'autres pistes.
A la suite!
Bien à vous.
Je rajoute une petite note ici: ne pas oublier de parler de l'amour et du désir comme de transgressions. J'y reviendrai.
un petit trait d'humour "subversif", quelque peu osé, mais puisque nous avons commencé à parler des organes sexuels différents je ne peux m'en empêcher. Vous dites que l'homme pénètre et que la femme reçoit en elle mais ne vous êtes vous jamais demandé à quel point cette façon de concevoir le rapport sexuel n'était pas elle-même une façon de "socialiser" la sexualité? Après tout, ne pourrait-on dire que la femme engloutit le sexe de l'homme et que l'homme se fait happer par la femme? Encore que ceci pourrait légitimer le mythe d'Eve, de la femme dévorante, preuve que toute conception culturelle d'un fait risque toujours de dévier sur des modes d'organisation sociale, ou le contraire, difficile de dire si l'oeuf fait la poule ou la poule fait l'oeuf. Ceci me fait d'ailleurs penser à un gag de Titeuf où celui-ci dort avec sa cousine et apprend que celle-ci a un "trou", angoissant alors sur le risque d'y tomber... Tout ceci pour dire que je crois que cette question pénétration-réception est elle même profondément culturelle, symbolique des discours de la conquérance masculine et de la vacuité féminine qui attend d'être remplie (ou séduite comme vous le faites remarquer), symbolique de la croyance en un spermatozoïde actif et un ovule passif, quelque part symbolique du besoin de projeter des formes d'activités sociales (conquérance, attente, rôle actif, rôle passif, etc.) sur nos organes sexuels et leurs composants. Nos organes sexuels sont différents, encore que jusqu'au 18e siècle on a cru qu'ils étaient similaires mais inversés. Le terme complémentaires serait lui à discuter si on tient compte du fait que l'organe le plus érogène féminin est laissé de côté par la simple pénétration, signe encore une fois que les mots qu'on applique aux choses sont à la fois porteurs de significations et performatifs. Je ne renie donc pas la différence, et pour en revenir au début de votre post je trouve également qu'elle devrait être enrichissante, mais force est de constater que si l'on établit une différence (comme celle des organes sexuels) on va systématiquement dévier sur des mises en mots de la différence, qui porte en eux des pouvoirs classificatoires et normatifs (pénétrant-receveuse) qui ont comme vous le souligniez des implications sociales. En voulant toujours définir catégoriquement et poser des mots sur la "réalité" on emprisonne je crois chacun des sexes dans un rôle qui lui serait propre et qui ne permet pas d'arriver à une véritable libération sexuelle.
J'apprécie également d'échanger avec vous après m'être, je l'avoue, énervée "passivement" (mon côté féminin certainement :-) ) derrière mon ordinateur pendant quelques semaines en parcourant votre blog. Je me réjouis de discourir avec vous de la question du désir et de l'amour comme de transgressions. Lorsque dans le dernier Construire magazine on nous dit que des biologistes ont pu identifier que l'amour était tellement hormonal qu'il pouvait même être modifié par la prise de pilule contraceptive je me dis qu'il y aura certainement beaucoup à dire sur le sujet. Espérons qu'un ami biologiste nous rejoigne sur nos débats, histoire de pimenter encore un peu l'exercice!
Bonjour audrey,
Je suis désolé (et un peu malicieusement content) de savoir que vous vous êtes énervée sur mon blog! (:o))... Si cela produit un échange intéressant et évolutif, cela en valait la peine, et je vous remercie d'y intervenir.
Je reviens sur la différenciation des organes sexuels et sur l'attitude supposée que cela entraîne. Je ne partage pas votre analyse sur ce point, mais elle me permet de préciser ma façon de voir, car je constate à vous lire que ce que j'ai écrit peut prêter à confusion. De l'importance d'être précis et d'oser redéfinir les choses quand on ne s'est pas compris afin d'éviter que des malentendus ne deviennent des positions raidies. De l'importance de communiquer.
Le mythe de la femme dévorante ne m'a, heureusement, jamais habité. Je craindrais plus l'emprise affective (venant de femmes ou d'hommes) que celui d'être "happé" et dépossédé de moi par la sexualité. Je ne vois pas les femmes comme des mantes religieuses!... (Si c'était le cas, j'apprendrais à me dégager très vite de ses bras pour ne pas finir en nourriture en boîte...). (:o).
Je ne veux pas dire qu'elle attend passivement d'être remplie. Je la ressens plus active que cela. D'abord, le choix d'accueillir un homme dans son lit est un choix actif. Je pense que l'homme peut ressentir cela. La femme n'attend pas, elle appelle. Par une attitude, un regard, et peut-être par ses hormones aussi. Et parfois par les mots. Chez nos cousins mammifère, la femelle sécrète des hormones et des odeurs qui attirent le mâle. La force de la femme serait même, à mon sens, qu'elle n'a pas besoin de bouger pour être active: l'homme ressent cet appel et vient. (Mais cette immobilité ne signifie pas pour moi qu'elle serait passive). Je ne suis donc pas dans le schéma donneur-receveuse, qui me paraît bien réducteur, et personnellement j'ai besoin de partage, mon plaisir même en dépend. Mais une fois l'appel enclenché, et même si l'on considérait la femme comme "dévoreuse", pour être dévoré et happé l'homme a du avancer physiquement vers elle, ne serait-ce que de quelques centimètres.
Certes cela ne suffirait pas à justifier une construction sociale des rôles, et cela surtout ne valide pas une image de la femme passive, image qui est à mon avis décalée de la réalité. Je suis issu d'une famille où les femmes ont été dominantes depuis le milieu du 19e siècle, où une arrière-arrière grand-mère à jeté son mari à vie après avoir créé son propre commerce.
Ma linéarité familiale ne m'a pas montré l'homme dominant la femme, même si ce discours s'est à un moment superposé à la réalité dans la bouche de ma mère. Mais elle a quand-même dû admettre qu'elle a choisi sa vie, choisi d'élever 6 enfants plutôt que de travailler, choisi un mari entreprenant (donc ni dominant ni soumis). Ma mère, on ne lui faisait pas faire ce qu'elle ne voulait pas, elle a voyagé seule en Europe à 20 ans, elle est très indépendante d'esprit. Je suis parfois étonné de voir comme le discours sur une femme soumise à la volonté de l'homme est en décalage avec la réalité.
Mais je suis d'accord avec vous qu'à vouloir trop définir on emprisonne, et j'y suis d'autant plus sensible que mon besoin de liberté intellectuelle est immense! Depuis l'adolescence je refuse d'être enfermé dans des images, images qui se collent d'elles-mêmes sans qu'on ait rien fait pour. On voit parfois ici sur les blog, et ailleurs dans la vie, que le fait de parler d'un thème nous vaut une étiquette, parler d'un autre thème vaut une autre étiquette. Ca m'est contraire. Quand je vois le génie de la complexité humaine, de la pensée, du langage, de tout, je me dis que c'est bien dommage d'en faire un univers à deux dimensions alors que nous avons à disposition un feu d'artifice.
C'est aussi pour cela que je n'aime en fait pas trop cataloguer les relations hommes-femmes, même si je le fais un peu parfois, dans des contextes précis comme le montrent certains de mes billets. De plus je n'ai à aucun moment l'impression d'avoir la vérité, ni que ma façon de penser est finie.
De plus il y a bien d'autres grilles de lecture que la différenciation physiologique ou sociale pour aborder les différences entre humains. Les caractères par exemple, et cela ne dépend pas du genre. Toutefois je me pose encore la question, sans avoir de réponse satisfaisante, sur la tradition qui voulait que l'homme fasse la cour à la femme, et que la femme décide après un temps. Cette construction sociale (car il me semble là que c'en est une) a-t-elle pour fonction de permettre à la femme de tester l'homme, dans ses qualité d'action, d'esprit, de futur père? Et si c'est le cas, pourquoi l'inverse n'est-il pas valorisé socialement?
Pourquoi cette dissymétrie? Ca c'est une question de longue date, la dissymétrie, et aucune grille de lecture ne me donne satisfaction à ce sujet.
Bon, je vois que je n'ai pas encore reparlé de Marcela Iacub et de ce que j'apprécie dans ses positions. A suivre, comme on dit dans les feuilletons... Sur l'amour et le désir comme transgression, j'y pense et j'y reviens - peut-être sous forme de commentaire ici et aussi comme un billet, car je trouve que c'est un thème en soi.
A bientôt.
J'ajoute encore que, en parlant de "l'immobilité active", je n'en fais pas un dogme et que ce concept ne saurait recouvrer la réalité de toutes les femmes. Ce qui m'intéresse entre autre dans le langage et la pensée, c'est d'arriver à une façon de poser les choses qui soit mobile, interactive, sans fixité ni définition une fois pour toutes . Mais une mobilité qui soit ancrée quand-même sur quelque chose, pas une simple instabilité.
Bonsoir audrey,
Voici une réflexion sur l'amour et la transgression. Je voulais en faire un nouveau billet, mais au final je n'en suis pas vraiment satisfait. J'espère votre regard critique.
Roméo et Juliette: transgression et liberté
Le désir, le plaisir et l’amour sont forces de transgression et de liberté. Il fut un temps, pas si éloigné, où les époux prenaient leur bain habillés afin de ne pas se dévoiler l’un à l’autre. Il fut un temps où les femmes italiennes portaient une chemise de nuit avec un trou à la hauteur du pubis où il était écrit: “Je ne le fais pas pour mon plaisir mais pour plaire à Dieu”.
Il fut un temps, un long temps, où la sexualité était un péché, un crime. Dans ce temps-là on faisait des enfants pour avoir des hommes, des hommes pour faire la guerre, et pour avoir des femmes, des femmes qui faisaient des enfants qui allaient à la guerre.
Il y eut des intermèdes, quelques siècles ça et là où le plaisir des corps était une fête, une liberté naturelle. Ces intermèdes étaient comme l’accalmie d’un ouragan: jamais longues, jamais sûres. La Bête de pouvoir rodait toujours. Et son pouvoir passait par le contrôle de la sexualité des hommes et des femmes. La Bête qui changeait de nom et de forme au gré de ses besoins: tantôt elle arborait un crucifix sur sa veste, tantôt un insigne politique, d’autres fois encore le visage angélique d’une pureté doctrinale plus meurtrière que des fusils.
Puis vint un temps, vers les années 1970, où le plaisir fut revendiqué comme un acte politique, où la sexualité devenait une révolution culturelle. Le plaisir des corps était reconnu comme le lieu ultime et primordial où le pouvoir n’avait aucune prise sur l’individu. L’extase était le flambeau de la liberté, faire l’amour une insoumission aux censeurs et autres Robespierres de la morale du péché. La morale du péché n’avait servi que les dirigeants, qui eux-mêmes n’en avaient rien à faire. La morale pour les opprimés, le plaisir pour les chefs. Et aujourd’hui, la Bête tente de reprendre son pouvoir sur la sexualité, par la criminalisation du désir et de son accomplissement.
Mais en-deçà du politique, le désir et l’amour ont toujours été une transgression. Le désir pousse à sortir de l’ornière des convenances. Roméo et Juliette ont, parmi d’autres, illustré cette transgression des normes sociales et culturelles. Il y a un moment où le désir transcende les rôles sociaux, les classes, les cloisonnements imposés. L’enfant qui naît du désir ne s’encombre pas des clivages que la Société du Pouvoir a engendrés.
Le désir passe une limite décisive: celle qui sépare un être d’un autre, un homme d’une femme. Il pousse à se toucher, à se coller, réduisant l’espace commun du respect habituel à plus rien, mais ouvrant un autre respect: celui de nos appels intérieurs les plus profonds, et les plus partagés. Le plaisir franchit une étape de plus: les corps se pénètrent, les langues se dé-lient de leurs gorges enfermées pour courir sur la plaine de l’Autre, les bouches font communiquer deux espaces normalement intouchables. Les sexes réalisent l’inimaginable: abolir toutes les frontières, toutes les limites, transgression vitale, essentielle, qui donne enfin accès à une liberté incomparable.
La transgression est à refaire tous les jours, la liberté à reprendre: rencontrer l’autre au-delà de toutes frontières.