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Delphine, Romane & Elsa (partie 8)

Suite de l'épisode précédent (voir ici).

La lumière est descendue. Elles ne semblent pas me reconnaître. J’ajoute pour les rassurer:

- Je suis Paul, d’Oppedette.

- Ah! Bonsoir, dit la plus grande.

ruelle1-gisaline.jpgEt quand j’arrive près d’elles:

- Moi c’est Delphine.

Cheveux long droits, mèches blondes qui tombent sur ses yeux, et un débardeur qui dévoile sa peau lisse comme la soie.

- Bonsoir.

Delphine est le genre de femme qui rentre dans l’oeil et peine à en ressortir. Jamais sûr de savoir si elle est attirante ou non, et pourtant l’oeil y revient souvent, l’air de rien. Parce que d’emblée avec elle la question de l’attraction est au premier plan. Le sait-elle? À part écrire, étant actuellement célibataire, je suis disponible à des échanges intellectuels, et plus si affinités! Intellectuels oui, mais Delphine m’inspire d’emblée autre chose. Quelque chose de plus, disons, quelque chose qui bouge dans le ventre. Je n’ai pas dit: bas-ventre. Non, ventre, pour différencier ce ressenti du reste de mon corps: il ne vient pas du coeur, il ne bouge pas mes neurones.

- Vous avez un moment?

Elle ne se presse pas de répondre. Elle laisse un moment, regarde ailleurs, tourne la tête, esquisse un sourire aussitôt effacé, entr’ouvre les lèvres, sourit encore, me regarde, tente de chasser une manne qui grimpe sur son épaule.

- Attendez.

La manne ne s’est pas envolée. Elle marche encore et monte vers la base du cou. Je pose ma main devant ses antennes. L’éphémère escalade mes doigts. Je laisse ma main sur sa peau et regarde l’insecte, puis je regarde sa peau un peu mate sous la lumière naissante de l’éclairage de rue. Le contact est intense, électrique, doux et lisse. Une peau pour se promener, glisser, revenir, tourner selon le paysage. Une peau pour passer du temps. J’enlève ma main et lui présente l’éphémère. Elle se penche un peu, son débardeur s’écarte. Je ne peux empêcher mon regard de se porter vers sa poitrine légèrement dévoilée. Très vite je reviens à son regard. Le regard d’une femme est un passage obligé si l’on ambitionne que ses vêtement puissent éventuellement tomber.

- C’est une manne. Un éphémère. Regardez ses gros yeux.

- Ça doit être impressionnant en tête-à-tête, dit Delphine en riant.

- Impressionnant et très tranquille. Il a une bouche si petite qu’elle ne sert à rien. Ni à manger ni à parler.

Elle souffle sur l’insecte en même temps que moi et quand il s’envole, nos visages sont très proches. Un bref regard au fond des yeux, que j’interromps rapidement. Ce n’est pas le moment de m’oublier. Je recule et me tourne vers son amie.
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- Vous êtes Romane, je présume?

- Comment savez-vous mon nom?

- Je l’ai entendu sous me fenêtres cet l’après-midi...

Je prends sa main et la porte à mes lèvres. Je pressens le regard de Delphine qui s’assombrit.

- Princesse, m’accordez-vous ce baise-main?

- Faites mon cher, faites comme bon vous semble. Ma main vous appartient le temps de ce baiser, lui-même si éphémère.

Elle force un peu sa voix et secoue ses cheveux foncés mais l’intonation est moins posée qu’elle ne veut le montrer, et plus riche en vulnérabilité. Les yeux de Romane sont d’eau. S’ils étaient une rivière ils seraient un fleuve: le Nil. Sur son visage un peu pâle je devine un animal, un animal sauvage. Je prolonge le baise-main, et quand enfin je finis je précise que l’éphémère est parfois plus intense qu’une longue poésie. Elle semble apprécier.

- Où est Elsa?

- Elle est restée à la maison.

- Où logez-vous?

Delphine fait un geste évasif sans rien dire d’autre. Je comprends que je dois m’en contenter. Je leur explique le jeu des poèmes d’amour sur la terrasse des Voyageurs. Je leur propose de venir terminer la soirée avec la bande de poètes imporvisés. Delphine n’a pas envie et comme elles sont dans la même voiture, Romane refuse aussi.

- Mais on peut se voir demain si vous le voulez, dit Delphine. Je vais me tremper le matin dans la retenue d’eau au début des gorges d’Oppedette.

Je suis d’accord et nous convenons de nous retrouver à neuf heures. Après les au revoir elle descendent la rue Meffre et je les vois prendre l’avenue Pierre de Courtois. J’entends les portières qui claquent, le moteur que l’on allume et la voiture qui se met en route. Elle suit d’abord le chemin de la Grange qui rejoint la départementale, et je ne peux dire ensuite si elle prennent la direction de Saumane ou de Saint-Etienne-les-Ongles.

La nuit est maintenant presque complète.



PS: Banon n’est pas en Libye. En Libye il y a Max, l’otage suisse retenu depuis 22 mois.

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