"Les ravagés". De Henri Michaux (extraits). Henri Michaux, poète aux ombres fastueuses, dévoré par les mots.
"Renversé, lézardé, morcelé, toute appartenance humaine oubliée, c’est seulement comme un sol que celui-ci maintenant se perçoit, sol indéfiniment déchiqueté, aux croulantes mottes anonymes, dressées-déjetées, qui n’est même plus un terrain, mais les vagues d’une mer démontée, d’une mer de terre en désordre, qui jamais plus ne se reposera.
Sous cette forme informe, qui le prive de lui, il survit, empêché de se reprendre. Incessant écroulement. Fragments indéfiniment; fragments, failles, fissures.
Épave oblique
...
Sur une plaine liquide d’une vaste étendue, dans une pirogue, colossale, pondéreuse, protestante, venue du Nord, il se tient raide et seul, seul comme on peut l’être lorsqu’on n’est pas dans la voie du salut, lorsque dans la zone noire, on a forcé le passage interdit. Autour, l’eau: absolument tranquille, ni animée ni aimée, une eau lourde.
Sur ce plan horizontal où pénible est la progression, comme s’il se trouvait sur une pente à remonter, l’homme se retrait, ermite d’ “Absolu”, ne montre que son dos, droit comme un mur.
Le sérieux de l’Idée unique l’habite. Un sérieux contre tous. Certitude entre tous. Une mélancolie pourtant, une détresse de fin de monde, une fatalité irrenversable habitent le paysage froid où passe celui qui tellement se trompe sur lui-même.
La lourde pirogue monoxyle va s’enfonçant lentement dans l’espace mort.
Ciel bas. Oiseaux à une seule aile. Arbre sans branches."
Dessin Henri Michaux.
Commentaires
Bonjour Homme Libre, merci de mettre ce poète belge, trop peu connu, à l'honneur aujourd'hui!
Pour vous ce poème:
M E S O C C U P A T I O N S
Je peux rarement voir quelqu'un sans le battre. D'autres préfèrent le monologue intérieur.
Moi non. J'aime mieux battre.
Il y a des gens qui s'assoient en face de moi au restaurant et ne disent rien, ils restent un certain temps, car ils ont décidé de manger.
En voici un.
Je te l'agrippe, toc.
Je te le ragrippe, toc.
Je le pends au portemanteau.
Je le décroche.
Je le repends.
Je le décroche.
Je le mets sur la table, je le tasse et l'étouffe.
Je le salis, je l'inonde.
Il revit.
Je le rince, je l'étire (je commence à m'énerver, il faut en finir), je le masse, je le serre, je le résume et l'introduis dans mon verre, et jette ostensiblement le contenu par terre, et dis au garçon: «Mettez-moi donc un verre plus propre.»
Mais je me sens mal, je règle promptement l'addition et je m'en vais.
Les titres de ses oeuvres sont déjà de riches promesses : Qui je fus - L'espace du dedans- La vie dans les plis -Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions. Autant de titres qui nous invitent à parcourir, d'ores et déjà, les soubresauts de nos vies, à les hanter au péril de grandes épreuves " Les grandes épreuves de l'esprit et les innombrables petites."
Michaux n'est pas accessible aux esprits paresseux, qui se meuvent, inexorables, dans les longs cours tranquilles de phrases conformes.
Michaux joue avec les mots, il les expérimente pour offrir de nouveaux paysages, il ouvre des portes sur ses terres, sur ses paysages du dedans, il ne craint pas de nous inviter à nous fracasser, à nous déchirer, à nous arracher à la morne monotonie de ces mots que l'on véhicule cahin-caha privés de leur sens, ces porteurs d'espérance dépouillés de tout horizon :
"Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler."
in l'Espace du dedans - Le Clown
Merci, homme libre, de ressusciter ce grand poète grinçant. Mais le lien vers "extraits" alerte mon anti-virus car infecté. Michaux aurait aimé!
Merci pour ces apports. J'ai mis des textes sans commentaires pour laisser intacte l'écriture très forte de Michaux. Vos interventions complètent et confirment.
Pierre Jean, je vais essayer de trouver un autre lien tout-à-l'heure, hier soir c'est le seul qui menait vers Les Enragés.
HL - Les Enragés ? Non les Ravagés .....doux lapsus que je déguste avec mon café ....
Djemâa... Joli lapsus en effet... (-_o)
Pierre-Jean, je n'ai pas trouvé de meilleur lien vers le texte.