Elle fait du bruit. Elle envahit les villes. Pour elle on bitume des campagnes. Elle utilise une place folle à l’arrêt. On lui construit des immeubles ou des grottes souterraines pour la parquer. Elle consomme une énergie épuisable. Elle pollue. Elle contribue à la mort de 1,2 millions de personnes chaque année selon l’OMS. En 6 ans c’est l’équivalent de la population de la Suisse qui disparaît. A ces morts on peut ajouter les blessés graves, mutilés, amputés, handicapés à vie, et les enfants orphelins, les familles détruites.
Les coûts engendrés par les accidents et les pertes pour les familles sont estimés à 65 milliards de dollars dans les pays à faibles revenus ou revenus intermédiaires. Globalement les accidents de la route représentent une perte estimée de 1 à 2% du produit national brut.
Et pourtant la voiture est depuis longtemps un symbole. L’affiche 2011 du salon de l’auto de Genève illustre précisément ce symbole: la voiture c’est la liberté. L’image montre une femme légèrement vêtue, cheveux au vent, conduisant d’une main - l’autre bras est appuyé sur le siège de manière décontractée. Le personnage féminin est plutôt sexy, et ne porte pas de ceinture de sécurité.
L’image représente bien la liberté, la facilité, la légèreté - pas besoin d’être habillé comme pour une expédition. De plus cette image s’adresse aux femmes, par le personnage et par la couleur, insistant sur le fait que leur liberté passe par le fait de posséder une voiture. La femme est libre de ses déplacement, jeune, sexy, le pendant féminin du macho qui drague avec sa décapotable. Rappelons-nous que les femmes conduisaient des voitures dans les années 20. Le symbole de liberté n’a pas changé depuis près de 100 ans.
De quelle liberté s’agit-il? L’une des plus fondamentales: le déplacement de son corps dans l’espace. Cette faculté des espèces animales, le déplacement, a pris chez l’humain une dimension primordiale. Pendant longtemps avant l’instauration de l’agriculture et de la sédentarité, l’être humain était nomade. Sa subsistance donc sa survie en dépendait. Bouger c’est la survie et la liberté. Ce n’est pas par hasard si la privation de liberté se concrétise par une privation ou une limitation stricte de mouvement: prison ou bracelet électronique définissent à la baisse le champ du possible.
Les pieds furent et restent la première liberté de mouvement. Ensuite est venue la domestication du cheval et du dromadaire. Puis les vélos, les automobiles, les avions et les trains ont connu un essor formidable. Cette évolution est signe d’un besoin, même d’un double besoin: se déplacer et raccourcir le temps nécessaire au déplacement.
Les transports en commun participent à ce besoin tout en étant plus contraignants: horaire fixe du départ, lieu précis d’embarquement, partage avec d’autres et parfois promiscuité.
Comparativement la voiture est avec les deux roues le symbole avancé de la liberté individuelle:
je pars quand je veux, je vais où je veux, avec qui je veux.
Aucun autre moyen ne peut actuellement rivaliser avec cette liberté. On comprend que la voiture soit l’objet d’un culte et d’une forte valeur ajoutée. De plus elle contribue de manière prépondérante à l’industrie et donc à la création d’emplois et à la richesse d’un pays.
Si on la critique de plus en plus à cause de ses inconvénients elle procure cependant un fort sentiment de liberté quand on monte à l’intérieur. Un petit tour de clé et l’on peut partir immédiatement, aller voir le soleil se lever sur la mer ou derrière des montagnes, ou rejoindre un être aimé, à plusieurs centaines de kilomètres de chez soi. Et cela quel que soit la météo.
Maintenant que la technologie est là, on ne supprimera pas la voiture. Elle évoluera, de même que le partage entre voiture individuelle et transports en communs évoluera, pour des raisons de saturation des routes ou pour le coût.
Mais pour faire rouler ce symbole de liberté il faut une ressource. Le pétrole fossile arrivant au bout avant 2100, d’autres ressources comme l’électricité ou le pétrole d’algues prendront le relais. Ou d’autres encore que l’on n’imagine pas et que la technologie inventera dans 10 ou 20 ans.
Au symbole de liberté se superpose un autre symbole: la puissance. Une grosse voiture, chère, est une expression sociale de la valeur que l’on s’accorde en terme d’argent ou de pouvoir. Cette comparaison qualitative des humains entre eux, formatrice des classes sociales ou des castes, s’imprime partout. Par le passé avoir plusieurs chevaux, et des chevaux de race, était déjà signe de puissance et de richesse. Donc de survie d’une tribu ou d’une population.
La voiture actuelle relaie les inégalités. Et dans les inégalités sont aussi relayés ce qu’il les rend si injustes et insupportables: les privilèges,
Mais la voiture n’est pas la cause de cette différence sociale. Petite ou grosse, elle reste d’abord ce symbole de liberté individuelle qui a gagné le monde entier.
Commentaires
Juste et très bonne analyse !
Salutations :o)
Analyse intéressante. Cette liberté a cependant un prix.
L'analyse est en effet intéressante. Malheureusement, les coûts d'une voiture ne cessent d'augmenter et cette liberté devient de plus en plus coûteuse.
A terme il sera je pense quasi impossible de se déplacer dans les grandes villes en voiture.
Super travail ! Je fais une recherche sur ce sujet et cette analyse qui voit la mobilité avec du recule est très réussite. merci à toi
Les gens ne s'imaginent même plus se déplacer avec autre chose qu'une voiture de nos jours, en 2011,technologiquement la science est capable de bien mieux.
Mais il faudra attendre l'évolution ou mieux y contribuer. Le problème restera les constructeurs automobiles qui vont tout faire pour stopper la science et continuer leur commerce.
Je pense qu'il n'y pas de réflexion de la part de la population à propos de ce sujet, il faut leur ouvrir les yeux.