La terre est sèche et dure. Les boules roulent, roulent trop loin. Le petit-fils parle à son grand-père avec irrévérence.
- Toi, tu sais pas jouer! T’es nul!
Prendre la parole
Et pire encore. Le ton n’est pas à la plaisanterie. C’est un ado de 15 ou 16 ans. Il est tendu, au bord d’une colère que rien de visible ne motive.
Le papy reste zen. Pas de remontrance. Pas de coup d’humeur. Il continue à jouer. Il blague même. Un plus jeune, environ 11 ans, vient jouer avec eux. Le garçon est surpris du langage de l’ado. Il le dit. Papy répond qu’il encaisse et que son petit-fils n’a pas de respect. Il n’a pas envie d’affronter. Il sait l’inutilité d’une confrontation.
- Si son père était là il ne parlerait pas ainsi.
L’ado menace à chaque jeu de laisser tomber son grand-père, montrant dans les mots un désintérêt appuyé pour l’aïeul. Pourtant il continue à jouer et à chercher l’affrontement. Le garçon plus jeune n’a pas sa langue dans sa poche. Il fait remarquer à l’ado que ses manières avec le papy ne sont «pas très sympa». L’ado commence par se justifier. Le garçon insiste, redit: «C’est pas sympa, c’est ton papy, on lui parle pas comme ça». Le petit parle au grand sans crainte, il dit ce qu’il a à dire. L’ado se tait et joue. Il perd chaque jeu mais continue.
Soudain il va vers son papy et le prend dans ses bras. La communication se détend. Le papy accueille cet élan avec bienveillance.
D’autres joueurs les rejoignent. Dont le père de l’ado, qui d’un coup change de ton: terminés la provocation et les mots discourtois. Deux nouvelles équipes se forment. Des femmes sont autour, d’autres à la terrasse non loin. L’une d’elle, grands cheveux foncés, est pointeuse dans une équipe. C’est une de ces femmes du sud: langage vif et puissant, rires fréquents, prenant bien sa place. Ici les femmes et les hommes ont des relations claires. Chacun sa place. Un coup de gueule parfois, qui termine dans des éclats de rire partagés. Les hommes tiennent aussi leur place. La confrontation n’est jamais loin, une confrontation dont on sent qu’elle sert d’ajustement permanent. Pour autant on ne va pas facilement à la bagarre, même quand le ton monte haut. Dans le sud on aime parler fort. Peut-être pour couvrir les sifflements du mistral quand il galope sur cette Haute-Provence.
Prendre sa place
Hommes, femmes, enfants, chacun prend sa place. Il faut parfois répéter, insister, hausser le ton, faire les gros yeux. On vérifie que l’autre a compris, on lui demande s’il a compris. Ainsi l’on est entendu. Personne pour se plaindre, personne ici n’est laissé de côté. Hommes, femmes, enfants, la parole est vive et forte, libre. Le jeu tension-apaisement est constant, c’est un mode de communication qui n’enfouit rien. Tout est mis au jour.
Dans ce milieu les enfants apprennent à se battre. Leurs modèles sont des mères vigoureuses et des pères très présents. Je pense à René Girard: il décrit la culture comme une manière de gérer la violence naturelle. Ici la violence potentielle des hommes est acceptée. On sait quand il faut baisser le ton et laisser passer l’orage. On sait aussi quand une femme ne doit pas être contrariée, quand il faut lui laisser le micro. Ici hommes et femmes sont chefs de leur propre vie. C’est une tradition. Ici, pas de fusionnel. S’il y a des choses à dire elles sont dites en direct, face à face. Pas besoin d’une amicale des hommes ou d’un syndicat des femmes pour se sentir exister. Hommes et femmes mangent symboliquement à la même table. Le respect, c’est l’individu qui l’impose.
Si comme le dit René Girard, la culture fondamentale est l’organisation et l’encadrement de la violence naturelle des mammifères que nous sommes, alors ici elle est très bien organisée.
A suivre
Commentaires
Qu’elles sont belles, les femmes qui portent ces robes légère