Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Conversations en terre d’islam (3 et fin)

Parler de religion est délicat, surtout quand c’est la religion des autres. Et plus encore de l’islam. On ne peut faire l’économie des tensions. Exprimer un point de vue est périlleux: il s’agit de ne pas blesser les personnes que l’on aime tout en gardant le droit de ne pas adhérer à leur foi, de respecter intégralement la vie et le choix des gens tout en gardant nos questionnements.

souad-abderrahim.jpgRespect et questionnement

On peut parler religion dans l’abstrait, loin des communautés ou des pays musulmans. Mais quand on connaît de près des personnes, que l’on est accueilli comme un frère, toute position s’imprègne de plus d’humain et doit se nuancer. La réalité de l’humain, la valeur humaine, est toujours plus forte que la théorie.

Dans mon précédent billet je constatais que les pays musulmans choisissaient le système politique qui leur convenait et que nous n’avons pas à leur donner raison ou tort. Nous voudrions exporter notre démocratie. Je le comprends car je suis persuadé de sa valeur et de son universalité. Mais nous ne pouvons l’imposer si elle ne peut s’ajuster avec la tradition des peuples. Chacun son chemin.

Cette réflexion est avivée par les déclarations récentes d’une élue tunisienne du parti islamique Ennahda, Souad Abderrahim, présentée comme une modérée. Ce mouvement a fait campagne en insistant entre autres sur les acquis des femmes, uniques dans le monde arabo-musulman, sur l’opposition aux contraintes vestimentaires et contre l’obscurantisme. Mais dernièrement cette élue a porté une charge très lourde contre les mères célibataires,

«les qualifiant d’«infamie pour la société tunisienne». «Elles ne devraient pas aspirer à un cadre légal qui protège leurs droits», a-t-elle renchéri, avant de conclure qu’«éthiquement, elles (les filles mères) n’ont pas le droit d’exister»

Si elle est modérée, comment sont les autres? A quoi servent de tels propos? Quelle est l’intention précise de ce genre de discours? Prémisse d’un retour à une forme plus contraignante de l’islam politique? Où est la liberté? Et que signifie ce non-droit d’exister? Comment en Europe ne pourrions-nous pas être choqués de tels propos discriminatoires dignes de périodes auxquelles nous ne voulons plus revenir? Car cela nous l’avons connu et nous n’en voulons plus. Certes, c’est le choix des tunisiens, y compris des femmes nombreuses qui ont voté pour ce parti. Mais comment ne pas penser que la démocratie rêvée par ceux et celles qui ont renversé Ben Ali prend une étrange direction? Des élections ne suffisent pas à définir une démocratie.

Nous ne pouvons rien y faire. Sauf dire que nous ne comprenons pas et encourager les femmes du pays à se mobiliser contre ce discours dont je ne suis pas certain qu’il corresponde vraiment à l’islam. Il est même possible que le parti Ennahda travestisse et déforme la morale islamique au profit d’un vulgaire retournement autoritaire du pouvoir.


Les mille et une nuit

Mais je veux terminer cette série par une note positive, où se mêlent tradition et islam: le mariage marocain, puisque c’était le prétexte à mon voyage. La fête, la joie, tout l’éclat social de la tradition prend ici un sens d’une rare puissance. La mariée est mise en valeur pendant toute la cérémonie, qui dure la nuit entière. Elle entre dans la salle assise dans une sorte de chaise à porteurs, au son de musiques étourdissantes. Elle change de robe plusieurs fois dans la nuit, chaque robe ayant un sens particulier. Les chants sont des musiques populaires ou des récitations religieuses - là encore la religion est présente. On mange interminablement des plats incroyables, on danse, femmes entre elles ou avec les hommes.
maroc,mariage,tradition,islam,religion,europe,démocratie,tunisie,ennahda,foi,transe,soufi,mille nuits
Il y a même une longue danse de transe à laquelle je suis convié, soutenue par un groupe de musiciens du Moyen-Atlas. J’y retrouve l’esprit et l’énergie de fêtes et de musiques de transes que j’ai animées ou auxquelles j’ai participé. Je me sens dans un élément familier.  Je peux même reprendre l’invocation chantée parce qu’elle rythme la respiration et facilite l’abandon du moi à une dimension plus grande de l’être. La religion ainsi n’est plus un objet de discussion. C’est la religion qui relie, qui unifie en soi et autour de soi. On s’approche des rituels soufis. Dans cette danse je suis un avec tous mais je n’appartiens à personne.

La transe est universelle. Il faut peut-être regretter que le christianisme officiel l’ait délaissée et abandonnée à des églises marginales, qui s’en font concurrence avec des groupes de rock.

Le mariage marocain est donc une fête totale. Beau comme les mille et une nuits. C’est aussi un acte social très fort: la communauté accueille les mariés comme une nouvelle famille et un renouvellement de la tradition. Le mariage est, avec le rite funéraire et la fête de la naissance, l’un des grands rituels qui marque toute civilisation.

Chaque culture a ses valeurs et sa valeur. Je ne les compare pas. Je ne me permets pas de dire que l’une est meilleure que l’autre.

De part et d’autre du fossé culturel qui sépare le monde musulman du monde européen occidental, il y a des personnes de bonne foi qui voudraient convaincre l’autre de la supériorité de sa vision. C’est faire fausse route. La meilleure position est celle de l’écoute mutuelle et du respect. Sans quoi, les volontés, les blessures morales accumulées (nous en avons comme eux en ont) et les jugements mutuels conduiront à un futur peu enviable. De part et d’autre des leaders politiques enveniment les relations. Nous ne sommes pas obligés de les suivre. Nous ne sommes pas obligés de leur donner raison. Nous pouvons nous poser mutuellement des limites. C’est normal de poser des limites. Faire respecter les traditions de part et d’autre c’est poser des limites. C’est par là que commence l’apprivoisement. Mais nous pouvons le faire lucidement et sans colère. La colère d’un individu ne brûle qu’une maison. La colère d’un peuple brûle tout un pays.

Il y a mieux à vivre que de vivre dans la tension. Il y a à s’apprendre mutuellement. Et apprendre, c’est se questionner beaucoup.


(Image 2: Djéry)

 

Premier billet ici.

 

 

 

 

 

Un cadeau agréable pour les fêtes:

CouvDiable.jpg

Catégories : société 8 commentaires

Commentaires

  • Bonsoir Homme Libre,
    Vous racontez de belle manière un mariage marocain. La fête,les danses, le repas, les couleurs de la robe de la mariée, la mariée si belle. Mais il était où le marié? Pas un mot même pas une supposition rien! Il était là au moins?
    racontez nous l'histoire du point de vue du marié!
    Mais votre séjour dans cette famille accueillante et ce repas de mariage!! bon sang! à chaque fois que je lis vos 3 articles je pense et imagine tous ces plats!

  • Joli billet pour le coup ;)

    Oui les orientaux sont différents des occidentaux. C'est un occidental d'origine orientale qui vous le dit. Oui le poids des traditions est loin d'être négligeable dans ces pays et par conséquent insupportables pour certains. Néanmoins, l'absence de tradition on en voit les conséquences dans le monde occidental.
    Le fait de justement imposer une idéologie quelconque est soi-dit anti-démocratique, d'où une confrontation entre tradition et néologisme, conservateur et progressiste, bref tout ce qui est ancien est ringard et tout ce qui est nouveau tend à devenir la norme.
    Pour info, je suis entre les traditions et le progrès, c'est selon moi la seule marge possible dans un monde sensé être équilibré
    Nous sommes néanmoins obligé de mettre en oeuvre une idéologie quelle quelle soit acceptée par tous. Une sorte de charte de l'humanité.
    Sauf que soit personne n'y a pensé avant, soit nos élites et autres têtes pensantes n'en veulent pas.
    Bref l'humain n'est pas fait pour diriger d'autres humains

  • Ah, Madison, je n'ai pas parlé du mari!!! Shame on me!!! ;-) Ma fascination pour la femme m'a encore trahi... :-))

    C'est lui au début et à la fin de la vidéo, et par moments.

    Lui c'est le roi. Un roi sans artifice. Un roi tranquille, qui n'occupe pas plus la scène qu'il ne faut. Un roi en service: au service de sa femme. Il la soutient dans les déplacements (certaines robes rendent la marche difficile), il s'assied près d'elle et accueille famille et belle famille. Il est d'une prévenance admirable.

    Avant il a passé la journée loin d'elle. Le soir, elle tarde pour arriver à la fête. Il s'impatiente, téléphone, sort voir si elle est là, revient, parle à gauche et à droite, retourne dehors, s'inquiète. Toujours souriant: c'est le roi, c'est sa fête aussi, et ce roi n'est pas querelleur. Mais on sent bien son impatience.

    Quand elle arrive, son visage s'ouvre et s'épanouit. Il entre dans une nouvelle vie et reçoit de la communauté et de son épouse une nouvelle responsabilité, un nouveau statut. On le sent entrer dans ce nouveau costume.

    La roue tourne et c'est maintenant à lui de reprendre un flambeau.

  • bonjour,

    un beau texte ... merci. bonsoir ou bonjour, ça dépend d' ou vous êtes ...

    comment puis je s.v.p. télécharger simplement les 3 messages d'origine ?

    merci

    salut le blog !

    karimane

  • Bonsoir Karimane,

    Ici à Genève il est 20h.

    Pour télécharger il faut enregistrer la page web. Je suis sur Mac mais il doit y avoir la même chose sur Windows. Dans le menu déroulant "Fichier" il y a "Enregistrer sous". Quand vous l'activez il propose sur Mac plusieurs options. L'option par défaut est d'enregistrer la page web. C'est le plus simple. Vous pouvez la rouvrir ensuite comme un fichier depuis votre navigateur.

    Avec cette méthode vous gardez tout: mise en page, commentaires, images.

    Si ça ne marche pas, dites-moi, on trouvera une autre solution.

    Salut!

  • Salut Kasilar,

    Oui nous sommes différents entre cultures et peuples. Il y a des points communs et des différences. Les cultures se sont construites avec raison. Elles correspondent à des régions, à des vécus, à des besoins.

    Ce n'est pas grave d'être différents. Ce qu'il faut comme vous le dites c'est une charte commune, une sorte d'interface où nous pouvons communiquer et gérer nos relations.

    Il y a des points communs malgré les différences de culture. Nous devons nous appuyer sur cela.


    J'ai une anecdote sur ce point:

    Il y a des années j'avais fait plusieurs séjours dans le sud du Nigéria, pour voir travailler un guérisseur traditionnel. Je me souviens un soir d'une petite fille d'environ deux ans, qui a mis ses pieds dans les sandales trop grandes de sa mère et qui marchait fièrement, toute sourire, sur la place du village. Elle avait le même réflexe que les petites filles européennes: jouer à la grande. Pour moi c'est un réflexe culturel commun de base: être comme les grands, comme les parents, et pour cela employer la même astuce des chaussures (ma fille avait fait de même, spontanément, avec les chaussures de sa mère, quand elle avait deux ans).

    Il faut apprendre à gérer nos différence. Cela implique de l'écoute mutuelle, et cela doit aussi inclure la possibilité de critique. Nous avons le droit de ne pas être d'accord. C'est peut-être cela que nous apprenons à faire avec la démocratie en Europe: ne pas être d'accord sans s'exclure ni se faire la guerre.

    Je vous rejoins sur la question de la modernité, qui est souvent survalorisée. L'important n'est pas qu'une idée soit moderne, ça on s'en fiche, c'est qu'elle soit bonne et juste.

  • "La mariée est fort belle!"

    Ecrit par : Patoucha | 12 novembre 2011


    Mais oui le Troll usurpateur de Patoucha. Elle est magnifique et le marié mmmmmmm!... Un très beau couple et un mariage royal à leur image. Moderne, riche, heureux de vivre et bien loin du fanatisme qui anime ceux qui sèment le désordre en Occident!

    Merci pour ce partage hommelibre!

    Je quitte mais je fais confiance au Troll qaui ne manquera pas de prendre la relève :)))))))))

  • Pour Hakim qui fait comme tous les trolls, pose des commentaires et n'assume pas !


    Hakim, je ne demande pas à ce que les éventuelles solutions viennent des musulmans, il est claire que les russes ont d'abord tenter de séduire une grande partie des nations arabes "musulmans" avec des "révolutions" socialistes, Egypte, Syrie, Algérie, Libye, Irak, Tunisie, (Soudan et Yémen), "révolutions" socialistes qui ont toutes abouties vers des dictatures saturées en armements démodés ! Des millions de tonnes d'armements lâchées dans des zoos !

    Donc à la place de vouloir trouver des solutions, pourquoi ne pas simplement attendre que les prédictions du prophète staline s'accomplissent et d'ailleurs ses successeurs continuent de les fournir !

    Maintenant, les plus malins et les plus fortunés ont compris, ils se font la malle, et si possible, en Suisse ! Quant aux autres, ils ont le choix des armes, mais Hakim, à mon humble avis, l'Islam était une religion presque parfaite à l'époque des sabres, dans les sables infertiles, il fallait bien trouver un truc pour la régulation de la démographie, maintenant après 60 ans de socialisme totalitaire, le sabre ne pouvant plus rattraper l'histoire, il y a les armes à poudre et les bombes à fragmentations, alors les musulmans religieux corrigent les aléas de cette "sociétisation" imposée par le plus idéaliste des occidentalisme ! Peut être la seule solution est de laisser les plus cons s'entre-tuer, ensuite, comme après la deuxième guerre mondiale, les générations suivantes iront vers la sortie de cette impasse !!!

Les commentaires sont fermés.