Certains événements marquent plus que d’autres. Ce n’est pas seulement leur imprévisibilité qui leur donne un caractère spécial. C’est une addition d’éléments qui frappent notre esprit sans qu’il puisse rapidement digérer ou classifier ce qui se passe.
Le drame de Toulouse en fait partie. L’explosion en vol de la navette Challenger en 1986 également, ou les événements du 11 septembre. Ou la mort de Marie Trintignant. Le naufrage du Concordia. Mais d’autres événements de moindre envergure peuvent aussi prendre une place considérable dans notre esprit.
Ces événements ont en commun de rester de manière durable dans notre attention. Ils semblent dotés à la fois d’une provocation émotionnelle immédiate et d’une complexité qui les fait durer dans cette émotion. Les images accentuent ce processus qui marque fortement l’esprit.
On voit la force d’un événement à sa durée dans les médias et les discussions, mais aussi aux forces contradictoires qu’il éveille. Pour le 11 septembre, les tours du WTC censées être indestructibles et manifester l’orgueil humain, s’effondrent comme un château de sable. Elles démontrent la fragilité de nos constructions.
L’idée qu’une construction met des années à s’ériger et peut être détruite si rapidement est aussi marquante. L’explosion de Challenger est un des événements les plus impressionnants à cause de sa rapidité même. Il y avait tout: des vivants, une machine qui monte au ciel, un projet, et en un instant il n’y a plus que des débris. Cela frappe notre sens logique tant nous sommes persuadés de la durée de nos entreprises. Et nous devons l’être!
L’agriculteur plante des graines pour qu’elles poussent et assurent sa survie alimentaire. Il ne peut envisager la sécheresse ou l’été froid. Une mère met un enfant au monde pour qu’il vive. Les parents l’éduquent avec la tranquille assurance qu’il grandira. Aucun parent n’imagine qu’en une seconde il est mort dans une cour d’école. Cet événement-ci se déroule sur un fond complexe et très sensible. La complexité mise en oeuvre est peu digeste: enfants, juifs, jeune français, Palestine, islam, il y a déjà là de quoi alerter l’esprit. La violence incontrôlable rajoute au saisissement. Les enjeux, l'enfance, la brutalité des meurtres, marquent fortement l'esprit.
Dans la mort de Marie Trintignant la contradiction amour-mort fait de l’événement comme un non-sens. La célébrité des personnages, dont chacun est perçu comme sympathique séparément, rend le drame encore moins compréhensible. Dans les oppositions violentes qui nous prennent, les uns défendent une thèse, les autres une autre thèse. Comme si le fait de séparer les éléments contradictoires et de les attribuer à deux camps séparés et antagonistes les rendait plus accessibles à la raison. Pourtant rien n’est résolu. On a parlé de la violence faite aux femmes, qui marque les esprits, alors que celle faite aux hommes marque encore si peu.
Car l’événement prend sa force par les arrières-plans de notre esprit. Qu’un tueur tue des adultes est inacceptable. Qu’il tue des enfants est insupportable. Parce que la fragilité est chargée en émotion. Les femmes battues touchent parce que nos inconscients les voient fragiles par rapport à la force masculine. Alors qu’un homme battu est quelque chose de peu crédible, qui ne trouve pas de caisse de résonance inconsciente.
Pour se dé-marquer, pour être dé-saisi de la puissance de l’événement, il faut y revenir, essayer d’en faire le tour, enquêter, émettre une hypothèse, la contredire, malaxer un nombre impressionnant d’informations jusqu’à l’épuisement de l’émotion. Nous ne pourrions vivre en permanence dans l’intensité émotionnelle du début.
Et il est normal qu’avec le temps le drame perde de sa virulence. Nous avons besoin de revenir à nous, de faire cesser l’hypnose dans laquelle notre esprit se dérobe à nous-même. Prendre du recul, digérer, penser à autre chose. Ne pas laisser le cerveau être imprimé d’images ou d’impressions violentes superposées, dans lesquelles nous n’aurions plus les espaces de paix indispensables pour digérer et nous construire.
Commentaires
J'ajoute l'assassinat de JFK, Robert Kennedy la mort accidentelle de Diana... C'est la brutalité de l'évènement qui nous marque! Ils ont tous en commun une mort violente.
Un autre comm signé Patoucha serait l'oeuvre du harceleur etc. etc...