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A quoi sert l’Etat (4): le modèle américain

La force du courant conservateur aux Etats-Unis est dans la logique même de l’impulsion qui a érigé cette terre d’émigration en nation: le pays s’est construit sur la force et la volonté d’individus indépendants. Cette condition initiale continue à prévaloir, même dans l’aile libérale de la population (qui signifie la gauche aux USA) incarnée par les démocrates.

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Les critiques récurrentes à l’égard des Etats-Unis visent d’ailleurs moins leur culte de la liberté individuelle que leur hégémonie militaire, économique et culturelle sur le monde. A ce sujet pourtant, l’Europe et en particulier les anciennes nations coloniales n’ont pas de leçon à donner aux américains. Les pays musulmans, grands colonisateurs, non plus.

La guerre n’a pas attendu les G.I.’s pour régler les affaires du monde. Les Mongols du XIIe siècle ont massacré presque toutes les populations entre leur pays d’origine et l’Europe de l’Est. L’Afghanistan fut bouddhiste pendant des siècles avant d’être colonisé culturellement et religieusement par l’islam. Plus loin encore les Assyriens dominaient avec violence des populations dont le seul tort étaient d’être à portée de leurs armées. Les grecs d’Alexandre, les Romains, les Ottomans, et bien d’autres, ont tous à leur manière été se servir ailleurs et tirer profit d’économies indigènes.

La guerre n’est donc pas l’apanage des américains. La liberté et l’initiative individuelles beaucoup plus. J’ai relevé une phrase du co-listier du candidat Mitt Romney, le très conservateur Paul Ryan: «Nous promettons à tous les mêmes opportunités, mais pas les mêmes résultats.» Elle mérite que l’on s’y arrête car elle recèle un fondement de la manière dont l’Amérique se définit et se perçoit. L’individu, son initiative, son énergie, sa liberté son la référence de base. Le gouvernement n’est que la part collective que les individus ne peuvent accomplir ou remplir eux-mêmes.

C’est ainsi partout, pourrait-on dire. Non. Aux Etats-Unis la liberté individuelle est un principe presque sacré. «Nous promettons à tous les mêmes opportunités». On pourrait traduire cela, paraphrasant la Genèse, en: «Au commencement était l’égalité». L’égalité des droits et des chances. Aujourd’hui ce n’est plus tout-à-fait le cas: les fils de familles riches sont plus souvent au pouvoir que ceux des familles pauvres. Mais un enfant de famille pauvre peut créer son job et s’il bosse et réussit à se développer, prendre une place confortable dans la société.

«... mais pas les mêmes résultats»: ce qui veut dire que si chacun a sa chance le système ne lui garantit pas le succès. A chacun selon ses talents et sa volonté. On demande àétat,libéralisme,amérique,collectivisme,individu,léiberté,gouvernement,general motors,etats-unis,monglos,afghanistan,islam,colonialisme,france,g.i.,romney,ryan,europe,mélenchon,démocratie, chacun de faire ses preuves. Un résultat ne peut être garanti: il se mérite. Cette notion est profondément inscrite dans la philosophie de cette nation. Par exemple la parité, dont je parlais récemment en terme de société de contrainte. En Europe on fait des lois sur la parité des sexes dans les conseils d’administration ou dans les listes politiques. C’est une manière de garantir le résultat que l’on ne trouve pas aux USA.



L’individu est au centre de la conception politique américaine de la démocratie. L’Etat doit prendre le moins de décisions en son nom. Cette vision très individualiste et très affirmée irrite en Europe, qui ne s’est pas encore totalement débarrassée des fantômes collectivistes. Pourtant l’individu y est partout. Le mariage par consentement individuel consacre l’individu et sa propre volonté et décision. La fin d’un représentant unique de l’entité familiale en est une autre consécration. Tous les contrats sont des actes individuels. Tout se fait en Europe au nom de l’individu.

Jean-Luc Mélenchon proposait d’ailleurs dans son programme que les employés des entreprises puissent disposer d’un droit de vote pour faire barrage aux orientations de la direction, au nom de la liberté de l’individu (dans l’idée qu’il puisse décider par lui-même de sa vie économique). Ce qui est en contradiction avec le fait que la liberté d’entreprendre est elle aussi une consécration de la liberté de l’individu et de son pouvoir de décider de lui-même.

Je pense que l’Etat doit cependant remplir certaines fonctions. Le soutien aux membres d’une communauté qui sont dans le besoin pourrait n’émarger que de groupes privés. Mais la grande individualisation de nos sociétés restreint cet élan. Il me paraît donc opportun que l’Etat prenne cela en charge, au moins partiellement.

D’autre part l’Etat doit garder un rôle d’arbitrage. La justice est de son ressort: il doit donc l’assumer pleinement et prendre une place dans les relations sociales, en particulier entre l’économie et le monde du travail. Les deux mondes sont très interconnectés, parfois pour le meilleurs, parfois pour le pire en cas de crise. L’Etat doit garder un rôle de modérateur dans ces relations parfois difficiles. Le Droit du travail en est un aspect. Le soutien fiscal ou financier peut en être un autres dans certaines conditions.

La démocratie doit trouver un certain équilibre entre la primauté du choix individuel, qui est un marqueur fondamental de la liberté, et la gestion de ce qui est utile à tous. Le modèle américain, avec ses excès et ses points faibles, semble toujours d’actualité dans un monde où l’individu n’est plus simplement le produit de la masse, du groupe ou d’une communauté, mais aussi de sa propre détermination. Les critiques contre la philosophie libérale sont de peu de poids face à la puissance de la liberté de décider de sa vie.



Précédents billets:

http://leshommeslibres.blogspirit.com/archive/2012/04/30/a-quoi-sert-l-etat.html


http://leshommeslibres.blogspirit.com/archive/2012/05/01/demarcation-gauche-droite-lache-toi-et-pleure.html


http://leshommeslibres.blogspirit.com/archive/2012/05/04/l-etat-et-la-cohesion-de-la-collectivite-3.html

Catégories : Politique 19 commentaires

Commentaires

  • Hommelibre

    Puisqu' on parle des USA. Avez vous entendu parlé de ces mouvements feministes qui revendiquent le droit d' être seins nus dans la rue sous prétexte que les hommes sont eux-même torses nus.
    J' ai l' impression que le droit des femmes ne se limitent plus qu' à une histoire de dégradations de mœurs dans un contexte oú la pudeur tient à coeur une majorité d' individus.
    Liberté d' être à poil Vs liberté de se vêtir un maximum serait-ce le choc des cultures dont tout le monde parle ?
    Je vous mets le lien ce soir ou demain.

    Loin de moi l' idée d' imposer le voile, mais interdire cecdernier et autoriser l' attentat a la pudeur c' est clairement choisir le camp (naturiste ?)

  • http://www.dailymotion.com/video/xbj19q_les-raeliens-manifestent-pour-les-s_news

    on parle beaucoup de droit par les temps qui courent mais peu de devoirs

    "celui pour le droit de se balader seins nus dans la ville, au nom de l’égalité des sexes."

    mais qu'est que l'égalité des sexes à a voir ladedans rien, les hommes et les femmes sonts égaux en droit point le reste c'est bidon.

    http://tempsreel.nouvelobs.com/vu-sur-le-web/20120530.OBS7080/seins-nus-dans-la-rue-un-droit-de-la-femme.html

  • Bonjour Homme libre,

    Un problème de concept,donc:

    Mais aussi une orientation du jugement (de l'évaluation) ,de l'analyse et de l'action.
    Est-ce que le terme d'individu(litt:ce qui ne se divise pas:individuum) convient à la singularité humaine,en rend compte voir même l'affirme adéquatement?

    En droit civil,seul la notion de personne (physique ou morale) est reconnue,l'usage

  • L'usage du terme individu est second,sans valeur définie,autre que métaphorique
    ou basique ,renvoyant à la biologie élémentaire,à la simple définition d'un membre singulier d'une espèce ,humaine ou ANIMALE.

    Cela ne suffit pas et ne convient pas à la singularité humaine quand on la rapporte au monde social(pour faire court et affirmatif donc car l'exposer sous forme de question serait ici trop long).

    Cet état de fait est quelque chose de très profond,qui renvoie au caractère inéluctablement paradoxal de la singularité humaine.Pour l'approcher au plus vite il suffit simplement de penser aux problème des enfants sauvages,ces enfants perdus par catastrophe,accidents,voir même enlèvement animal,ce qu'on appelait en Europe les enfants-loups,que Lucien Malson explicita dans son:
    "L'enfant sauvage".

    Nul ne peut devenir humain et acquérir la faculté majeure de cet état,le langage, sans avoir été (avant 6ans et même plutôt 3)socialisé en société humaine et avoir été en interaction parlante avec d'autres humains.

    -Ce qui veut dire que la disposition innée du langage ne s'installe QUE dans
    l'interaction sociale,PAR la relation à autrui.
    -La singularité ne se forme vraiment que PAR le rapport à autrui.

    Cette réalité fondatrice est par exemple profondément prise en compte par l'école de sociologie dite de "l'interactionnisme symbolique" ,mais en fait par toute la discipline,comme par l'anthropologie.

    La notion d'obligation en droit,suppose donc le concept de personne,qui traduit cette sociabilité première.

    Nous ne pouvons pas être des Münchhausen se tirant du néant ,naissant par l'équivalent d'un "fiat lux" divin.

    Cette très ancienne vérité,modernisée et étendue par le savoir moderne,se nomme:la personne,notion d'origine greco-romaine,véritablement instituée dans notre civilisation européenne par le droit romain puis le christianisme et je
    ne saurais trop conseillé le court traité sur la trinité du dernier philosophe antique en Europe de l'Ouest :Boëce (5°-6° siècle).

    Et ceci exposé ici,dans une position agnostique (la religion et le droit sont une archéologie et non une référence religieuse dogmatique).

    La problème avec ce qui est l'idéologie (majeure) des modernes et surtout des américains du Nord,c'est que cette notion d'individu ressort d'un imaginaire,insulaire,de l'insularité égotique,du mythe,de l'idéologie et surtout de l'UTOPIE,utopie absolutiste du recours exclusif à sois pour être ,devenir ,et prétendument déchiffrer le monde(utopie symétrique de celle du holisme communiste).

    A mon sens (avec quelques autres apparemment),seule ,du moins dans les langues européennes la notion de PERSONNE (singularité sociale on pourrait dire) correspond vraiment à notre être effectif,à notre constitution fondamentale et paradoxale,avec même aussi l'insociable sociabilité que relevait déjà E Kant et que Hobbes avait déjà repérée avant lui par sa maxime:
    "L'Homme est un loup pour l'Homme,l'Homme est un dieu pour l'homme".

    Enfin,dans ce développement limité pour cette vaste question ,je ne saurais trop renvoyer à l’œuvre de l'anthropologue français Louis Dumont (+1998)
    et notamment ses "Essais sur l'individualisme" où il redéfinit la notion d'idéologie ,ici celle de l'individu.

    L Dumont était un indianisme ("Homo hierarchicus") ,un grand connaisseur de M Weber et de Tocqueville.

  • @ Montagne:

    Merci pour ce développement.

    Je crois comprendre cette notion de personne que vous décrivez, même si les contours ne m'en paraissent net qu'en matière de droit (par l'existence juridique) et d'entité sociale interactive.

    Vous parlez d'interaction, notion à laquelle je souscris et utilise aussi dans ma perception des relations.

    Je précise alors ce que j'entends par individu. Par comparaison: si la personne est une entité socio-juridique, l'individu est une entité psychologique et morale dont le mode de réflexion et d'action peu se détacher peu à peu de la modélisation ou même partiellement de l'interaction sociale.

    Un individu (entité multiple mais non divisée) groupe en lui divers types d'informations et d'influences sans avoir plus à se référer à une Autorité (un groupe, une hiérarchie), sans être morcelé par les appartenances dont il est issu mais qu'il n'a pas ensuite consciemment changé, ou pour lesquelles il n'y pas confirmé personnellement son adhésion.

    Il y a, dans l'individu tel que je l'envisage, une plus grande autonomie de conscience et de décision que dans la personne socio-juridique. Si la personne est une émanation et un élément interactif d'un groupe, l'individu (qui est aussi une personne) devient en lui-même un pôle d'évaluation et de décision qui peut s'écarter sensiblement du moule dont il est issu. Dans cette perspective on ne saurait donc devenir un individu sans avoir été une personne socio-juridique (et sans continuer à l'être), mais on développe une plus grande autonomie et liberté d'action et de choix.

    L'individu reste redevable envers le groupe: (stimulation de sa pensée, choix de ses modèles, règles sociétales) mais le curseur est davantage posé sur une (relative) autonomie plutôt que sur l'interaction. Par exemple, enfin j'espère que cet exemple est valable: une personne à laquelle l'on donne une gifle est une victime et peut y réagir (légitime défense, dépôt d'une plainte, médiation). Un individu à qui l'on donne une gifle garde sa propre ligne. Il peut réagir ou non, selon sa propre détermination morale, pédagogique, ou par le calcul des avantages (utilité) et inconvénients.

    C'est en ce sens que je vois l'individu comme décideur de sa vie, même si cela ne supprime par le groupe et l'interaction.

    J'espère être clair!... Je ne sais pas si le débat n'est ici que sémantique ou s'il relève de deux aspects différents de la réalité.

    De fait il me semble que le modèle nord-américain prône l'importance de la personne par rapport au groupe, avec comme objectif de faire émerger des individus.

  • @hommelibre,

    Je ne suis que montagnard et non pas montagne,déjà très difficile à soulever -:)

    La notion de personne,profondément d'origine chrétienne et juive par antécédent ,fut par son bouleversement de la manière de nommer et de comprendre la singularité humaine, le signe,l'appel et le véhicule conceptuel et spirituel du dégagement européen de la singularité,comme on dégage un profil de la pierre ,par la sculpture.

    Nos concepts découpent le monde et le forme aussi pour une part,surtout quand il s'agit du monde humain,profondément symbolique ,langagier et imaginaire,tout autant que biologique.

    Le monachisme(de monos :seul),par exemple à son origine égyptienne(St Antoine),fut une expérimentation du pouvoir de singularité et de solitude,donnant ensuite naissance à une agrégation des voyageurs spirituels pour les besoins prosaïques.L'érémitisme en sera une autre figure,accentuée.

    En matière de pratique de la singularité,les modernes occidentaux dépendent par héritage de cela,même s'ils n'en ont plus conscience.La personne (et c'est pour cela que je vous citais le texte de Boëce) fut une construction-expérimentation ,pratique ET conceptuelle que vous trouvez puissamment dégagée par cet auteur,philosophe ,haut fonctionnaire chrétien(et romain) du nouveau pouvoir germanique installé à Rome.Ce texte débattant de la question de la trinité ,de la substance une et tierce n'est pas juridique.Il a joué avec ,les travaux de logicien de cet auteur, un rôle fondamental dans l'élaboration conceptuelle européenne.

    Mon point,exposé de manière hélas un peu compact,concerne l'approche de la réalité humaine (la notion d'individu est elle un bon outil ici?) ,et les impensés qui encombrent notre intelligence de la singularité,à quel point nous leurrent-ils?

    Poser une polarité(antagoniste tendanciellement) individu-société,c'est justement être pris dans les rets du langage et être condamné à une circularité,une quadrature du cercle,très moderne.

    Par conséquences implicites,cela conduit,je pense, aussi ,à mal s'orienter dans notre analyse du monde contemporain.Je suis ici intéressé à trouver les meilleurs instruments pour comprendre et diagnostiquer.C'est la puissance clinicienne des instruments conceptuels qui me semble importante.

    Le débat américain,qui utilise les mots de la tribu(individu en étant un) et ses croyances dominantes,transcrit cette circularité et ce puissant effet d'illusion sur ce que nous sommes et pouvons être.

    Ce qui me préoccupe aussi c'est cette surenchère sociale (encore un paradoxe constitutif) et idéologique tendant à faire de la singularité nommée individu un ABSOLU ,dans une course maximaliste qui donnerait à penser que c'est le dernier absolu des occidentaux,alors qu'ils ont abandonné tous les autres.

    Car nous devenons (autant que faire ce peu suivant le type de société)de plus en plus en plus singulier (individuation) lors de la courbe de notre existence,dépendants de multiples interactions directes ou indirectes avec autrui et le monde en général.Autre paradoxe ,ce jeu,tout à fait sérieux, est aussi une acculturation à notre milieu social,notre culture,et nous rend encore plus marqué par la culture,encore plus lié à elle spécifiquement.

    Même les ermites ,sont issus de cultures spécifiques et leur individuation s'en ressent donc.

    Individuation est aussi un vocable issu de la philosophie de la nature et de l'étude du vivant inaugurée par Aristote .

    Pour mon compte,le modèle,je préférerais parler de l'expérience , ou aussi de la dynamique nord-américaine,favorise et valorise l'individu comme terme et l'idéal d'insularité mobile(dans la perception et la compréhension collective),l'intuition de la personne(notion plus réaliste) ne demeurant que marginale,parmi les milieux encore marqués par les cultures chrétiennes classiques,et de moins en moins dans les cultes dominés par ce qu'il faut bien nommer l'absolutisation de la singularité.

    Ce qui est tendanciellement une façon de mener cette singularité par sa course hyperbolique à l'impasse.

    On pourrait dire ici aussi que:

    "c'est la dose qui fait le poison"

    Et qu'une mauvaise boussole nous égare.

    Nous sommes aussi partie de cette évolution en Europe.

    A ce sujet un beau livre:

    "Une folle solitude" d'Olivier Rey (seuil).

    Où vous retrouverez d'ailleurs P legendre et des analyses remarquables sur l'évolution du rapport hommes-femmes,dans une langue très claire.

  • @homme libre,

    J'allais oublier un détail intéressant:

    l"interactionnisme symbolique" est une école d'origine américaine.

  • "

    Tout au long du XXe siècle, les enfants, dans leurs poussettes, ont fait face à l'adulte qui les promenait. Jusqu'aux années 70, où un retournement massif est intervenu : brusquement, on s'est mis à orienter les enfants vers l'avant. Pourquoi cette inversion ?

    La question, sous ses apparences anodines, nous entraîne dans une enquête inattendue et passionnante au coeur du monde contemporain. La démocratie et la science, nos références cardinales, ont contribué conjointement au retournement : l'une et l'autre privilégiant un sujet libéré du poids du passé, des entraves traditionnelles, un sujet regardant d'emblée vers l'avant et auto-construit.

    Sommes-nous pour autant devenus des surhommes qui tirent leur être d'eux-mêmes et élaborent de façon autonome leurs valeurs ? Ou bien sommes-nous restés des hommes qui, à récuser toutes les autorités, risquent de s'abandonner aux déterminismes aveugles et aux fantasmes régressifs que, vaille que vaille, les civilisations s'efforçaient d'apprivoiser ?

    Pour Olivier Rey, les récits inventés depuis un demi-siècle par la science-fiction sont moins fantaisistes qu'on ne le pense : ils nous instruisent sur un réel qui, sous des dehors rationnels, est plus que jamais gouverné par l'inconscient. Ses analyses éclairent les orientations actuelles de la biologie qui, s'emparant de la reproduction humaine, a entrepris de matérialiser des théories infantiles, de nous affranchir des chaînes généalogiques et de l'obscurité de l'origine sexuelle. L'examen des doctrines éducatives en usage, promouvant un enfant délivré de la tutelle des adultes, constructeur de ses savoirs et de lui-même, nous permet de mesurer à quel point l'utopie de l'auto-fondation a pénétré notre monde."

    Olivier Rey,présentation

  • @ Montagnard

    Diablement intéressant vos réflexions, bien que bardées de jargon et de références intelligibles que pour des initiés en philo-sociologie.

    Au delà de ça, le sujet soulevé démontre comment une notion simple et usuelle peut être décortiquée et surtout comment le commun des mortels a tendance à surfer sur des vagues qu'il ne comprend pas toujours, tout en affirmant qu'il se comprend très bien.

    De vos exposés compact, comme vous le dîtes, il en ressort à mes yeux, quelques traits lumineux:
    La psychologie insulaire propre à un courant "d'expérience" majoritaire actuel nord américain et /ou occidental.

    Dans cet essai de discernement de la personne et de l'individu, le paradoxe patent du culte américain de la personne et de la réussite individuelle, est qu'en même temps, on voit dans ce pays un patriotisme élevé au niveau de valeur absolue. C est révélateur de ce vous appelez une psychologie insulaire et circulaire.
    Pour reprendre le thème proposé, selon votre nuance, "c'est la dose qui fait le poison", j'irai chercher un éclairage antique. Le terme de persona qui représente cette interface qui organise le rapport de l'individu à la société, alors que l'individuation selon les termes de Jung « la prise de conscience qu'on est distinct et différent des autres, et l'idée qu'on est soi-même une personne entière, indivisible. L'individuation est une des tâches de la maturité. » Cet aspect aurait tendance à se vivre dans l'intimité intérieur amplifié ou non par le masque de la persona.
    Le rapport de ces deux aspects ferait le poison ou non de la société; puisque il faut donc comprendre la persona comme un « masque social », une image, créée par le moi, qui peut finir par usurper l'identité réelle de l'individu.

    Dans ce cas là, je ne crois pas que le système américain fasse grand cas de l'individuation, mais valorise au contraire les artifices de la persona. Pour cela nous ne sommes pas tous égaux car la personnalité sociale dépend effectivement pour beaucoup de l'habitus de l'environnement originel.

  • @ kasilar

    suite

    ces femmes nient la différence de fonctionnement sexuel des hommes et des femmes, nient l'attrait visuel du corps de la femme pour l'homme.
    c'est le culte de l'indifférenciation poussé au maximun, cette chére théorie "GENDER" chére aux lesbiennes féministes américaines.

  • Leclercq

    Merci d' avoir poster le lien en question.
    Ça fait plusieurs mois qu' aux États-Unis des femmes se promènent les tetons à l' air.
    Mais la question est pourquoi les seins des femmes ont ce caractère érotique là oú dans certaines tribus africaines n' y voient aucun effet.
    Est-ce du aux cultures et mentalités ou est-ce du à un comportement inné masculin ?
    Pourquoi les feministes y voient une inégalité là oú les seins jouent un rôle sexuel du fait de la relation d' Œdipe ?

  • @ kasilar

    "oú dans certaines tribus africaines n' y voient aucun effet."

    je pense que c'est une différence de cultures.

  • @ Montagnard

    "Sommes-nous pour autant devenus des surhommes qui tirent leur être d'eux-mêmes et élaborent de façon autonome leurs valeurs ? Ou bien sommes-nous restés des hommes qui, à récuser toutes les autorités, risquent de s'abandonner aux déterminismes aveugles et aux fantasmes régressifs que, vaille que vaille, les civilisations s'efforçaient d'apprivoiser ? "

    non nous sommes toujours des hommes.

    "Aujourd’hui que l’on supplie les enfants de bien vouloir aller au collège ou au lycée (au point de prévoir pour cela une « cagnotte »), et que l’on veut bien les assurer que, quoi qu’ils fassent, ils auront toujours droit à ce que l’Etat leur fournisse remédiation et aide personnalisée, l’école a perdu ce pouvoir de socialisation. Des professeurs ont beau s’échiner, des structures ont beau proposer tous les aménagements possibles, le droit à l’éducation a tué l’instruction du peuple. Des générations de beaux esprits ont tant clamé «ni Dieu ni maître» qu’ils ont aboli toute forme d’autorité nécessaire à la transmission des savoirs, processus lent et complexe s’il en est.

    Car dans le même temps, ils ont estimé que ces vieux savoirs – ceux-là même qui devaient émanciper les individus par la fréquentation des grandes œuvres et la connaissance pratique des sciences – ne servaient à rien. Seul comptait pour chacun de se réaliser, de se révéler à soi-même. En cela, ils se faisaient les meilleurs complices d’une société de consommation qui prétend développer le bien-être des peuples pour mieux augmenter le profit de quelques grands groupes (et tuer ce tissu de petites entreprises qui fait la richesse économique, sociale et culturelle d’un pays). Escroquerie intellectuelle dont on commence à peine à entrevoir l’ampleur. Cet enfant dont on prétend développer l’ «esprit critique» à coup de « débats citoyens » et de vagues « travaux personnels encadrés » avec un professeur dans le rôle du Gentil Organisateur, cet enfant-là n’a plus le cadre ancien qui écrasait des masses populaires contraintes par un ordre injuste, mais il n’a pas pour autant acquis ce savoir qui lui permettrait d’agir en individu autonome et responsable, capable d’exercer son libre arbitre, et donc d’adhérer aux lois délibérées en commun. Autrement dit, il n’a pas reçu les armes intellectuelles pour assumer son statut de citoyen et résister à cette arme de destruction massive qu’est la télévision (aujourd’hui fabuleusement secondée par les jeux vidéo et les réseaux sociaux, ces outils d’asservissement pulsionnel)."

    "Mai 68

    Mai 68 a été le cristalliseur de toute cette idéologie égalitariste de renversement des valeurs. Pour comprendre ce phénomène, il est essentiel de garder à l’esprit que ceux qui ont fait la révolution étaient les enfants de ceux qui avaient 20 ans en 1940. Autrement dit, les enfants de la défaite de 40, porteurs de cette idée que les valeurs de leurs pères n’étaient pas les bonnes puisqu’elles avaient échoué. Ils ont donc entièrement remis en cause l’héritage collectif.

    Mais quand je vois Stéphane Hessel, un homme éminemment estimable, qui, dans son livre Indignez-vous ! soutient les désobéisseurs – ces instituteurs qui refusent d’appliquer les programmes de 2008 parce que ceux-ci comportent de l’apprentissage par cœur et des exercices systématiques pour faire travailler la mémoire, ce qui, selon eux, relève du fascisme -, je trouve cela catastrophique. Il les soutient pour la simple raison que pour lui toute résistance est bonne ; parce que notre société valorise par-dessus tout l’opposition et considère qu’on est soit rebelle et résistant, soit fasciste. Et où l’on vous explique que tout apprentissage par coeur est stupide, ce qui est totalement faux puisque pour réellement apprendre il faut forcément comprendre.

    Simplement, apprendre par cœur implique qu’on a pris le temps d’assimiler ; de faire sien le savoir. Ce qui est à l’opposé du culte de la spontanéité hérité en partie de Mai 68 qui veut qu’on exprime son moi, qu’on laisse parler sa créativité. Mais c’est une aberration ! Cela fait l’impasse sur le besoin qu’a chacun de se nourrir du savoir des autres avant d’être capable de raisonner par lui-même. Parce que, qu’on le veuille ou non, tous les gosses ne sont pas des Rimbaud en puissance. Cette obsession du fascisme nous vient de Mai 68. De ce fameux “Cours jeune homme le vieux monde est derrière toi” et, avec lui, du fantasme de l’homme autoconstruit fondé sur l’idée que, pour être soi-même, il faudrait ne rien avoir à faire avec les siècles qui nous ont précédés. Mais pour être soi-même il faut aussi savoir d’où l’on vient. Il faut qu’on nous ait transmis un héritage. Sinon on ne sait pas où l’on va."



    "Individu versus collectif

    On le sait, Mai 68 n’est que l’aboutissement d’une montée de l’individualisme qui débute en réalité à la Renaissance. C’est là que l’on voit émerger cette notion d’individu même si, à l’époque, il s’agit d’individu existant au sein d’une collectivité. En fonction du regard des autres. C’est pourquoi l’idéal humaniste porte sur cette idée de l’homme qui acquiert les savoirs pour conquérir sa dignité. Aujourd’hui, même s’il est évident que tout individu a droit au respect, cette notion n’implique plus la moindre contrepartie. Alors, on oublie qu’on est dans une collectivité et que l’individu doit quelque chose aux autres. Si bien qu’on le voit peu à peu écraser le collectif.

    Toute cette problématique que l’on désigne sous le terme d’incivilité vient de là : du fait qu’aujourd’hui, l’individu se définit contre les autres. Alors que, dans une communauté, toute action individuelle a un impact sur le groupe. Mais le problème est que cette réalité n’est plus jamais enseignée. Résultat : cela produit une société décivilisée, au sein de laquelle chacun fonctionne comme une sorte de structure solitaire qui exige des autres mais qui jamais ne se sent redevable. C’est ainsi que la société actuelle produit de la barbarie. Dans le sens où est barbare celui qui ne se sent pas appartenir à la civilisation. Ce qui se produit par absence de mémoire, lorsque l’on n’apprend plus aux jeunes qu’ils sont le produit d’une civilisation. Si l’école ne transmet pas cet héritage, on se retrouve avec des individus complètement coupés de ce qui les a précédés et, à cela, s’ajoute l’absence de dimension morale, avec des individus coupés de ce qui les entoure. Ce qui aboutit à la barbarie : à l’incapacité de produire une communauté."



    "Individu versus collectif

    On le sait, Mai 68 n’est que l’aboutissement d’une montée de l’individualisme qui débute en réalité à la Renaissance. C’est là que l’on voit émerger cette notion d’individu même si, à l’époque, il s’agit d’individu existant au sein d’une collectivité. En fonction du regard des autres. C’est pourquoi l’idéal humaniste porte sur cette idée de l’homme qui acquiert les savoirs pour conquérir sa dignité. Aujourd’hui, même s’il est évident que tout individu a droit au respect, cette notion n’implique plus la moindre contrepartie. Alors, on oublie qu’on est dans une collectivité et que l’individu doit quelque chose aux autres. Si bien qu’on le voit peu à peu écraser le collectif.

    Toute cette problématique que l’on désigne sous le terme d’incivilité vient de là : du fait qu’aujourd’hui, l’individu se définit contre les autres. Alors que, dans une communauté, toute action individuelle a un impact sur le groupe. Mais le problème est que cette réalité n’est plus jamais enseignée. Résultat : cela produit une société décivilisée, au sein de laquelle chacun fonctionne comme une sorte de structure solitaire qui exige des autres mais qui jamais ne se sent redevable. C’est ainsi que la société actuelle produit de la barbarie. Dans le sens où est barbare celui qui ne se sent pas appartenir à la civilisation. Ce qui se produit par absence de mémoire, lorsque l’on n’apprend plus aux jeunes qu’ils sont le produit d’une civilisation. Si l’école ne transmet pas cet héritage, on se retrouve avec des individus complètement coupés de ce qui les a précédés et, à cela, s’ajoute l’absence de dimension morale, avec des individus coupés de ce qui les entoure. Ce qui aboutit à la barbarie : à l’incapacité de produire une communauté."



    Natacha Polony

  • @aoki,leclercq,

    Bonsoir,merci pour votre lecture attentive ,faute de temps ce soir ,et plus directement et concrètement en rapport avec le sujet immédiat de l'article d'"homme libre",je vous met le début d'un article fort clair et remarquable ,une analyse politique de la différence USA -Europe (surtout UE) qui répondra aoki en partie à vos questions:

    "L'Empire européen universel contre le SOUVERAINISME américain"

    "La décennie 2000-2010 a été marquée
    par le dévoilement d’une fracture idéologique
    de plus en plus profonde entre l’Amérique
    et l’Europe, assimilée par plusieurs à une
    faille atlantique. Entre une Amérique encore
    fidèle à la souveraineté westphalienne, « aux
    réflexes patriotiques intacts »1, pour reprendre
    la formule de Marcel Gauchet et une Europe
    que Robert Kagan disait « en train de renoncer à la puissance […] au profit d’un
    monde clos fait de lois et de règles, de négociation et de coopération transnationales »2,
    la divergence des continents était à l’ordre du jour. Il y avait là une description
    juste de certaines tensions diplomatiques. Pourtant, cette description recouvrait
    l’émergence de deux figures de la souveraineté très contrastées. Certes, l’élection
    de Barack Obama, en novembre 2008 a représenté pour plusieurs la promesse
    d’une réparation de la fracture atlantique. Barack Obama est sans aucun
    doute commis envers l’idéal d’une gouvernance mondialisée, lui qui s’est pré-
    senté comme un « citoyen du monde » lors de son discours de Berlin3 en lançant
    alors un signal clair : sa présidence serait notamment dévouée au réinvestissement
    de la souveraineté américaine dans les paramètres élargis de la
    « communauté internationale » pour y assumer un leadership global4. Les
    années à venir nous permettront d’évaluer la « réussite » du nouveau président
    américain déjà nommé prix Nobel de la paix. Mais pour l’instant, la présidence
    Obama n’est pas parvenue à surmonter structurellement la faille atlantique,
    cela parce qu’elle relève moins d’une certaine dynamique géopolitique
    propre à la structure du système international qu’elle n’est la conséquence dans
    le domaine de la politique internationale de la dynamique idéologique propre
    à la société américaine. C’est à tout le moins cette piste que nous suivrons
    dans cet article.
    L’empire universel européen
    La construction européenne est au coeur de l’agenda politique des élites politiques
    et culturelles du vieux continent, et cela, depuis une vingtaine d’années."


    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est chargé de
    cours en sociologie à l’Université
    du Québec à Montréal et en science
    politique à l’Université de Montréal.
    Il est notamment l’auteur de
    La dénationalisation tranquille :
    mémoire, identité et multiculturalisme
    dans le Québec post-référendaire
    (Boréal, 2007).

    Revue:"Controverses" n°16- 14/02/11 16:23 Page 90

  • Revue "Controverses",pour la suite de l'article,voir les sommaires des numéros:

    www.controverses.fr

  • La question de l'"autorité" est centrale dans la foisonnante complexité du XXe siècle. Comprendre mai 68, qui symbolise un déroulement de la pensée européenne ancien de plusieurs siècles, doit s'inscrire dans une démarche d'émancipation globale à l'égard des autorités politiques et religieuses.

    Les enfants de 68 sont en partie sont peut-être liés à la défaite de 40 en effet, puisque cette défaite sonnait le glas d'une toute-puissance rêvée et parfois atteinte dans le passé. Mais ils sont aussi les héritiers de l'échec de 89: l'échec d'une pensée libre qui était impossible sans la constitution préalable d'un nouvel Etat. Ils sont aussi les enfants révoltés contre la collectivisation communiste et nazie. Les enfants d'une époque où la transmission des valeurs protectrices de la nation et de la religion ont échoués et laissé une Europe dévastée.

    Cet individualisme n'était pas nouveau. Comme vous le dites, Montagnard, la monarchie était un symbole de l'individualisme, de l'individu érigé et roi proclamé de sa propre existence. 89 proclamait les droits humains - soit ceux de la personne socio-juridique. Mais l'individu préexistait - Jésus en est un modèle.

    Si je reviens aux Etats-Unis, on ne doit pas oublier la force du mythe, le mythe des colons allant s'établir jusqu'au Pacifique et créant leur exploitation de leurs mains à partir de rien. On est au-delà de la personne socio-juridique, me semble-t-il. Cette philosophie de liberté était bien une rupture, même si elle était en partie de produit de l'évolution européenne et même si elle transportait des moules du passé, comme la religion qui servait de liant collectif dans cette forte émergence individualiste.

    Là où, en effet, l'Europe s'enferre dans l'accumulation de règlements divers, l'Amérique, "Le nouveau Monde", proclame la primauté de l'action individuelle sur la prise en charge communautaire. Il y a bien une une forme de rupture conceptuelle, avec bien sûr de nombreux paradoxes, dont le patriotisme. Patriotisme qu'il faut peut-être apprécier moins comme l'appartenance à une Nation abstraite (comme on l'a vu en France où il fallait faire des enfants pour la Nation...) mais comme l'appartenance à une nation choisie qui émerge de la communauté. La communauté d'individus forme la nation, alors qu'il me semble qu'en France par exemple, la Nation forme la communauté.

  • @aoki,

    Bonjour,

    Oui,vous avez raison ,certaines notions quotidiennes comme celle d'individu sont trompeuses,car sorties de l'usage basique (et encore) tel que celui de: "membre d'une espèce vivante",donc biologique qui fut inauguré par Aristote,leur complexité est très grande et trompeuse.

    C'est cependant un terme,renvoyant à des manières de pensée et de vivre,de première importance et cela vaut la peine de se bagarrer un peu avec.

    Cette notion a une histoire et en la parcourant on est surpris par le fait qu'elle ne fut pas toujours évidente (faussement).

    Ainsi de ce que Jean-Pierre Vernant nous appris des grecs anciens qui à l'age classique étaient encore incapables de se penser comme individus:

    "L"individu,la mort,l'amour"
    "Soi-même et l'autre en Grèce ancienne." (collection folio,Ed:Gallimard).

    Mon point ,c'est qu'en ne traitant pas de manière assez critique,avec un recul analytique,ce type de notion,on est contrôlé par elle ,bien plus qu'on ne peut réfléchir ce qu'on souhaite en l'utilisant comme instrument .

    @homme libre,

    voici un extrait de l'émission"les lundis de l'histoire" que J Le Goff consacra au texte de Vernant sur FC,et où il l'interrogea en 1989:

    "Jacques Le Goff : Jean-Pierre Vernant, nous arrivons vers le terme de ce débat. Débat qui je le signale aux auditeurs qui ont sans doute perçu un certain nombre de bruits qui n’accompagnent pas, normalement, les « Lundis de l’histoire » mais nous enregistrons ce débat dans les locaux qui ont été spectaculaires, éphémères aussi, qui ont été dressés au Tuileries. Jean-Pierre Vernant, ce qui était, je crois, la question principale de votre recherche, ce qui était au début, il faut maintenant, je crois, le regarder en face, je dirais à la fin de ce débat, l’individu. L’individu, où se trouve-t-il au bout de tout ça ?

    Jean-Pierre Vernant : Ce papier, qui est le dernier de ce recueil, qui, je crois, ramasse un peu les fils. D’abord je dirais que je ne l’aurais jamais écrit s’il n’y avait pas eu les trois volumes de Michel Foucault. C’est tout à fait claire, j’ai, là, une dette, je dois la dire, d’ailleurs, elle est évidente. Et, me posant le problème de l’individu et le posant un peu dans les termes où Louis Dumont avait abordé le problème lorsqu’il avait distingué deux façons, pour l’individu, de surgir dans une communauté humaine, dans un groupe humain, dans une culture. D’une part, un individu qui surgit en se retirant de tout ce qui est la vie mondaine, la vie ici-bas, la vie dans les relations sociales pour accéder à un autre plan qu’il appelait : l’individu hors du monde, et d’autre part ce qui me frappait c’est qu’en Grèce ce qu’on voyait surgir c’était un individu dans le monde. C’était, qu’il s’agisse des activités sacrificielles, des activités politiques, de la famille, qu’il s’agisse du droit, qu’il s’agisse des formes des transmissions des biens avec des formes d’héritages, des testaments, ce qu’on voit apparaître à un moment donné c’est quelque chose qui est un espace, une marge où l’individu, si je peux dire, n’est plus téléguidé, télécommandé par ses statuts sociaux, une marge d’initiative. Ça, c’est l’individu sur le plan, en quelque sorte, social. Comment se fait-il qu’en Grèce il y a eu ces espaces qui se soient dégagés ? Et, comment les définir ? Et puis, reprenant et, peut-être modifiant, en raison de la nature de ma recherche, ce que Foucault avait fait, quand il distinguait sens, j’ai indiqué qu’il y avait deux éléments. Le « sujet », ce que j’ai appelé le « sujet » et, ici, des problèmes de vocabulaires se posent, certainement, et d’autres part ce que j’ai appelé le « moi ». Alors, pourquoi le sujet ? Le « sujet » parce que ce qui m’a paru intéressant c’est la forme particulière que prend en Grèce l’énonciation du « je ». C’est-à-dire, au moment où nous avons des textes, des discours qui s’adressent en disant : « Je ». C’est la poésie lyrique. C’est ce problème de la poésie lyrique et il m’a semblé qu’il était intéressant de voir après l’épopée qui chante la gloire du héros, jeune, mort, de voir apparaître une forme de poésie où ce qu’on chante ce sont ses émotions, ses désirs amoureux, ses regrets, et, après bien d’autres, j’ai indiqué le fait que ce « Je », ce sujet, était un sujet tout à fait différent de cette espèce d’effort de contrôle de soi. C’est un sujet qui est, en quelque sorte, livré aux vicissitudes du temps qui passe. Le temps est vu comme quelque chose qui vous conduit de façon inéluctable à la mort et on éprouve une espèce de sentiment douloureux, qu’on est dispersé sur les flots de ce temps et on exprime ça poétiquement. C’est-à-dire qu’on fait de son expérience subjective, un Topos littéraire, un modèle littéraire qui va être transmis, qu’on communique avec autrui en faisant de ce qui est subjectif, passif, douloureux, ou des espoirs qu’on peut avoir, ou du plaisir de l’amour, ou du regret de ce qu’on a perdu, un élément qui doit être transmis à autrui. Ça, c’est le « Je ». Et puis alors, il y a ce que j’ai appelé le « moi » et que j’ai appelé, aussi, la personne et peut-être ai-je eu tort, parce que la personne c’est à la fois les trois et les façons très différentes dont ces choses se construisent. Le « moi » c’est quoi ? C’est toutes les procédures à travers lesquelles on dirige son attention sur la façon dont on est soi-même non seulement pour s’auto-analyser mais pour se contrôler et pour se modifier. Cette façon d’avoir souci de soi et de se fabriquer soi-même par une série de techniques mentales qui apparaissent et qui peuvent être aussi bien l’examen de conscience que la remémoration de tous les faits de la journée, ou l’examen, par exemple de ses rêves nocturnes. Il y avait chez Foucault, une analyse tout à fait pertinente l’onirocritique grec. C’est-à-dire de ce travail qui a été fait dans une série de traités pour classer les différents rêves qu’on pouvait faire et voir leur signification. Cette signification est sociale, dans l’onirocritique, et elle a une vertu prémonitoire. Elle vous indique ce qui va vous arriver et si vous allez réussir ou échouer, si vous allez, dans une traversée que vous faites, gagner beaucoup d’argent ou n’en pas gagner etc. Or, ce qui est très intéressant, c’est de voir que, dans le moment qui représente le terme ultime de mon analyse, la différence, le moment où, dans des monastères, les jeunes moines viennent raconter leurs rêves à celui qui a leur responsabilité et la façon dont ce rêve est interprété. Il n’a plus ni signification sociale, ni signification prémonitoire. Le problème est de savoir si vous avez rêvé de cela est-ce que vous êtes pur ou non. Par exemple, vous avez fait un rêve, vous avez fait une émission nocturne, qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ça veut dire qu’il y a une partie de vous qui n’est pas encore transparente à la présence divine ou pas ? Et alors, il y a toute une casuistique qui n’a plus aucun rapport avec ce que faisait l’onirocritique grec. Casuistique pour savoir dans quelle mesure ce que vous avez vécu dans votre sommeil, intérieurement, sous forme d’images, de désir ou même de satisfaction érotique, ça signifie quelque chose pour ce que vous êtes, vous-même. Alors, là, il y a un changement qui m’apparaît comme un des révélateurs du dégagement de quelque chose qui est le moi intérieur, l’idée qu’il y a un monde, qui est le monde de la conscience de soi, et qu’il s’agit d’explorer intérieurement ou en parlant avec des directeurs de conscience et de mettre eu point toutes le techniques à travers lesquelles ces replis de l’intériorité peuvent tout d’un coup être éclairés."

  • Dans l'extrait d'interview plus haut j-p Vernant ,traitant du problème de la construction de la notion et des réalités qu'elle traite,utilise des termes qui ne sont pas les miens,mais pour des problèmes qui sont exactement les mêmes.

    C'est une des difficultés de cette question,car le vocabulaire n'est pas normalisé ,du moins pas encore.

    @homme libre,

    Il me semble,plutôt que l'Europe (avec ses importantes différences ,pensons au contraste GB -Suéde,par exemple),et les USA appartiennent au même ensemble,en distinction majeure d'avec le monde musulman,l'Inde ,le Japon et en fait encore une bonne partie du monde,même si celui-ci est maintenant irrigué par les mentalités occidentales et nos mœurs.

    Ce monde,le notre est celui d'une absolutisation de la singularité, de ce que nous nommons généralement "individu".L'UE produisant une version bureaucratique de cette poursuite ,l'on pourrait ainsi parler d'individualisme bureaucratique dans son cas.Les USA offrant plûtot la version ouvertement "héroïque" et solitaire de cela.

    Mais les deux sont étroitement parents dans leur évolution même, et cela se repère très bien,comme l'a souligné,ici, avec intuition leclercq ,dans la question de l'éducation où AU-DELÀ des oppositions public-privé la domination de ce qu'on appelle couramment "le progressisme" avec son obsession de l'autonomie immédiate de l'enfant ou de l'adolescent,renvoie à cette vision de l'individu comme absolu.

    @aoki,

    Et là quand vous écrivez:

    "le paradoxe patent du culte américain de la personne et de la réussite individuelle, est qu'en même temps, on voit dans ce pays un patriotisme élevé au niveau de valeur absolue. C est révélateur de ce vous appelez une psychologie insulaire et circulaire."

    Vous mettez le doigt sur un point saillant (que traite bien M Bock-Côté avec sa perspective).

    Mais à mon sens (et pour s'en convaincre il suffit de penser au caractère incroyablement procédurier des USA:près de 50/100 des avocats du MONDE exercent là-bas),même si le patriotisme reste une valeur majeure,dans la structure des valeurs de la culture c'est bien l'individu qui a le statut le plus haut dans la hiérarchie,tendant vers l'absolu ( lit:ce qui est inconditionné,délié de tout lien:solutus absolutus).

    Et là,apparait une dimension majeure de nos existences,l'ironie(ironie dans les situations,objective),car mon point c'est que ce caractère hyperbolique de l'individu et de l'individuation(norme sociale cependant) est finalement une menace majeure d'autodestruction du besoin et de la capacité d'autonomie humaine par excès et perte de mesure de son expression et de sa valeur de norme.

    C'est pour cela que je citais la maxime Hippocratique:
    "c'est la dose qui fait le poison".

    Ou encore:la chose se renverse en son contraire dans ses effets.

    Et pour mon compte,c'est par souci majeur de cette autonomie des singularités humaines, que je m'efforce de comprendre ce processus largement inconscient (encore).

    C'est pourquoi ,votre remarque sur l'insularisme américain (avec ses nécessités et Bock-Côté leur rend bien justice) ,est fort pertinente,car celui-ci nous concerne,même si nous en produisons une version "éparpillée",atomisée et très bureaucratique dans le cas de l'UE.

    Mais cette préoccupation a une histoire et pour l'approcher il suffit ,par exemple,de se référer aux interrogations que Tocqueville,grand libéral, faisait à la modernité apparaissant alors.

    Ce qui me paraitrait important aussi c'est de bien prendre en compte la vieille proposition:
    "l'absolu n'est pas de ce monde",afin d'en réserver vraiment l'usage au domaine spirituel et religieux ,à l'écart du monde social et surtout politique ,pour éviter le danger des visions religieuses de la politique ou de la vie en société ET ,étape suivante,les religions séculières encore plus malade de l'absolu.

    Notre pauvre mais indispensable ,charnel et symbolique monde au quotidien ne supporte pas la violence de l'absolu,il est détruit par son irruption,son immixtion.

    A mon avis la "religion de l'individu" est la dernière religion séculière du monde occidental,son dernier refuge (socialisé cependant,comme l'anorexie est un phénomène social par exemple,dans son affirmation extrême de la particularité même).

    Et c'est cet extrémisme,cette illusion extrémiste qui me préoccupe,comme Olivier Rey qui dans "Une folle solitude" la met parfaitement en scène.

    Nous avons tendance à être des Münchhausen .

    "Le terme de persona qui représente cette interface qui organise le rapport de l'individu à la société,..."
    écriviez vous.
    Je ne suis pas jungien, autant que je puisse connaisse cet auteur,cependant vous avez raison d'en rappeler les critères,car une partie des problèmes rencontrés ici relève pleinement de ses intérêts.Mais la notion de personne,qu'il a du croiser ,car ses termes en signalent la présence,ne correspond pas,cependant, à ses découpages conceptuels.

    Et c'est en cette fin de l'antiquité et au moyen age, une notion plus large et plus importante,car il ne s'agit pas,alors, de réunir ce qui est séparé (l'individu et la société) en tant que séparé,mais de marquer l'interdépendance constitutive de ces deux réalités :la singularité de chaque humain ET (en interaction) la sociabilité fondamentale de notre espèce (jusqu'au paradoxal dans le retrait et la solitude).

    De plus la personne (personna)que Boèce introduit dans son petit traité sur la trinité (c'est pour cela qu'il est intéressant d'avoir une bonne édition ,annotée avec les versions latines originales)est pour lui l'équivalent de l'hypostase (terme grec),car la philosophie (et la théologie naissante) parle encore dans cette langue.

    Le point ,l'enjeu,ici,c'est qu'en ce 6° siècle commençant cet auteur s'attache à penser à travers les critères chrétiens nouveaux, les rapports de l'âme et du corps,à les justifier en raison ,en réformant la langue à ces besoins nouveaux .La personne devient ainsi le lieu de la rencontre entre l'âme et le corps,le siège de l'âme et par conséquent de la singularité qui va avec.

    Il s'agit alors bien plus que d'un masque,d'une tunique sociale,même si Boèce ,très cultivé,fait sciemment usage du terme utilisé pour le théâtre antique.

    Et pour finir:

    Y a-t-il un inconscient collectif ou bien du collectif dans les inconscients singuliers?

  • @Leclercq

    Pour les cultures tribales, enfin ce n' est qu' une hypothèse, j' ai l' impression qu' à l'origine les seins n' avaient pas une valeur plus érotique que dans les autres cultures depuis au moins les celtes probablement. Il serait judicieux d' avoir un article traitant des différents rôles du sein, qui a une certaine symbolique : allaitement, erotisation, arme féministe ou argument : des bruleuses de soutif en passant par le bronzage seins nus dans les plages ( libération sexuelle ou utopie féministe afin d' imiter leurs compères masculins ?) jusqu'à aujourd'hui les femens begayant mai 68 contre le "patriarcat" qui selon leur dires forceraient les femmes à porter le voile. Quid du libre arbitre des femmes qui portent la burka ? Surtout que l' alternative prônée par ces rebelles est aux antipodes de la culture de ces femmes .
    Comme l' a souligné Alain Soral, il y a une certaine négation du corps chez les feministes soixante huitarde au même titre que la théorie du genre niant l' évidence même de deux sexes différents.

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