L’élection genevoise fut un séisme. Petit, certes, mais quand-même. Le café du Sabre et de l’Amitié Réunis a vu ses vitres voler en éclats sous la virulence tonitruante de Salika Wenger. Salika dont on sait qu'elle se transforme en Bonono sous l'effet d'une grande émotion. Un cas unique de libido électoralo-suffragiale déphasée. Normalement ce sont les gagnants qui manifestent une érection lors d'une élection.
Salika est rouge. De colère.
- Peuple de gauche, putain de bordel de merde, où es tu? Je porte des Louboutin pour t’attirer dans l’arène et toi, amorphe, passif, tu laisses la droite faire comme si elle était chez elle! Tu lui ouvres ta porte. Tu la laisses entre chez toi. Elle se sert de ta salle de bains et de ta femme. J'ai des doutes: peuple de gauche, es-tu encore de gauche? N'es-tu plus couillu? O rage! O désespoir! O élection ennemie! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie? Mais bon sang de Grand soir, qu’ai-je-fait à Dieu? Faudrait-il qu’en plus j’y croie? Il ne voudrait pas de moi: il a déjà ses revendeurs. Il donne ses voix aux PDC, ses autres voies étant impénétrables. Tu n’y glisses même pas un suppositoire à la glycérine. ... Quoi? ... S’il est constipé? Tu m’étonnes. Depuis le temps! ... Quoi? ... C’est à cause de cela qu’il serait des fois de mauvaise humeur? Ben, je sais pas. Je ne suis jamais constipée et j’ai quand-même un caractère de cochon, paraît-il. ... Quoi encore? ... Ce sont les mauvaises langues qui disent que j’ai un caractère de cochon? Fous-toi de moi en plus. Toi je te préviens: je suis d’humeur massacrante et il ne faut pas me chercher. Parce que si moi j’ai perdu l’élection à cause du peuple de gauche - qui vote comme dit la droite! - toi tu pourrais bien finir en méchoui. ... Quoi? ... Nan, j’inviterai pas le peuple de gauche au méchoui. D’ailleurs tu sais ce que je lui dis au peuple de gauche?
Je n’ose répéter ici la longue bordée qu’elle envoya. Si longue qu’elle se mit à fatiguer. Et quand enfin elle relâcha son bras d’honneur, elle entreprit de frictionner son épaule meurtrie. Une grande sensible Salika. Un rien lui fait mal.
Puis elle recommença à faire un sort au lapin rose qui lui servait de souffre-douleur.
Depuis lors, quand un politicien a mal à l’épaule, on lui demande si le peuple de gauche l’a trahi. Et on lui propose un lapin rose dont chacun sait qu'ils sont d'excellents souffre-douleur. (hum...paphrasant Michel Drucker: Salika, si tu me lis...).
Eric Bertinat lui, promenait sa dégaine et son veston fripé autour du tout nouveau Bar à Zone. Des fois que des bulletins électoraux traîneraient près des urnes renversées où les bouteilles de champagne en disaient long sur les Rivières de Babylone qui coulaient à flot à l’intérieur. Lui qui pourtant avait déployé toute sa force bienveillante pour protéger un enfant de la chute imminente d'une colonne branlante d'un temple (non, ce n'était pas à Antalya), il était mal récompensé. S'il avait sauvé un enfant, il pouvait aussi sauver Genève!
Personne ne lui avait rendu hommage pour cet acte digne de son légendaire courage. Il n’en garda aucune amertume. Il ne l’avait pas fait pour la gloire. Un photographe passait là par hasard, mais il s’en fut aisément passé.
Tournant autour du Bar à Zone il se demandait s’il avait besoin d’un carton d’invitation pour entrer et serrer la main de l’homme du jour, le porteur des lauriers.
A ce moment on lança par la fenêtre trois ou quatre cadavres de bouteilles. Eric les regarda, écouta la musique pop qui sortait de la porte d’entrée, et décida d’aller boire un verre de Gamay dans un café vide sur le point de fermer.
Boney M. - non, Bonny D. - avait, lui, réussi à se faufiler dans la salle du Bar à Zone où l’on servait à volonté la fameuse Tasse de cardon genevois fermenté - une sorte de cervoise du cru. Son costume de Raspoutine le rendait méconnaissable. La soirée était déjà avancée et certaines personnes présentes avaient préféré la sécurité du dallage à l’incertaine stabilité de chaises bon marché.
Le maître du Bar à Zone servait ses convives avec générosité, riant ici, serrant une main là, toujours investi de cette assurance que les lauriers dont son front était ceint confirmaient avec éclat.
Boney M. - Bonny D.!!! - tentait encore de comprendre ce qui lui était arrivé et comment sa superbe confiance avait été à ce point invisible aux yeux du bon peuple de Genève. Son ulcère s’était réveillé et la douleur tordait visiblement son visage. Il chantonnait faiblement: «Je suis tombé par terre, c’est la faute à Wenger, j’me suis cassé la gueule, c’est la faute à Google».
La tenancière passait entre les tables avec ses tasses d’alcool de cardon. Elle vit Bonny D. recroquevillé dans un coin, le visage décomposé, et lui lança:
- Vous voulez boire la tasse?
- ... c’est déjà fait, répondit-il d’une voix mal assurée.
- Et bien tenez, dit la serveuse en lui tendant le précieux breuvage, en voici une deuxième. Ça ne peut pas faire de mal.
A ces mots Bonny D. eût la bonne idée de mettre fin à son propre calvaire. Il sorti du Bar à Zone et se dirigea vers l’aéroport pour prendre son avion pour Moskow. Alors qu’il s’éloignait dans les rues humides et vides et que s’y déversait une musique improbable et tonitruante sur laquelle dansaient de manière lascive et effrénée d’étranges silhouettes déginguandées, pendant qu’il regardait ses affiches en se demandant si sa candidature était au fond une Bonny D., le maître du Bar à Zone le regardait depuis l'entrée. On ne sut jamais ce que signifiait son pouce pointé vers le bas...
Deux jeunes et superbes créatures légèrement vêtues pour la saison vinrent chercher le lauréat et l’attirèrent vers ses hôtes. Il retourna à la fête où les Rivières de Babylone continuaient à couler à flots. Il tenait les jeunes femmes par taille, les couvrant toutes deux de baisers et les incitant à vérifier par elles-mêmes la justesse de mon propos du début sur les gagnants.
Ah!... que la victoire est belle...