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Argent et charité: le syndrome de l’Arche de Zoé

Pascal Bruckner a écrit sur les sans-abris un roman semble-t-il décapant, selon la présentation du Matin du jour. Il s’agit d’éradiquer la pauvreté en éradiquant les pauvres et SDF. Le sérial killer serait un humaniste?

charité,aide,ong,bruckner,famine,Interviewé dans Le Matin dimanche par Anne-Sylvie Sprenger, Pascal Bruckner livre son expérience sur le business de la charité et de la pauvreté. Il a lui-même travaillé pendant quelques années pour l’ONG Action internationale contre la faim. Une des nombreuses ONG qui oeuvrent dans l’aide internationale. Il cite la concurrence entre associations et à l’intérieur d’elles-mêmes.

A l’intérieur il y a les combats d’ego. L’humain étant l’humain cela n’étonne pas. D’ailleurs la valorisation de soi et de sa propre action peut être un bon moteur d’action. La concurrence est âpre également entre associations. Il raconte comment, à l’époque où il y travaillait, les ONG allaient chercher la manne des subventions auprès de la Communauté européenne. Le montant des subventions ne dépendait pas seulement de la part de réalité du terrain couverte par l’ONG, mais de la capacité à émouvoir:

«Chacun voulait alors s’approprier un territoire de famine ou de besoin; c’était à qui allait offrir le spectacle le plus affligeant. On se souvient tous de l’Affaire de l’Arche de Zoé, l’association qui a littéralement kidnappé une centaine d’enfants soi-disant du Darfour. Il y a dans l’esprit caritatif, si l’on n’y prend garde, quelque chose de l’ordre de la dévoration. On veut son pauvre, on veut son affamé, son orphelin, son persécuté.»

Il cite avec lucidité cet l’exemple d’Audrey Hepburn qui posait avec un petit africain affamé dans les années 1950. Il constate qu’il y a dans ce cas un bon retour sur investissement, pour l’association concernée et en terme d’image positive pour l’actrice. Mais, comme le relate la journaliste, le monde est cruel: qui poserait «au côté d’un clochard puant qui qui risque de vous insulter pendant la prise de vue...» Mauvais investissement. «Il faut que la misère soit exotique».

Réflexion intéressante sur le business de la charité. Dans le passé l’aide, par exemple française aux nécessiteux, était organisée, récoltée et distribuée par des organismes privés, dans lesquels l’église catholique tenait une place importante. En France cette aide sociale intérieure a été reprise par l’Etat après la Révolution. L’aide internationale est financée par des subventions publiques et privées. Sur le terrain ce sont en général des groupes privés qui la répartissent, sous diverses formes dont des centres de soin, l’installation d’infrastructures, des formations à une agronomie moderne visant à rendre les paysans autonomes, etc.

On ne peut envisager la fin de la compétition entre ONG, sauf à demander aux Etats de prendre en charge l’entièreté de l’organisation de cette aide. Ce qui suppose que des Etats récipiendaires seraient chargés de la répartition. Au risque de voir l’aide détournée par la corruption. C’est peu envisageable. Mais en laissant une large part de l’organisation de l’aide à des associations de droit privé on prend le risque d’une surenchère devant les politiques en charge de l’attribution des budgets. Actions contre la faim, aide au développement, soutien aux femmes démunies, aide aux populations déplacées, protections d’espèces menacées, aujourd’hui la surenchère des images est un nécessité économique pour certaines organisations. Il s’agit d’émouvoir et de choquer. L’image d’une victime joue subtilement sur notre culpabilité. Mais on ne sait plus quelle réalité recouvre une photo d’enfant affamé, de terre désertifiée, de femme mendiante, d’enfant estropié, une cohorte de réfugiés: on ne voit qu’une image supposée représenter l’ensemble de la réalité.

Le fait de l’aide ne doit pas être remis en question. Nous-mêmes serions très heureux si, n’ayant plus rien à manger, un pays envoie des sacs de blé ou de riz ainsi que des palettes d’eau potable, ou viennent remplacer nos vieux tracteurs rouillés. Mais au-delà des images et mises en scène, c’est à nous de choisir qui nous voulons aider, et comment nous voulons le faire. Sans réagir trop vite à certaines images choc, il nous faut prendre le temps d’une réflexion pour analyser quel groupe est le plus efficace, le moins vorace en charges financières internes, et si possible connaître le bilan de ses actions passées. Ces précautions sont utiles pour rendre l’aide plus efficace et moins dépendante de la compétition des ego et des ONG.

 

Image: famine en Somalie, 2011.

Catégories : Politique, Santé, société 7 commentaires

Commentaires

  • Très bon billet. De l'usage des bons sentiments des bonnes gens et de la véritable efficacité, aussi bien économique que politique, voilà un sujet difficile mais qui devrait donner lieu à plus de réflexions dans un Occident habitué aux shows télé réalité factices.

  • J'ai commencé à répondre ici, mais comme cela devenait trop grand, j'en ai fait un billet :
    http://seulslespoissonsvivantsremontentlecourant.blog.tdg.ch/archive/2013/02/24/humanitaire-vous-avez-dit-humanitaire.html

  • Je viens de re-voir un reportage sur les parents africains qui vendent leurs enfants comme esclaves.
    De nos jours !

  • Excellent article! Le phénomène de la misère présente des aspects très divers. Beaucoup en vivent et en font leur carrière, c'est un fait déplorable. En premier lieu, beaucoup ambassadeurs issus de ces pays se fichent complètement de la famine qui sévit chez leurs frères. Ce cynisme est honteux et peu en sont conscients, à moins d'en avoir connus. La plupart font des petits discours où leur égo est mis en avant et sont capables de foutre un coup de pied au cul aux personnes de bonne volonté qui aide au développement de leur pays. Le problème vient d'abord de chez eux : les personnes qui n'ont d'autres mots à la bouche que "je suis important" ne font pas le travail nécessaire, affichent une arrogance vulgaire face à l'inconcevable misère et se comportent comme de vulgaires profiteurs, tout en se moquant des petits Suisses émus.

    Les ONG se vouent une guerre féroce pour survivre. Parfois, elles se marchent dessus, en se piquant des données, en utilisant le bénévolat pour leur compte. C'est décevant. Certaines sont de mèche avec les Etats et des fonds se retrouvent souvent détournés de leur destination, avec la compicité de certains officiels.

    Globalement, l'aide humanitaire et l'aide au développement font mal. Quoi qu'on en dise, le fait d'avoir trop d'enfants qu'on ne sait pouvoir nourrir et dont une vie humaine ne vaut pas grand'chose ("l'adage qui veut que quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui meurt" montre bien le paradoxe), reste le réel problème. Mais que faire face au malheur des enfants crier famine, sans chaussure, réduits à l'esclavage et à l'animalité, sans autre perspective?

  • Tout les pays émergents ex pays du tiers monde ont décollé non pas grâce à la charité publiques des états occidentaux, mais grâce au rejet du socialisme à l'économie de marché à la mondialisation et à leur politique monétaire notamment l'indépendance de leur banque centrale.

    Et il en va de même pour la quinzaine d'états d'Afrique noire qui jonglent en moyenne annuelle avec 5% de croissance soutenue.

    D.J

  • @D.J. Intéressante interprétation! Le problème posé par l'inutilité de l'aide au développement est qu'elle a été détournée par les ministre des affaires étrangères, sous l'indifférence totale des donateurs, qui trouvent au final leur intérêt à ce staut quo. Suivez mon regard ... Si un fonctionnaire s'avisait de dénoncer même oralement ou dans un rapport, vous pouvez être sûr qu'il perdra son emploi et qu'il disparaître de la circulation.

  • @ Roxanne,

    C'est vrai que j'aurai du aussi évoquer le rejet de la corruption comme source de développement.

    D.J

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