Rituel de mort.

Que l’on soit croyant ou non la mort est un terme que l’on rencontrera inévitablement. Le vendredi avant Pâques est le jour souvenir de la mise en croix et de la mort. Mort de celui dont l’enseignement a bousculé l’histoire humaine et dont on a fait un bouc émissaire pour éveiller notre conscience. La mémoire est appelée dans toutes les grandes religions. Les fêtes servent à la fois de temps de méditation individuelle et d’ancrage collectif.

J’écrivais sur l’avortement il y a deux jours: la médicalisation et la dépénalisation ne doivent pas occulter le fait qu’il y a un être potentiel qui est privé de la vie. On peut décider d’avorter pour des raisons qui nous semblent légitimes sans pour autant que ce soit quelque chose de facile, de simple et de sans conséquence. La femme - et l’homme dans une moindre mesure parce que son corps n’y est pas impliqué - abandonne une part d’elle à quoi elle est déjà attachée par la physiologie, et peut-être par quelque chose de plus intime.

On fait un rituel lors du décès d’une personne. C’est une des marques fondamentale de la civilisation. Il serait opportun de faire également une forme de rituel - qu’il s’agisse d’une prière pour un croyant, d’une méditation, d’une immersion dans la nature - lors d’un avortement. Cela devrait aussi concerner l’homme géniteur car une part de lui a pris forme dans la matière. Le deuil touche l’homme et la femme.

Le deuil est un passage lors de multiples étapes de la vie. Deuil lors d’un décès mais aussi lors de l’abandon d’un projet, d’une séparation, d’une renonciation ou d’une perte professionnelle, ou deuil de l’enfance quand l’adulte perd son innocence et met les mains et le coeur dans le charbon. Le psychisme se construit fortement sur un projet de vie. Lors d’une perte il doit défaire ce qui s’était noué. On ne peut toujours courir après la vie comme dans un appel éperdu au bonheur et à la lumière, comme si l’on ne voulait pas se retourner pour voir le sol s’effondrer - car il s’effondre parfois.

Il y a des deuils difficiles. Peut-être impossibles. Trop douloureux. On voit des mères perdre un enfant, et ne jamais se réparer. L’effondrement nous emporterait, du moins le craint-on. On doit alors vivre avec cette mort en soi, cet achèvement inachevé. On est comme un chien à trois pattes, découpé en morceaux, privé d’une part de soi.

Le Vendredi Saint n’est pas seulement affaire de religion. Ce jour est celui d’un rituel de mort. C’est la fin de l’hiver et le début printemps, le passage du silence au bruit, du repli de la nature au nouveau déploiement de la vie.  Ce jour il n’y a rien d’autre à faire que d’entendre le silence en soi.

Dans certaines pratiques on se couche face contre terre. On peut aussi méditer chez soi, ou dans un temple ou une église, ou dans la nature. Les yeux vers le bas. On se recolle en soi.

On ne peut pas toujours chercher la lumière. Il faut d’abord accepter la mort pour faire place à une nouvelle vie. Le rituel de la Pâques est un rituel très profond même pour les incroyants.

Ce vendredi, 17h30, concert à la cathédrale de Genève: le très beau Requiem de Maurice Duruflé.


Image: Salvador Dali, Crucifixion.