Nous avons vu que les femmes étaient actives et fortement impliquées dans la société. Qui sait encore qu’au Moyen-Âge les femmes pouvaient voter? Et qu’elles ont perdu ce droit à la Renaissance, et enfin à la Révolution et sous Napoléon Ier? L’historienne Régine Pernoud, entre autres, a documenté ce fait.
La Renaissance qui n’en est pas une
Au Moyen-Âge, où de grandes dames ont laissé leur empreinte, les femmes disposaient du droit de vote, comme les hommes, pour les élections et décisions des groupes professionnels: artisans, commerçants. Elles participaient donc à l’organisation politique de la société. Elles-mêmes exerçaient fréquemment ces métiers ou tenaient des exploitations ou des estaminets. Elles votaient également pour envoyer des députés aux Etats-Généraux, ces assemblées périodiques chargées de prendre des décisions dans les grandes crises du royaume de France. Etonnant dans ce pays très en retard sur d’autres. En Belgique par exemple:
«Presque toutes les principautés laïques belges ont été gouvernées par des femmes à l'un ou l'autre moment de leur histoire: citons les comtesses Jeanne (1205-1244) et Marguerite de Constantinople (1244-1280), en Flandre et Hainaut, la duchesse Jeanne en Brabant (1355-1406), Marguerite de Bavière en Hainaut (1345-1356), Marie de Bourgogne pour l'ensemble des principautés (1477-1482)». De combien de fiefs en France pourrait-on en dire autant! (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock).
Les femmes n’étaient pas écartées de la chose publique par principe, pas plus que de la formation puisqu’elles étudiaient et enseignaient dans les écoles des villes. Dans la classe paysanne et la bourgeoisie naissante également on trouve des femmes aux responsabilités:
«Chez les paysans, les artisans ou les commerçants, il n'est pas rare que la femme dirige l'exploitation, l'atelier ou la boutique. A la fin du XIIIe siècle, à Paris, on trouve des femmes médecins, maîtresses d'école, apothicaires, teinturières ou religieuses.» (Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique, Perrin).
On pourrait multiplier les exemples validés et documentés par les historiens modernes. Notons que les femmes ont progressivement perdu le droit de vote aux Etats-Généraux, seules les veuves à la tête d’un fief ou les abbesses en disposant encore. On attribue abusivement à la Renaissance un grand renouveau artistique et social. Pour les femmes ce fut une régression.
Les femmes dans la Révolution
Nous avons vu que les femmes de la bourgeoisie ont favorisé la diffusion d’idées pendant le XVIIIe siècle. Au moment de la Révolution elles furent très actives. Comme les hommes, elles ont cru en ce vent de liberté. Une historienne actuelle résume en quelques lignes cette période étrange. Selon Charlotte Denoël, Conservateur des bibliothèques, chef du service des manuscrits médiévaux au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, Chargée de cours à l’Ecole nationale des chartes (histoire de l’enluminure et catalogues de manuscrits médiévaux):
«L’année 1793 est marquée à Paris par un fort engagement politique de femmes issues des milieux populaires dans la lutte contre les Girondins, le fédéralisme et les modérés. On les retrouve alors dans les tribunes publiques des assemblées de section ou de la Convention, aux côtés des sans-culottes, pour défendre l’action des Jacobins. (...)
Ces femmes furent l’un des maillons les plus actifs du mouvement révolutionnaire, à Paris et en province. Tandis qu’elles soutenaient les motions révolutionnaires dans la tribune des Jacobins à la Convention et se réunissaient au sein de clubs politiques, comme celui des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires, créé le 10 mai 1793, elles entretenaient sur le terrain une agitation populaire permanente, appelant à l’insurrection contre les Girondins, en particulier du 31 mai au 2 juin 1793, journées qui virent la chute de la Gironde, et s’attroupant autour de la guillotine chaque fois que celle-ci était utilisée contre les ennemis de la Révolution. De ce fait, ces « tricoteuses » ont laissé dans la mythologie collective une image fantasmatique souvent faussée, celle de monstres assoiffés de sang, aux antipodes d’un ordre naturel dans lequel la femme doit remplir son rôle de mère et d’épouse aimante, sans s’engager dans une quelconque activité politique qui la ferait sortir de la sphère privée.
Cette vision négative de la femme a conduit les autorités à tenter de réprimer cette sans-culotterie féminine à partir des années 1794-1795, lors de la réaction thermidorienne. Dès l’automne 1793, les clubs féminins, et en particulier celui des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires, sont interdits, et les femmes se voient refuser le droit à la citoyenneté, qu’elles revendiquaient depuis la déclaration d’Olympe de Gouges.»
Les archives du site senat.fr confirment cette activité intense des femmes pendant la révolution. Robespierre avait proposé une motion instaurant le suffrage des femmes. Cette motion fut refusée par les révolutionnaires, dont la gauche d’alors. Notons que les constituants ne prenaient pas en compte l’égalité de droits: par exemple le système électoral ne reconnaissait pas le droit de vote aux hommes sans fortune.
Olympe de Gouges
Marie Gouzes, dite Olympe de Gouges, est née dans une famille bourgeoise aisée de Montauban. Elle fit des études et épousa un notable. Après qu'il décéda elle fut entretenue par un haut fonctionnaire de la marine, Jacques Biétrix de Rozières, directeur d’une puissante compagnie de transports militaires en contrat avec l’État (wiki). Elle se fit connaître dans l’élite parisienne d’abord par une pièce de théâtre dénonçant l’esclavage. Puis en 1791, en copiant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle mis par écrit l’équivalent pour les femmes. Elle y réclamait le droit de vote et un certain nombre de droits civils et juridiques. Elle fut emportée par la Terreur et guillotinée en 1793.
La révolution, symbole de l’égalité, avait laissé de côté les droits politiques des femmes, même si elle avait reconnu certains droits civils:
«Le bilan de la Révolution française apparaît donc mitigé pour les femmes : si on leur reconnaît désormais une personnalité civile et une certaine égalité par rapport aux hommes en matière de succession, de majorité civile ou de divorce, elles sont pourtant exclues des débats politiques, et il faudra attendre la loi du 2 novembre 1945 pour que le droit de vote leur soit accordé, puis la Constitution du 27 octobre 1946 pour que l’égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines soit établie.» (Charlotte Denoël)
Napoléon Ier, dans sa très grande misogynie, allait donner le coup de grâce avec son fameux Code civil: «Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux.
Les raisons de cette exclusion
Il y en a plusieurs. On invoquerait ici à tort une volonté simple de domination sur les femmes. S’il y avait une misogynie au XVIIIe et XIXe siècles (Rousseau, Hugo, ont écrit des mots surprenants pour des humanistes), il ne faut pas oublier la forte implication des femmes, la place qu’elles tenaient dans la société, le pilier qu’elles étaient dans la société majoritairement rurale, et le XVIIe siècle libertin où elles prenaient parfois ouvertement amants en plus du mari. Que des révolutionnaires aient craint que les femmes prennent place sur leur espace historique, après tout c’est possible. L’une des raisons du refus du droit de vote, raison suggérée par Charlotte Denoël, est justement la violence des femmes, leur capacité perturbatrice qui faisait peur. Elle n’étaient ni taiseuses ni soumises! La décision des révolutionnaires de classer les femmes dans les citoyens passifs et donc non votants est cependant incompréhensible tant elle contraste avec la réalité de l’époque.
D’autres raisons plus politiques sont à rechercher. D’une part les Constituants voulaient faire la guerre à l’Europe pour préserver la révolution. Il n’est pas certain que les femmes eussent voté une guerre. Elles en connaissaient assez les conséquences: se retrouver seules avec des enfants en bas âge, souvent veuves, perdant leur domaine par impossibilité de le faire tourner seule, devant tout faire sans plus d’aide, et en grande insécurité en cas de défaite.
D’autre part la révolution avait confisqué les biens de l’Eglise. La bourgeoisie aisée, impliquée dans la révolution, et dont le but était de prendre le pouvoir à la noblesse, avait dans l’intention de racheter ces biens et terres, ce qu’elle a fait. De grandes fortunes ont commencé là. Les femmes paysannes auraient-elles accepté cela? Pas certain.
Enfin, les femmes étaient réputées plus conservatrices et plus proches de l’Eglise. Leur donner le droit de vote aurait été donner des voix à l’Eglise, ennemi juré des jacobins étatistes et autres révolutionnaires (ce qui n’a pas changé). Cela se confirme en 1848, quand l’historien Jules Michelet déclare: «Accorder aux femmes le droit de voter immédiatement, ce serait faire tomber dans l'urne électorale quatre-vingt mille bulletins pour les prêtres.» L’anticléricalisme était donc derrière le refus d’accorder le droit de vote aux femmes. C’est peut-être pour cette raison que la France a été si tardive à l’instaurer, alors que la Belgique et l’Allemagne l’ont eu dans les années 1910, et que certains états américains l’avaient instauré dès le XIXe siècle.
Conclusion
Il n’y a pas de complot patriarcal dans l’exclusion des femmes par la Révolution. Au passage, je rappelle ce qu’est le patriarcat:
- Une répartition des espaces et des tâches selon le sexe, spécialisation fondée sur les fonctions naturelles et confirmée par la culture (le corps et le genre sont couplés) dans le but de performer le développement de l’espèce;
- une forme juridique qui donne la reconnaissance (responsabilité juridique) d’un ensemble ou d'un groupe à une seule personne: l’homme s’il est vivant, la femme s’il est mort; cette représentation juridique accordée à une seule personne pour un groupe fut le modèle dans tous les domaines humains pendant des millénaires, l’individu n’ayant pas encore gagné la place et la responsabilité personnelle que le libéralisme lui accorde aujourd’hui;
- une transmission du nom de famille par l’homme, ce qui lui donnait une reconnaissance (valeur) sociale, une place, en compensation de la reconnaissance de fait de la mère par la grossesse et l’accouchement;
- une politique patrimoniale associée au nom et donc aux fils, bien que cela ne soit pas absolu.
On n'est pas devant un couple formé d'un ogre et d'une femme taiseuse, et l'on n'envisage même pas qu'un paysan libre vende son domaine sans l'accord de sa femme.
Le féminisme a justement appelé à une égalité politique. Il a proposé d’assouplir la répartition des espaces et des tâches et de les répartir différemment. Pas besoin pour cela de dénigrer les femmes du passé, de mentionner la maison comme un enfer et les hommes comme des brutes. Le reste, soit l’indifférenciation des genres, la supposée domination masculine, le victimisme féminin, ne sont que des manières de se créer des privilèges de classe, de fuir l'exigence d'assumer les différences et de tenter d’assujettir les hommes. A moins que ce ne soit le produit d’esprits dérangés, comme Valérie Solanas et probablement d’autres. Pas besoin non plus de manipuler les médias, de hurler seins nus et de faire des hommes des ennemis dans un flot de misandrie continu. L’égalité réelle n’est pas féministe car elle n'est pas communautariste.
Les femmes n’étaient pas ces pauvres misérables taiseuses et recluses que la mythologie féministe entretient pour en tirer des avantages, au mépris même des femmes. Les femmes ont été exclues des doits politiques par la Révolution parce qu'elles représentaient un danger pour le nouveau pouvoir qui se construisait. Il est bien que cette exclusion ait été gommée.
Images: 1: Aliénor d'Aquitaine. 2: Les tricoteuses jacobines, Pierre-Etienne Lesueur. 3: Maximilien de Robespierre. 4: Olympe de Gouges. 5: Jules Michelet.
Commentaires
Le problème de l'inégalité des salaires pour une charge de travail égale :
Tout le monde connait Barack Obama et la charge de travail d'un Président des Etats Unis
Le salaire de ce poste = 400'000$
Qui connaît Catherine Ashton ?
Cooptée par Tony Blair à la chambre des Lords, puis par un jeu de chaises musicales, s'est retrouvée au poste de "haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour l'Union européenne"
Elle n'avait jamais assumé une charge publique, n'a jamais de sa vie été élue, ne parle pas de langues étrangères (ce qui est tout de même gênant en diplomatie). On ne l'a pas vue dans tous les évènements majeurs de politiques internationales.
Le salaire du poste = 320'000 £
Plus les allocations etc.. et le taux de change; ce qui fait le même salaire que la présidence d'Obama. En plus elle est aussi vice-présidente de la commission européenne.
Merci la paranoïa féministe ! ça aide pour avoir de l'avancement dans la bien pensance qui prévaut en Europe.
http://www.youtube.com/watch?v=--TMSkhsF-U
2ème partie d'article très intéressante et remarquablement documentée.
Alain, il y aurait encore plus de documents à lier, mais après ce n'est plus un blog, c'est un livre, et les livres existent: Régine Pernoud, René Reymond, Jacques Le Goff, entre autres, parmi ceux qui sont connus plus largements. Jacques Heers a montré comment les lumières du siècle des Lumières ont inventé la légende noire du Moyen-Âge, pour créer un rejet de ce temps et de ses représentants: clergé et noblesse. L'entreprise de sape a duré plus d'un siècle.
Ensuite, l'école républicaine a continué dans cette voie, les historiens de l'époque prenant parti pour glorifier le monde moderne qui commençait, biaisant les informations, et l'histoire a été tordue, réinterprétée, faussée.
La relecture de l'Histoire par des militante est une catastrophe intellectuelle, méthodologique, pour la compréhension d'où nous venons.
Dans ce type de développement et de débat j'essaie de trouver des pistes non pas sur ce qui se disait, mais sur ce qui se faisait et se vivait réellement.
Par exemple la controverse sur l'âme de la femme, qui a agité quelques jours un concile à Mâcon et qui est resté sans suite. Cela n'a eu aucune prise sur la réalité. Pourtant le discours victimiste ressort régulièrement cet argument en l'étendant à tout le Moyen-Âge: "Les femmes n'avaient pas d'âme".
C'est faux. Si c'était le cas elle n'auraient pas reçu les derniers sacrements ni mises au tombeau selon le rite religieux. il y a à la fois un biais et un abus d'interprétation de ce genre de faits dans le discours féministe.
Pareil pour la phrase de Saint Paul: Femmes soyez soumises à vos maris. Elle est incomplète et sortie du contexte d'enseignement, du sens des mots et de l'image. J'avais développé ce thème ici:
Si ce n'est toi 4: "La femme doit être soumise à son mari", en date du 4 mars 2012 (le lien bloque l'envoi de mon commentaire).
Ton article est vraiment très intéressant, merci