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Parler du cancer, raconter son corps

Le Matin d’hier proposait, sous la plume d’Eric Felley, un article titré: «Appeler un crabe un crabe». Le mot est du dessinateur humoristique Barrigue, fondateur du journal d’humour «Vigousse». Lui-même a fait savoir qu’il était atteint d’un cancer.

cancer,maladie,barrigue,carron,parole,dire,corps«Son cancer a été repéré très tôt, il n’est pas agressif et son évolution est lente. Avec son oncologue, ils ont décidé une immunothérapie, soit huit séances de perfusion, sans chimiothérapie, pour faire le point à l’automne.»

Barrigue n’a en général pas sa langue dans sa poche. Parler du cancer lui paraît normal, nécessaire même. Il ne s’en gêne pas et en fait de l’humour:

«Comme on était en avril, j’ai dit autour de moi: l’année dernière c’était le Printemps arabe, cette année c’est le printemps à crabe!»

Un de ses amis, le politicien valaisan Michel Carron, parle lui aussi de son cancer sur sa page facebook. Un cancer plus avancé.

«Avec Barrigue, on s’écrit parfois, raconte-t-il. Sur Facebook, on partage avec beaucoup de monde et c’est assez émouvant. Il y a des gens dont les proches sont malades, des gens déprimés aussi, qui s’expriment. C’est un exutoire.»

Exutoire, mais pas seulement. Parler c’est prendre un pouvoir - le pouvoir des mots - sur la maladie. Raconter son corps, partager son expérience, est une évidence. On le raconte de nombreuses manières. Les amoureux qui s’embrassent, l’habillement, la canne et le dos voûté du vieillard, la fière musculature du jeune homme, la séduction féminine, tout raconte le corps. Mais de l’intérieur on parle moins. Il faut des mots. Ces mots sont parfois trop simple pour dire le réel. Ou l’on est pudique. Ou l’on craint qu’en parler n’amplifie le problème, ne «programme» un peu plus le cancer.

Etant moi-même un «survivant» du cancer du pancréas, opéré en 2010, mon scanner annuel de suivis étant négatif, j’espère disposer de nombreuses années devant moi tant j’ai de projets à mener à bien, et tant le monde contient de beautés dont je ne me lasse jamais. Dans ma tête j’ai 20 ans (d’accord, disons deux fois 20 ans), et ce serait trop injuste de mourir si jeune!

:-)

J’ai écrit plusieurs billets sur cette traversée de la maladie. Témoigner d’une étape importante, aussi personnelle, était-ce de l’exhibitionnisme? Etais-je tombé dans le syndrome de la téleréalité? Non. Cette maladie fait encore peur, et se soumettre à la peur n’est à mon avis pas toujours une bonne chose. Il est utile d’avoir peur si l’on croise un tigre ou si un volcan proche entre en éruption: la peur fait courir plus vite. Mais dans le cas du cancer le silence des mots n’empêche pas la marche du crabe.

J’en ai donc parlé sur ce blog puis j’ai réuni les textes en un pdf ici. Parler pour exorciser. Pour regarder en face. Pour dire: cela advient, certains en meurent, d’autres en vivent, et peut-être pouvons-nous tirer un profit, un enseignement sur soi, de la maladie.

Il fut un temps où l’on ne parlait pas du cancer. Le mot lui-même rimait avec mort. Or d’une part cela nous attend tous un jour, donc ce n’est pas grave. D’autre part, de longues rémissions voire des guérisons durables sont possibles aujourd’hui. La médecine, la chirurgie, auxquelles on peut adjoindre des méthodes naturelles pour renforcer l’immunité, ont avancé à grand pas sur le traitement du cancer.

Alors oui, il faut en parler. Ne pas lui laisser tout le terrain. Parler c'est reprendre le pouvoir. Préserver son intégrité intérieure. Et dans les paroles qui nous racontent, ne pas oublier la gratitude envers la vie pour tout ce qu'elle donne en abondance.

Catégories : Santé 5 commentaires

Commentaires

  • "La médecine, la chirurgie, auxquelles on peut adjoindre des méthodes naturelles pour renforcer l’immunité, ont avancé à grand pas sur le traitement du cancer."

    Oui, oui, la presse nous bassine avec ces avancées formidables de la recherche médicale. Tous ces fantastiques médicaments seront paraît-il disponibles dans quelques dizaines d'années...

    Si les humains n'étaient pas devenus si monstrueusement nombreux, on pourrait se poser la question de produire et consommer de façon plus prudente. Mais en attendant, notre environnement est devenu plus rapidement cancérogène, et cela concrètement et non virtuellement, que les progrès supposés ou prétendus de la médecine. De chez moi, je vois les cheminées des Raffineries du Rhône, qui continuent de nous polluer grave. A croire que le fantôme de Khadafi nous en veut encore...
    Les cheminées de la Satom, l'incinérateur d'ordures. Il paraît qu'ils ont installé des filtres contre la dioxine qui en sortait. Quel est le pourcentage de dioxine qui est vraiment retenu ?
    Les cheminées de Ciba spécialités chimiques, qui rendent l'air quasi irrespirable à Massongex, tant il est chargé en solvants. Ce site a produit du phosgène à Monthey durant des dizaines d'années. Une simple petite fuite, et plus personne de vivant dans le Chablais. Remember Bhopal...

    Alors oui, on s'est mis à nettoyer les décharges monstrueuses de la chimie locale, dans lesquelles étaient mélangées les substances les plus diverses et les plus toxiques. Celle du Pont rouge à Monthey - juste au bord du Rhône, merci pour le Léman - a été nettoyée. Elle devait être une des plus dangereuses du monde, vu l'ancienneté des pratiques douteuses de Ciba.

    Bien sûr, aujourd'hui, grâce à la prise de conscience des gentils citoyens, on dénonce ces scandales à tour de bras. Et ces industries ne peuvent plus délocaliser à Seveso pour Givaudan, ailleurs en Italie pour l'eternit à l'asbeste. Il faut aller plus loin, et c'est ainsi que les Chinois deviennent riches. Mais il y a aussi des citoyens en Chine... Y aura plus de production industrielle, en tout cas pour nous. Plus de chimie et donc plus d'agriculture industrielle.

    Et on ne nourrit pas 8 milliards d'humains avec de l'agriculture biodynamique.
    On ne meurt pas que du cancer...

  • Pour ma part, je n'y arrive pas. C'est une émotion que je refuse d'exprimer. ça me laisse l'impression de la maitriser.
    Mais je vais lire vos textes.
    (comme souvent d'ailleurs)

  • @Géo
    Je suis assez d'accord avec votre commentaire. L'avancée en médecine de fait, oui, mais est contrebalancée par tous les méfaits que vous avez si bien énumérés.
    Et puis, la médecine regorge elle aussi de ses scandales qui nous laisse un peu perplexes sur les réels intérêts en matière de soins.
    @John
    Raconter, dire sa maladie n'est en rien exhibitionniste et sur ce point, le progrès est réel et indiscutable.
    Même si je ne l'ai pas vécu moi-même, j'ai hélas vu beaucoup de personnes partir autour de moi emportés par ce fichu crabe et le dernier en date fut mon cher père en ce début d'année. La maladie est monstrueuse lorsqu'elle vous enlève les êtres chers et cependant, je crois bien avoir vécu les moments les plus intenses avec lui. Alors lorsque, comme vous, par bonheur, on s'en sort, j'imagine très bien l'état d'esprit qui est le vôtre et la jouissance d'un jour qui se lève en pouvant savourer ce que la vie a de plus beau à offrir.

  • En fait, ce n'est pas de la maladie, cancer ou autre, dont il faut parler. C'est de la vie et de la mort. Parce que franchement, notre civilisation est plutôt mal à l'aise sur le sujet, depuis qu'on a abandonné la foi du charbonnier et qu'on ne se fait pas trop d'illusions sur les possibilités de vie ultérieure...
    En fait, pour un individu donné - qui ne se projette pas dans la vie de ses descendants -, les choses semblent se faire assez naturellement. L'insondable profondeur de la bêtise humaine a ceci de bon qu'on en a rapidement sa dose de la fréquentation de nos semblables. Encore quelques années et ma misanthropie me fera partir dans la joie et la bonne humeur...

  • C'est une horreur John. On nous tond, on nous embarque dans une guerre qu'on a pas choisi et on nous intime l'ordre de rester vivante.
    L'hémoglobine tombe à 8, les plaquettes à 60.000 , le nez saigne, les leucocytes chutent à moins de 2000, plus de cheveux , plus de cils, plus de sourcils.
    On est plus rien.
    On dort. On laisse le poison agir.
    C'est le Vietnam, un cauchemar.

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