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Mandela: le symbole et l’ombre

L’émotion exprimée autour de la personne de Nelson Mandela est comme toutes les émotions: absolue et incomplète. Absolue parce que nos rêves et nos propres espoirs y sont contenus, multipliés même quand celui que nous admirons représente ce que nous-mêmes n’avons peut-être pas réalisé. Il y a une fonction cathartique dans la célébration, qu’elle soit religieuse ou profane. Et autour de Mandela l’élan de sympathie est en partie religieux, dans la mesure ou il «relie» les humains dans une image idéale. Pour quelques heures ou quelques jours nous pensons être tous frère et soeurs. Cela fait du bien, parfois.

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Il est difficile d’adhérer à un idéal sans qu’il soit nourri d’une émotion forte, incitante, envahissante même. Les groupes, les nations, ont besoin de symboles et de moments collectifs qui réunissent. Les humains capables de faire vivre cela sont rares. Ils fonctionnent comme des éveilleurs collectifs. Ils nous rappellent à quelque chose de nous au-delà de nos intérêts personnels.

Nelson Mandela a su incarner un rêve collectif, même si son idéal de réconciliation n’était pas exempt de calcul. Il avait besoin de l’argent du monde pour la croissance du pays. Il avait besoin des compétences des afrikaaners, anciens ennemis devenus partenaires. C’est normal et c’est signe de son intelligence politique. Cela n’enlève rien à ce qu’il a incarné, que je décrivais dans un précédent billet.

Malgré le côté excessif d’une célébration émotionnelle planétaire, je soutiens que Mandela a eu un rôle primordial dans la tentative de construction pacifique du pays et d’une révolution non-violente, même s’il n’était pas seul et si l’on oublie trop vite l’action du président blanc Frederik de Klerk, qui fut déterminante.

Par ailleurs si l'on traite parfois le communiste Mandela d’ancien terroriste, nous ne devons pas oublier le régime d’apartheid dont la police a tué de sang froid des africains noirs pour faire cesser des manifestations. Je pense qu’à un moment le combat de Nelson Mandela était une légitime défense et une question de survie pour une certaine population.

Il faut voir pourquoi ce symbole est si fort aujourd’hui et l’émotion si absolue. Si le monde était pacifié nous n’aurions que faire d’un tel symbole, que nous considérerions comme superfétatoire. Mais le monde et l’Afrique du Sud ne sont pas en paix.



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Derrière la lumière il y a l’ombre, l'ombre qui rend l’émotion incomplète. Une partie des africains noirs a été armée par l’ANC et a gardé les armes. Les tensions interraciales ne sont pas éteintes. Les meurtres de fermiers africains blancs, parfois avec torture, se sont multipliés depuis 20 ans. Ils vivent dans le risque d’être dépouillés de leurs terres, des terres qui étaient en grande partie vides de population à l’arrivée des premiers colons et qu’ils ont fait fructifier. La crainte de faire de l’Afrique du Sud un nouveau Zimbabwe est exprimée ouvertement par ces fermiers.

L’économie est sinistrée. Selon l’ONU, la RSA est dans les 5 derniers pays de la planète en terme de niveau de vie et de croissance. La plupart des fermes d'appartenance collective sont un échec, laissées à l'abandon parce que personne n'en est responsable (le collectivisme communiste est la fin de l'économie par la fin de la responsabilité et de la motivation individuelles). La sécurité est menacée (plus de 40 meurtres par jour), l’emploi stagne, la productivité est molle. Une petite minorité d’africains noirs tirent leur épingle du jeu et vivent dans l’opulence. La police noire a tué des mineurs en grève en 2012. En 20 ans l’ANC n’a pas vraiment développé le pays, ou si peu. Le chômage et la pauvreté des africains noirs est pire que sous l’apartheid, malgré une discrimination dite «positive» - dont on voit ici qu'elle ne donne rien si les gens ne sont pas d'abord motivés par eux-mêmes.

La violence sociale est une culture aussi bien des anciens Boers qui défendaient leur peau que des zoulous de l’empire de Shaka. Tous portent la marque profonde de la négation de l’autre. Le racisme ségrégationniste n’en a été que la forme la plus récente. Elle n’en est pas la seule. Les Boers vivent sur une mythologie biblique de l’Eden, les zoulous sur la mémoire d’un empire dont la cruauté a rarement été atteinte en Afrique.

Selon le ministère de la Santé 28% des adolescentes de 10 à 16 ans sont séropositives, et seulement 4% des garçons du même âge. Ces filles sont donc contaminées par des hommes plus âgés parce qu’elles se prostituent. 94’000 de ces adolescentes sont tombées enceintes en 2011, dont certaines n’avaient pas plus de 10 ans.




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Les autorités issues du même mouvement politique que Mandela vivent sur un volcan. Les risques de violences interraciales existent aussi entre les ethnies noires. Le clanisme mine l’unité du pays. Il n’est pas certain que la violence que Mandela a tenté de retenir n’explose malgré tout.

On peut comprendre, dans ces conditions dont Mandela était conscient, que le symbole soit si fort et important, comme il l’a été quand les Springbox ont gagné «leur» coupe du monde de rugby en 1995. Le film Invictus, de Clint Eastwood, rappelle cette émotion et le symbole d’unité qui découla de la victoire. On peut comprendre que les chefs d’Etat se déplacent en nombre aux funérailles, comme pour perpétuer le symbole Nelson Mandela face au monde et dans le pays. C’est en tout cas l’analyse que je choisis de privilégier.

Mais derrière la lumière du symbole, l’ombre est profonde et dangereuse. Il n’est pas dit que l’icône Mandela suffise encore longtemps à éviter soit un bain de sang, soit un dépouillement de la minorité blanche et la fin de la réconciliation, soit une partition du pays. L’Histoire de l’Afrique du Sud est construite sur les conflits (entre européens également), sur la violence et les rivalités de couleur et d’origine. La nation arc-en-ciel est loin d’être une réalité.

Devant cette somme de tensions et de dangers réels, on peut mieux entendre les paroles de Mandela: «Je suis le capitaine de mon âme». Chacun aujourd’hui est responsable de soi et de la pacification du pays. L'universalité de cette pensée est que nous aussi, individuellement, sommes capitaines de nos âmes et pouvons décider de ce que nous voulons faire de notre destin. Nous ne sommes pas obligés de reproduire ce que nous avons subi.

En République Sud-Africaine la seule voie est bien de tourner la page, d’une manière ou d’une autre, mais pas dans une violence qui ne ferait que perpétuer l’Histoire en cours depuis déjà plusieurs siècles. En cela Mandela était visionnaire.


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Catégories : Politique, société 7 commentaires

Commentaires

  • "La plupart des fermes d'appartenance collective sont un échec, "

    Avez-vous une référence concernant ces fermes?

  • On ne va pas réconcilier tout le monde. Même le saint du jour n'y est pas parvenu.
    Il y aurait tant et tant de choses à écrire sur le sujet. Mais je n'ai pas d'élections à gagner, ni à plaire à qui que ce soit. Donc je m'en tape de ce que les médias pontifient ou dégobillent en long, large et à travers…

    Toutefois, juste pour le fun, un échantillon sur "comment la RTS construit l'information avec l'argent de la redevance".

    Le 7/12, Christophe Blocher déclare sur son site que le rôle du premier président noir d'Afrique du Sud, considéré comme un "héros" dans son pays, a été "surestimé". Il ajoute: "c'est ainsi: si quelqu'un a fait quelque chose de bien, on l'applique à tout ce qu'il a fait".

    Evidemment, c'est le tollé dans la médiasphère. Et faut surtout pas rater ce "dérapage" pour noircir encore davantage le portrait du "salopard national".

    La RTS réplique dans le 19:30 avec l'interview express de Patrick Harries, historien d'origine sud-africaine, acquis à la cause…

    Première question qui consiste à faire dire à l'interlocuteur ce que l'on veut entende:
    «… on le voit l'image de Mandela continue à diviser en Suisse. Héros pour les uns terroriste pour les autres, votre réaction à propos de Christophe Blocher ?»

    Le type qui n'a sans doute pas entendu les propos exacts de Blocher est un peu embarrassé et ne répond pas directement à la question.

    Zut alors, faut enfoncer davantage le clou. Deuxième question pour noircir encore le tableau:
    «… on voit que c'est encore un dossier très sensible, le mois dernier le Conseil fédéral décidait de continuer à bloquer l'accès aux archives fédérales qui concernent les entreprises suisses et l'Afrique du Sud notamment, c'est une forme de censure pour vous ?»

    Ben quoi ? Evidemment qu'il a répondu oui le Monsieur.

    Ouf ! L'interwieveuse est sauve en marquant un point. Mais en s'y reprenant à deux fois pour amener le client dans sa bergerie…

    Enfin, la quadrature du cercle: «… il y a selon vous des choses peu reluisantes à découvrir encore ?»

    Voilà comment en 2 minutes 18 on monte un fromage contre «le salaud national».

    Et n'oubliez surtout pas de payer Billag !

  • Fermes communautaires, Afrique du sud:

    http://www.lefigaro.fr/international/2008/11/25/01003-20081125ARTFIG00012-le-desarroi-des-fermiers-blancs-d-afrique-du-sud-.php?pagination=6

  • @ Petard:

    L'Etat du pays montre que la gouvernance de l'ANC et de Nelson Mandela n'ont pas fait du pays un Eden arc-en-ciel entre les mains d'un saint miraculeux. Il est évident que Blocher n'a pas tort, il fait le constat que tout le monde peut faire. On n'est même pas obligé d'être d'accord avec ses idées en général pour être d'accord sur ce constat.

    La nation arc-en-ciel est un rêve ou une mythologie, pas encore une réalité. Si je respecte et reconnais la fonction symbolique de Mandela, je regrette que, comme souvent, l'on ne puisse faire un état des lieux plus rationnel. Les procès d'intentions et de mots sont tout de suite là. Les sanctificateurs font comme les premiers afrikaaners lors du Grand Trekk: la RSA est un nouveau paradis.

    Notez que la rts n'a pas encore utilisé un mot-fétiche: "nauséabond"... :-)

    Je note quand-même que la rts a effleuré les problèmes de la RSA dans un reportage, je crois samedi, montrant l'extrême pauvreté d'une grande partie de la population sans tout mettre automatiquement sur la faute des sud-africains blancs. Le gouvernement reconnaît lui-même des échecs importants, et envisage maintenant des solutions extrêmes comme l'expropriation des fermiers blancs. Un nouveau Zimbabwe se prépare peut-être.

  • "Frederik de Klerk"

    n'avaient pas compris quand mettant un gouvernement noir au pouvoir ça serait le même bordel que dans les autres pays d’Afrique, la même corruption

  • Le seul truc qu'il a réussi, c'est de jouer la victime !

    Mais il a fichu le pays dans une merde pas possible !!

  • Le plus "drôle", ce sont des pays comme la Chine, la Corée du nord et les autres qui célèbrent la dépouille de Mandela !

    Allez voir en Chine comme ils traitent les non-huan !!!

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