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Le cyprin doré

(Fiction de poisson)

Les faits sont anciens. Je m’étais enhardi à un trekking à travers les Alpes. C’était l’été. Un été assez chaud pour prendre un sac à dos léger et éviter les sueurs intempestives. Trois jours passés sur les arêtes du côté du Briançonnais avaient bien entamé mes maigres réserves. Les buissons de myrtilles se faisaient rares. Au troisième soir il ne me restait que quelques biscuits secs et un quart de litre de thé. Et pas de cabane en vue: j’avais délibérément pris des chemins de traverse.

1er avril,poisson,rouge,cyprin,montagne,trekk,briançonnais,maison,eau,faim,été,J’espérais trouver des ruisseaux pour me rafraîchir, des sources pour me désaltérer. Toutefois l’eau se dérobait. Des années de pluies faibles, un hiver sans neige, un printemps sec et un été caniculaire, avaient rendu les sentiers des hautes cimes durs comme pierre. Quelques herbes jaunies craquaient sous les pieds, alors que les grillons se terraient dans leurs trous pendant la journée.

La nuit suivante fut froide. Elle déposa au matin une rosée légère, que je me mis à lécher. Herbes et arbustes m’offraient l’apéritif. J’étais attentif à ne pas suivre les sentiers des chamois: leurs crottes, même diluées dans la faible humidité du jour naissant, ne sont guère comestibles. Les toiles d’araignées scintillaient de gouttelettes. Une courte pression sur l’un des points d'attache suffisait à faire fuir l’hôte et je profitais de cette eau bienvenue.

J’avais mangé mes derniers biscuits pendant la nuit. Vers dix heures ma réserve de liquide était vide. La chaleur montait de la pente. Je voyais en bas une vallée aussi jaune que l’herbe autour de moi. Je ne voulais pas y descendre: sans eau je ne pourrais remonter, et cette vallée était barrée de pics de tous côtés.

Vers midi je marchais recouvert de mon sac de couchage. J’évitais la brûlure du soleil et la déshydratation. J’arpentais la montagne sur une piste tourmentée et la faim me tenaillait. Vers quatre heures je commençais à ressentir des vertiges. Je battais l’air de mes bras pour compenser l’absence de brise des cimes. Des parois abruptes et fières défiaient mon endurance. A cinq heures des étincelles brouillaient mes yeux. De jaune, l’herbe passait à bleue, et le ciel se teintait de mauve acide. A six heures je crois entendre sonner un clocher. Comment est-ce possible? La soif et la faim me troublent.

A sept heures le soleil joue à cache-cache avec les pics. L’herbe est maintenant rose. Un aigle vole à ma verticale et lâche un éclat de rire. Je vacille. Mes yeux brûlent. Le mal des montagnes, le manque d’eau, la faim.

Après un passage entre des rochers je découvre une petite maison, sur un replat au milieu1er avril,poisson,rouge,cyprin,montagne,trekk,briançonnais,maison,eau,faim,été, de la pente, entourée de mélèzes. Sauvé! pensé-je. La porte d’entrée est ouverte. Je m’approche et frappe. Aucune réponse. Je frappe encore. Rien. Je lis alors une phrase gravée dans le bois: «Toi qui es perdu, sois le bienvenu». Une telle invitation me rend audacieux: j’entre. A l’intérieur, une seule pièce, salon et cuisine réunis. Pas de réfrigérateur. Le robinet ne coule pas. Près d’une fenêtre, un aquarium. Ma soif est intense. J’y plonge les mains et bois quelques gorgées. L’eau sent le poisson. Un élevage? Un mot surgit et grossit dans mon esprit: manger. Ma faim est douloureuse. Je regarde au fond: sous une algue il y a une carpe.

Je plonge le bras, elle file, je la touche, elle glisse. Je finis par l’attraper. Près du robinet sec, à côté de l’évier, il y a une cuisinière. Sur la cuisinière, une poêle orange et quelques allumettes. J’en craque une et allume le gaz. La poêle est sur le feu. Je la laisse chauffer puis j’y jette le poisson. Ses derniers soubresauts ne m’inspirent aucune pitié. Manger ou être mangé, c’est tout. Un poisson d’élevage n’a pas son mot à dire. Il devrait le savoir de lui-même. Je ne vais pas me rendre malade de faim pour laisser la vie sauve à une carpe violette?! Les gros mangent les petits.

«Heureusement, ce n’est pas un requin», me dis-je. Je n’aurais pas eu la force de me battre contre un monstre à la mâchoire géante et béante. Je regarde quand-même celle de la carpe. Non, elle est normale. Je crois que je délire un peu. Je récite les premiers vers de Prévert, de La pêche à la baleine:

«A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d’une voix courroucée
A son fils Prosper, sous l’armoire allongé,
A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc?»

La queue de la carpe semble alors grandir démesurément. Je recule et contemple son agonie de loin. Sa couleur change étrangement. Elle se met à fumer et devient toute noire. J’éteins le feu, glisse l'animal cuit de la poêle dans une assiette et commence à retirer sa peau écaillée avec les doigts. C’est chaud! Je souffle et recommence. Enfin la chair apparaît. 1er avril,poisson,rouge,cyprin,montagne,trekk,briançonnais,maison,eau,faim,été,J’en prends un morceau et le mange. Un poisson sans sauce reste un poisson. Il a l'odeur du poisson. Il a le goût du poisson. Mais il apaise ma fin.

Il ne reste que les arêtes quand j’entends une voix dans mon dos.

- Bonjour!

Je me retourne. Une fillette se tient dans l’entrée. Plus loin, dans la pente, je devine ses parents.

- Tu fais quoi? demande-t-elle.

- Je mange. J’avais très faim.

- Ah.

Elle fait le tour de la pièce, regarde mon sac à dos, l’ouvre et fouille.

- Tu n’as plus rien à manger!

- Non. Plus rien.

Elle continue son inspection et sort mes habits, mon nécessaire de toilette, une lampe de poche, une carte et quelques bricoles en vrac.

- Tu n’as pas d’iPod?

- Non.

- Tu voyages sans musique?

- Sans musique.

- Ah.

Elle abandonne mon sac et poursuit son inspection des lieux. Elle s’arrête devant l’aquarium, cherche du regard. Puis me demande:

- Tu as fait quoi de mon cyprin doré?

- Ton... quoi?

- Mon poisson rouge?



Fin...

Image 1; GR5; image 2: fond d'écran; image 3: cyprin doré.

Catégories : Humour 6 commentaires

Commentaires

  • Oooops ! Drôle de poisson d'avril :-)

  • Yes...

    :-)

  • Vous avez vu "un poisson nommée Wanda" ?

  • Non, mais je finirai par le voir, on m'en a régulièrement parlé!
    :-)

  • "Un poisson nommé Wanda" est un must absolu ! J'ai le souvenir de gros fou-rires.
    Si je me souviens bien, vous êtes fan des Monthy Python - vous retrouverez une vieille connaissance chez "Wanda".

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