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Eloge de l’erreur

D’abord, il y a cette si jolie définition: «Action d’errer çà et là, parcours sinueux et imprévisible». A titre d’exemple le cnrtl.fr cite une phrase de Sainte-Beuve: «Ce ruisseau sinueux a d’aimables erreurs».

On imagine qu’une simple promenade sans but particulier peut être une agréable suite d’erreurs, menant de prairies en sous-bois, s’approchant ou s’écartant des lignes des chemins sans l’avoir préalablement pensé.

erreur,faute,jugement,orthographe,victor hugo,verlaine,mallarmé,confianceDe l’errance...

Cette définition de l’erreur s’apparente à l’action d’errer, d’aller «çà et là». On peut y voir une sorte de légèreté innocente, non sujette aux jugements du monde, tant cette errance s’apparente à la course du vent. Le vent est innocent. Toutefois le mot «erreur» reste généralement chargé d’interprétations plus pesantes, plus souveraines, l’emportant sur la spontanéité enfantine ou sur les errements du promeneur romantique.

Si la poésie suggère une forme d’errance lumineuse et permet à l’esprit de suivre des chemins imprévus, cette errance n’est pas toujours sereine. Ainsi Paul Verlaine, dans sa Promenade sentimentale (extrait):

«Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l'étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant...»

Ici, errer est associé dans la même phrase, aux mots: plaie, fantôme et désespérance. On peut y lire les prémices des films ou livre d’horreur. Dans le poème Apparition, Stéphane Mallarmé commence ainsi:

«La lune s’attristait...».

erreur,faute,jugement,orthographe,victor hugo,verlaine,mallarmé,confiancePlus loin: «De blancs sanglots glissants sur l’azur des corolles», pour enfin arriver à:

«J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli»

suivi dans quatre vers par la nostalgie appelée dès le premier

«Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté
Passait ...»

«J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli» suppose que la tête est penchée en avant, ce qui s’image dans les mots l’oeil rivé sur le pavé. Ce n’est pas le signe d’une intériorité joyeuse. Le corps est aussi un langage. Si le pavé est vieilli c’est qu’il est ancien et inspire la notion d’usure et de corruption de la matière.

Mais y a-t-il des errances heureuses? Bien sûr! Victor Hugo, dans L’Eglise (I), donne à son errance un parfum de bonheur naturaliste presque mystique:

«J'errais. Que de charmantes choses !
Il avait plu ; j'étais crotté ;
Mais puisque j'ai vu tant de roses,
Je dois dire la vérité.»

Suit une ode à cette église naturelle:

«C'était l'église en fleurs, bâtie
Sans pierre, au fond du bois mouvant,
Par l'aubépine et par l'ortie
Avec des feuilles et du vent.»

et une chute d’une infinie fraîcheur:

«Toute la nef, d'aube baignée,
Palpitait d'extase et d'émoi.
— Ami, me dit une araignée,
La grande rosace est de moi.»



erreur,faute,jugement,orthographe,victor hugo,verlaine,mallarmé,confiance... à la faute

Mais foin de la poésie, perçue comme bien ennuyeuse à notre époque. Foin, ce n’est plus ta saison. Cueillettes dans les vergers et vendanges ont commencé. Adieu prémices, bonjour accomplissement.

L’erreur, plus qu’errer, désigne un état ou un processus qui contient quelque chose de faux. A l’école, en dictée, une erreur est une faute et coûte un fragment de notation. Elle entame notre crédit de notes. Je m’arrête sur cet exemple, porteur du génie de l’erreur. La faute peut n’être qu’un accent grave oublié, ou l’omission de trois S dans ce court texte: «Les pomme annoncent que l’été a tourné sa veste. Des brumes pré-automnales commencent à languir dans certaines campagne. On les reconnaît, à la différence des  brumes d’été, plus poussiéreuses et chaude, à ce qu'elles se forment par évaporation issue du sol dans des matins déjà rafraîchis, sous un ciel souvent limpide».

L’omission des trois S indique des fautes d’accord. Le pluriel prend un S. La faute dite d’orthographe peut en outre signaler une erreur plus importante de compréhension: plus de deux sujets pour un seul verbe impose que le verbe soit en écho à ce pluriel. De Victor Hugo encore, le début d’Oceano Nox:

«Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !»

Une faute de conjugaison dans cet extrait concernerait la construction du texte de la pensée.


Commettre une erreur est aussi considéré comme une possible faute morale ou matérielle. On se trouve alors dans la chose fausse, dans la chose qui peut aboutir à un jugement moral de condamnation du comportement. Les conséquences peuvent en être graves: vice erreur,faute,jugement,orthographe,victor hugo,verlaine,mallarmé,confiancede consentement dans un contrat, erreur de droit, erreur judiciaire, erreur sur la personne lors d’un témoignage, erreur comptable, erreur de conduite.

D’errer à se tromper - terme à l’étrange connotation: je me trompe moi-même voudrait-il signifier que je me suis infidèle? - puis de se tromper à commettre une faute, le terme d'«erreur» touche à une large palette d’intentions, de faits, d’attitudes et d’interprétations.

Mais enfin, soyons indulgents avec certaines erreurs et tournons les choses en positif. Les erreurs ne montrent pas tant ce que nous n’avons pas compris ou appris (référence au passé immuable) que ce que nous avons à apprendre (futur en formation). Les erreurs, voire certaines fautes, sont parmi les meilleurs programmes de cours. Je parle pour ma part de pédagogie de l’erreur.

Les erreurs sont à la mesure de ce qu’il nous est demandé dans la vie; elles sont la mesure de notre potentiel d’apprentissage. Il n’y a pas de confiance en soi, d’aisance en relation, de progression en tous domaines sans une liste d’erreurs qui révèlent les acquisitions à réaliser. Ma propre liste étant bien fournie, j’en parle d’expérience.

Vive l’erreur donc, ce grand maître pédagogue.

Et pour relier cela à l’actualité, Geri Müller, héros malgré lui des selfies nus du Gerigate, a d‘évidence fait une très grosse erreur: envoyer ses images à une personne à peine connue. Il a peut-être également commis l’erreur de la présomption d’impunité: il s’est cru hors de tout risque pour en prendre autant.

Que doit-il apprendre de cela? Il serait gamin ce serait le bonnet d'âne. Mais en tant qu'adulte, d’une part c'est la honte publique. Terrible, terrible, la honte publique! Mais quelle force on doit en tirer quand elle est assumée. Il apprendra encore d’autres choses probablement. Pour ma part c’est cela qui m’intéresse, bien plus qu’un jugement moral autour de la sexualité (toujours objet d’opprobre à bon marché) ou qu’une exemplarité politique enfermante.

Laissons-nous, laissons à d’autres, même aux politiciens, le droit à l’erreur. Sans quoi nous n’apprendrons rien de la vie.

Catégories : Philosophie, Poésie 4 commentaires

Commentaires

  • Je me suis retrouvée surtout dans vos premières lignes : partir sans but très précis.

    C'est ce que je fais lorsque j'arrive dans une ville : je quitte l'hôtel, munie d'un guide avec plan (que je questionne plutôt que je ne le consulte) et je marche en suivant mon instinct, ce sont des moments de calme et de sérénité même s'il y a foule, de découverte en surprise au détour de ruelles, de places, etc...

    Oui j'erre dans les villes sans me poser de questions, à la rencontre de ses habitants : ce sont des moments de pur bonheur !

  • Les poètes d'autrefois erraient "au fond du bois mouvant, dans la brume et au long de l'étang."
    Ils risquaient juste de se perdre, d'avoir faim ou soif, de se tordre la cheville ou d'être rattrapés par la pluie. Au pire, la rencontre furtive avec un loup ou une ourse avec son petit.
    Et ils en rapportaient l'inspiration pour des vers inoubliables.

    Nos errances contemporaines dans l'univers des nouveaux médias (twitter, WhatsApp, Facebook, sms, blogs...) peuvent avoir des conséquences plus ou moins inspirantes ou catastrophiques.
    L'histoire de Geri Müller a quelque ressemblance avec l'histoire du Petit Chaperon Rouge.
    La version de Perrault se termine sur une morale explicite, qui s'adresse aux jeunes filles, pour expliquer, comment il faut comprendre le loup du conte :

    "Il en est d’une humeur accorte,
    Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
    Qui privés, complaisants et doux,
    Suivent les jeunes Demoiselles
    Jusque dans les maisons,
    jusque dans les ruelles;
    Mais hélas! qui ne sait que ces Loups doucereux,
    De tous les Loups sont les plus dangereux."

    A mon sens, cette petite histoire toute simple et connue de tous devrait nous aider un peu à nous diriger dans la jungle des moyens de communication. Nous sommes sur un terrain si neuf, que nous sommes souvent un peu novices, malgré un âge biologique certain. Homme ou femme, peu importe, nous aurions tort de nous jeter en pâture aux louves et "loups doucereux", qui dans le cas de G.Müller ont effectivement été les plus dangereux.
    Que restera-t-il des errances sur internet ? Plein de bonnes choses et j'en sais quelque chose, même s'il n'en résultera probablement pas d'oeuvre d'art majeure pour la postérité ! :-)))

  • Bonsoir Homme Libre...j'aime beaucoup moi aussi le début de votre billet mais je sursaute, vous me connaissez un peu maintenant ;-), à "Mais foin de la poésie, perçue comme bien ennuyeuse à notre époque."
    Si elle est perçue comme ennuyeuse, c'est sans doute que, malgré tous les poètes "modernes" et les formes variées de leurs écrits, on continue à penser à une expression pompeuse faite de ÔÔÔ et Aaaah...de terribles désespoirs dont la seule nature est le témoin.

    Connaissez-vous cet extrait de Jean Tardieu?

    Les erreurs

    (la première voix est ténorisante, maniérée, prétentieuse ;
    l’autre est rauque, cynique et dure.)

    Je suis ravi de vous voir bel enfant vêtu de noir.
    - Je ne suis pas un enfant je suis un gros éléphant.

    Quelle est cette femme exquise qui savoure les cerises ?
    - C’est un marchand de charbon qui s’achète du savon.

    Ah ! Que j’aime entendre à l’aube roucouler cette colombe !
    - C’est un ivrogne qui boit dans sa chambre sous le toit.

    Mets ta main dans ma main tendre je t’aime ô ma fiancée !
    - Je n’suis point vot’fiancée je suis vieille et j’suis pressée laissez-moi passer !

    Jean TARDIEU

    Bonne soirée, soleil partout, les raisins de septembre seront délicieux...

  • Bonsoir Colette,

    Ce texte de Tardieu est délicieux. Je ne le connaissais pas. La poésie porteuse d'humour, c'est bon à prendre.
    Ma phrase "Mais foin..." est davantage destinée à permettre le glissement du texte vers un changement d'approche qu'à démettre la poésie... J'en ai même profité pour me rouler dans le foin! :-)

    Ici, de beaux moments de soleil, et plus encore à venir cette semaine semble-t-il.

    Bonne soirée!


    @ Calendula:

    Merci pour ce complément. Gardons prudence face à la séduction.

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